Liminaire[Record]

  • Isabelle Daunais

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  • Isabelle Daunais
    Université McGill

C’est un fait connu, souvent étudié dans ses tenants mais curieusement peu dans ses aboutissants : le roman est un genre sans règles autres que tacites. Si le moment de sa naissance est l’objet d’infinis débats, tant ses origines se perdent dans un lacis de formes anciennes ou peuvent être rapportées à des événements (le passage à la langue romane, l’avènement des Temps modernes) ou des oeuvres (Don Quichotte, Robinson Crusoé, La princesse de Clèves) qui en marqueraient sinon le véritable commencement tout au moins le commencement symbolique, la question de sa suite ou plus exactement de sa poursuite reste un chantier encore largement ouvert. Comment, en effet, le roman se transmet-il, en l’absence d’un cadre poétique fixe, comme une forme toujours disponible et toujours vivante ? L’étude de Thomas Pavel sur La pensée du roman apporte à ces questions plusieurs réponses, au premier chef celle qui constitue l’objet même de son livre : le roman se maintient dans le temps par sa tâche, à la fois spécifique et inépuisable, de mettre en scène les mondes idéaux que nous imaginons pour guider nos vies. Mais une autre réponse, non moins importante, traverse toute l’étude. Le roman, suggère Thomas Pavel, se transmet de façon « coutumière » : Les occasions ne sont « rares » que pendant la période visée ici par Thomas Pavel, c’est-à-dire celle qui mène jusqu’à la fin du xviiie siècle. Car, à partir du siècle suivant, non seulement les commentaires des romanciers sur le roman se font de moins en moins isolés, mais ils deviennent au fil des décennies une pratique courante, jusqu’au point de constituer au xxe et au xxie siècle un corpus critique en propre. Il ne s’agit pas de dire que ces commentaires apparaissent au xixe siècle, mais de constater leur multiplication tout au long de ce siècle — multiplication dont les différents supports et la diversification générique à laquelle elle a donné lieu (et qui l’a favorisée en retour) ont fait l’objet d’un numéro de la Revue des sciences humaines — et la façon de plus en plus « extérieure » dont ils s’expriment : non plus tant ou non plus seulement dans les oeuvres elles-mêmes, mais au sein d’espaces dédiés à la critique (revues, essais, entretiens). Mais c’est surtout la nature même de la réflexion sur le roman qui évolue, passant de la défense et la promotion à l’interrogation. Certes, il n’y a pas que le roman qui, au cours du xixe siècle, s’ouvre à la réflexion critique. La multiplication des mouvements, des écoles et des esthétiques nouvelles, de même que l’autonomie et le prestige croissants des écrivains font en sorte que leur parole, quel que soit le genre pratiqué, devient un phénomène généralisé. Mais, une fois passées les courtes heures de gloire du réalisme et du naturalisme, la réflexion des romanciers a comme particularité d’être essentiellement dubitative, insatisfaite, inquiète. La poésie connaît sans doute, de son côté, sa « crise de vers », mais la « crise » du roman, pour reprendre l’expression de Michel Raimond, semble n’avoir jamais connu, depuis l’apparition de ses premiers symptômes à la fin du xixe siècle, de dénouement. Alors pourtant que le roman domine tous les autres genres, les romanciers continuent de s’interroger sur sa finalité, sa singularité, ses voies d’avenir ; en un mot, il continue, en dépit de tous ses succès, d’apparaître comme un objet problématique, comme une forme à saisir et même à défendre. Si l’absence de définition propre au roman et, sur un plan historique, sa nouveauté relative face aux genres anciens du …

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