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Teressa Hernandez-Truesdell : Pouvez-vous nous parler un peu de Tourisme Montréal, son histoire, son rôle et sa mission ?

Pierre Bellerose : Je pourrais en parler longtemps. Tourisme Montréal a été fondé en 1919 par des commerçants tout de suite après la Première Guerre mondiale, alors que le tourisme se transformait en une activité accessible à tous et non pas seulement réservée à la classe aisée. Les commerçants souhaitaient avant tout faire la promotion de la destination montréalaise ainsi que développer son accueil. Certaines destinations nord-américaines étaient déjà dotées d’un office du tourisme et le concept existait donc déjà sur ce continent. Il s’agissait essentiellement d’un organisme à but non lucratif avec un conseil d’administration où siégeaient des gens provenant du milieu privé. À l’époque, le financement se faisait aussi par le privé, mais la Ville de Montréal ajoutait un montant approchant les 10 000 $, ce qui était énorme pour l’époque. L’organisation a ensuite été incorporée en 1924 sous la dénomination sociale de Tourist Bureau of Montreal.

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Illustration 1 : Pierre Bellerose

Illustration 1 : Pierre Bellerose
Source : Tourisme Montréal

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De ce que j’ai lu dans les archives (aujourd’hui déposées aux Archives nationales du Québec), Tourisme Montréal était une organisation très efficace et dynamique jusqu’en 1961. Deux événements importants se sont produits cette année-là. Il s’agissait dans un premier temps de la Révolution tranquille au Québec, mais aussi de la confirmation de la réception de l’Expo 67. Tourisme Montréal était à ses débuts une organisation anglophone et privée. À la même époque, le maire Jean Drapeau souhaitait avoir un office du tourisme public et francophone et a donc créé une organisation parallèle pour s’occuper de la promotion du tourisme d’agrément et de l’accueil, laissant le soin à Tourisme Montréal de solliciter et de coordonner la venue de congrès et des voyageurs en groupe. Cette séparation des tâches dans l’administration du milieu touristique a perduré jusqu’en 1989.

Aujourd’hui, la mission première de Tourisme Montréal est de faire la promotion du Montréal touristique sur les marchés de voyages d’agrément et d’affaires, de développer l’accueil des touristes et de mettre en place des stratégies pour améliorer l’offre du produit touristique montréalais.

THT : Tourisme Montréal est de fait un des plus anciens OGD (organismes de gestion de destination) en Amérique du Nord. Pensez-vous que sa mission a changé durant les dernières décennies, ou est-elle appelée à changer au cours des prochaines années ?

PB : Le rôle et la mission de Tourisme Montréal ont déjà beaucoup changé au cours des dernières décennies. La tâche d’améliorer l’offre du produit montréalais, par exemple, a été intégrée à notre mission en 1998.

Encore aujourd’hui, Tourisme Montréal est appelé à changer. La problématique de l’Office de tourisme de Montréal est que nous sommes une organisation monopolistique. Avec la taxe hôtelière, nous avons un revenu substantiel assuré. Nous sommes donc dans une situation particulière où nous n’avons aucun concurrent direct sur l’île. La difficulté est en fait de trouver de nouvelles stratégies efficaces pour attirer les touristes.

L’arrivée du Web dans l’équation n’a pas tout de suite changé la situation monopolistique de Tourisme Montréal. Notre site Web a été parmi les premières plateformes en ligne créées par un office du tourisme au monde, et ce, même avant New York. À cette époque, nous faisions beaucoup de conférences sur le sujet afin d’expliquer comment développer ce genre d’outil. Nous restions néanmoins les seuls à faire la promotion de la destination montréalaise. Le vrai changement est arrivé avec l’apparition des réseaux sociaux qui a donné la possibilité à davantage de personnes de pouvoir parler de Montréal. L’organisation a donc perdu une partie de son pouvoir monopolistique aux mains des multiples utilisateurs des réseaux sociaux. Le partage d’expériences et de photos par le biais des blogues et des plateformes sociales ne permet plus à Tourisme Montréal de contrôler les messages se rapportant à la destination, qui peuvent désormais être porteurs d’une impression positive ou négative, selon l’auteur. Afin de suivre ce changement, Tourisme Montréal a créé le hashtag MTLmoment (#MTLmoment) dans le but de fédérer et de regrouper les différents messages.

Dans ce cas, la problématique pour le Département de marketing est qu’il ne doit plus simplement se concentrer sur la promotion d’une image de marque, car la voix de Tourisme Montréal est maintenant relative comparativement à l’ensemble du bruit qui parle de nous sur le Web. La nature du marketing est en train de changer et se concentre aujourd’hui davantage sur le contenu, les banques de données et les projets fédérateurs.

