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L’étude du tourisme français, notamment depuis la naissance des syndicats d’initiative (SI) en 1889 à Grenoble, révèle rapidement l’importance de la publicité touristique dans la construction et la promotion d’une destination et de son identité. Le travail de recherche mené pendant notre doctorat (Manfredini, 2015) nous permet d’aborder la question de l’élaboration de l’image de marque accolée à chaque destination, tant locale que régionale. Il s’avère que la pérennité des marques de territoire dépend d’éléments constitutifs datant, pour certains, des balbutiements du tourisme français et l’analyse systématique des besoins touristiques semble avoir permis une consolidation du processus de construction de l’image de marque.

Le développement des destinations touristiques s’appuie ainsi sur l’alliance de facteurs exogènes – effets de mode, accessibilité, politiques publiques ou privées – et de facteurs endogènes comme le climat, l’histoire ou la géographie (Talandier, 2015 : 178). Les politiques menées, tant pas les acteurs privés que publics, engendrent la création d’une identité centrée sur un objet patrimonial, matériel ou immatériel, ancré dans l’imaginaire par le « marketing urbain » et touristique (Colin, 2015). Par conséquent, avant l’apparition des images de marque, telles qu’on les définit aujourd’hui, l’identité du territoire était perçue par les acteurs locaux comme un atout indéniable pour développer la réputation de leur destination. Toutefois, si « les représentations forment l’identité territoriale qui constitue […] un antécédent à l’image de marque du territoire » (Alaux et al. , 2015), ce n’est pas le seul élément constitutif. Pour nous, l’image de marque est la réputation d’une destination fondée sur une identité territoriale constituée à la fois d’une histoire, d’un patrimoine, de symboles et de représentations, adoptée par les habitants et reconnue par les touristes. Nos recherches révèlent leur définition progressive et l’évolution de leur utilisation par les acteurs locaux du tourisme français. Les premières images de marque, sortes de nouvelles appellations territoriales, sont apparues entre la fin du XIX e  siècle et le début du XX e , telles la Côte d’Azur, la Côte d’Argent (expression de Maurice Martin pour désigner les plages landaises en 1905) ou la Côte d’Opale (expression d’Édouard Lévêque pour les plages de Boulogne-sur-Mer en 1911). Elles donnent alors une identité paysagère à des espaces géographiques délimités (Bertho-Lavenir et Latry, 2007 : 105). Ainsi, la Côte d’Azur, qualifiant le littoral méditerranéen d’Hyères à Gênes, est une expression inventée par l’ancien préfet et