Un autre changement notable qui se remarque depuis les dernières années est que la très grande majorité des touristes ont en leur possession un téléphone intelligent lors de leur séjour. Sur place, ils peuvent désormais commenter et partager instantanément leurs expériences, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Ce changement, Tourisme Montréal l’a bien pris en compte, dès son plan stratégique de 2014-2018, en considérant qu’aujourd’hui c’est l’expérience qui compte le plus. L’expérience se retrouve dans deux aspects importants, soit l’accueil et le produit. L’accueil consiste en la façon dont la destination recevra le touriste en tant qu’hôte, tandis que le produit se rapporte aux attractions et aux visites que le touriste fera. Il est fort probable que, dans les prochaines années, l’accent soit encore plus porté sur ces deux aspects, puisqu’ils sont à la base de ce que les gens transmettent sur les réseaux sociaux, pendant et après leur séjour.

Tourisme Montréal gardera donc ses trois mêmes fonctions principales, soit la promotion de la destination, le développement de l’accueil des touristes et de ses produits, mais l’importance donnée à chacune risque de changer. Et je crois que cela sera la même chose pour plusieurs offices du tourisme. Je pense notamment au changement de nom de DMAI (Destination Marketing Association International) pour DI (Destination International) : le « M » de marketing a été supprimé, car là n’est plus la seule mission des offices du tourisme.

THT : L’année 2017 fut une année exceptionnelle pour Montréal, qui célébrait son 375 e  anniversaire de fondation. Quel bilan faites-vous de cette année à quelques semaines de la fin des festivités ?

PB : C’est un bilan exceptionnel ! Il faut prendre en compte que les conjonctures étaient favorables. On pense avant tout aux conjonctures économique et politique. Dans le cas de la conjoncture politique, par exemple, on peut remercier [Donnald] Trump de nous avoir aidés avec le marché touristique mexicain. Le phénomène [Justin] Trudeau est aussi un bon exemple de conjoncture politique favorable ayant permis de promouvoir l’image du Canada à l’étranger. Il y a donc aujourd’hui un buzz aussi bien pour la destination Canada que pour la ville de Montréal.

À ça rajoutons un très grand dynamisme de la part de la Ville de Montréal avec ses multiples legs (œuvres d’art public, musées et attractions) et les événements qui ont été organisés tout au long de l’année. Tout cela a eu un effet « wow !  » dans les médias. Il ne faut pas oublier les actions agressives de Tourisme Montréal.

Il s’agit d’une année exceptionnelle à plusieurs niveaux. D’abord, en termes de chiffres et de performance, nous avons battu des records de performance touristique, qui est en forte progression depuis 2016. Pensons aussi en termes de rayonnement pour la ville au niveau des journalistes étrangers : le 375e a permis d’avoir une couverture médiatique importante à l’international qui aura des conséquences positives à long terme pour la destination. Enfin, il faut prendre en compte que le produit touristique de Montréal s’est aussi renouvelé : l’illumination du pont Jacques-Cartier et les agrandissements du musée Pointe-à-Callière sont là pour rester, comme bien d’autres legs du 375e. C’est donc sur ces trois aspects que l’on peut dire qu’il s’agit d’une année exceptionnelle et cela peut permettre de nous propulser pendant encore plusieurs années.

THT : Comment Montréal peut-elle capitaliser sur la visibilité dont elle a bénéficié au cours de cet événement exceptionnel ?

PB : Le plus important est d’utiliser les legs du 375e. Il faut mettre l’accent sur le renouveau de Montréal.

Il faut aussi prendre en compte la gestion de l’aspect événementiel. C’est évident qu’il n’y aura pas autant d’événements dans les prochaines années comparativement à cet été, puisque le budget n’est pas le même. Mais nous sommes à la base une ville événementielle et il faut donc trouver une façon de réinventer ceux qui demeureront. De plus, il faut être agressif en promotion touristique pour la tenue de congrès et d’événements sportifs d’envergure qui permettent chaque année d’attirer des milliers de touristes dans notre destination.

THT : Dans un contexte où la concurrence mondiale est de plus en plus importante entre les différentes métropoles, comment Montréal essaie-t-elle de se distinguer ? Autrement dit, est-ce que Montréal a des atouts particuliers dont d’autres villes canadiennes ou américaines ne disposent pas ? Si oui, lesquels ?

PB : Bien sûr ! L’ADN même de la ville. Nous avons une grande ville francophone et des grandes villes francophones nord-américaines, il n’y en a pas tant que ça. C’est la seule. Il y a Québec, mais il s’agit d’une ville d’une autre dimension.

De plus, Montréal se distingue par ses quatre importantes communautés, soit les francophones, les anglophones, les Juifs et la diversité. L’ADN de Montréal est constituée aussi par ses communautés qui apportent une unicité culturelle à la ville.

On peut aussi prendre en compte la créativité montréalaise. À Montréal, il y a une façon unique de créer qui peut être liée aux différentes relations historiques et présentes entre les différentes communautés. Ce mélange entre francophones, anglophones, les diversités et les Juifs a historiquement apporté beaucoup de tensions. Pensons notamment à la victoire du Parti québécois en 1976 qui a amené plus de 300 000 anglophones (près de 10 % de la population de l’époque) à quitter la ville par peur de l’indépendance. Le Front de libération du Québec (LFQ), qui était à l’époque un groupe extrémiste pour l’indépendance du Québec, est un autre exemple de ces tensions. Par contre, ces relations entre les communautés peuvent être positives et avoir des conséquences positives sur la ville de Montréal. C’est beaucoup grâce à ces dynamiques qu’a été créé le quartier du Mile-End, par exemple, ce même quartier où le groupe rock Arcade Fire a décidé d’établir son projet de bar. Des francophones et des anglophones travaillent ensemble. Montréal détient cette tension créative bien unique à elle.

L’aspect géographique est aussi une facette qui distingue Montréal des autres grandes villes. Nous avons une montagne en plein centre de la ville, ce qui offre un milieu naturel dans un centre urbain. Montréal est aussi une île. Le fleuve Saint-Laurent détient une place importante pour Montréal au niveau historique, mais aussi économique et récréatif. Notre centre-ville est donc particulier, puisqu’il se situe entre le fleuve et la montagne. D’où le projet « Fleuve-Montagne » [trajet reliant le Vieux-Montréal au mont Royal en passant par le centre-ville] qui met en évidence ce particularisme.

En continuant avec les particularités de la ville. Je pense entre autres au patrimoine religieux et historique, avec le Vieux-Montréal et l’Oratoire [Saint-Joseph], mais aussi à notre architecture, notamment les escaliers extérieurs en colimaçon. Il y a plusieurs exemples comme cela. Ce sont des particularités de Montréal qu’on ne trouvera pas ailleurs.

THT : De façon globale, quels seront les défis du tourisme urbain à travers le monde au cours des prochaines années ?

PB : Premièrement, il y a la question du transport et de la mobilité. La majorité des touristes se promènent en transport en commun ou à pied. Même ceux qui possèdent une voiture ont davantage tendance à la laisser stationnée près de leur hébergement et par la suite se déplacer autrement. Dans le cas de Montréal, il y a toute la problématique du transport entre l’aéroport et le centre-ville. Le projet du REM [réseau express métropolitain], soit une navette ferroviaire reliant ces deux destinations, se présente comme une belle solution à cette problématique.

Le deuxième grand défi est la question des quartiers. L’augmentation de l’achalandage dans certains quartiers touristiques peut devenir une problématique aussi bien pour les locaux et les commerçants que pour les visiteurs. À Montréal, une grande partie des touristes se retrouvent dans le centre-ville, le Vieux-Montréal et le Vieux-Port. Comme je dis souvent, le tourisme ce n’est pas comme de la plasticine [pâte à modeler] qu’on peut bouger à notre guise. Il faut trouver des façons de présenter différemment les autres quartiers afin de diluer la présence des touristes des quartiers touristiques centraux actuels vers de nouveaux endroits. Cette problématique est particulièrement importante dans certaines villes d’Europe telles que Barcelone et Venise. Nous ne retrouvons pas Montréal à ce niveau, mais devons quand même travailler à améliorer la situation en structurant l’offre, c’est-à-dire arriver à présenter le produit touristique des autres quartiers. Dans le cas de Montréal, il s’agirait d’inciter les touristes à visiter de nouveaux attraits dans le centre-ville ou nos autres quartiers tels que Mont-Royal, Mile-End, Rosemont, Hochelaga, etc.

La problématique du tourisme urbain se rapporte donc beaucoup à la concentration et à l’achalandage de certaines zones réduites de la ville et à la bonne cohabitation entre les touristes, les résidents et les commerçants. Si l’on prend le cas de Barcelone, par exemple, ce qui a tué la nightlife dans certains endroits de la ville est la trop grande présence de bruit qui dérangeait les résidents. D’autres villes se sont retrouvées avec le même problème : New York, Berlin, Paris, etc. Ce problème n’est pas encore très grave à Montréal, mais il faut néanmoins faire attention. Le cas du bar Divan Orange est un bon exemple. Pour éviter la fermeture du bar, l’arrondissement a financé les travaux permettant de mieux insonoriser les murs et ainsi réduire le bruit à l’extérieur. Tourisme Montréal était aussi intervenu pour que le Divan Orange reste ouvert. La communication entre les différentes parties prenantes est primordiale.

THT : Et pour Montréal ?

PB : Bien sûr, toutes les problématiques que j’ai énoncées dans la question précédente s’appliquent au cas de Montréal et j’en ai donné des exemples.

Je peux par contre rajouter la particularité de la problématique du développement d’une offre touristique quatre-saisons. Le travail est déjà commencé avec la Grande Roue de Montréal située dans le Vieux-Port et l’ajout de certains événements. Montréal est reconnue pour être une ville événementielle et, il n’y a pas si longtemps, aucun événement n’était offert à certains moments de l’année, en octobre et en avril notamment. Pour remédier à la situation, plusieurs musées se sont agrandis et sont devenus beaucoup plus dynamiques. On commence aujourd’hui à avoir une offre quatre-saisons, mais il reste encore du travail à faire.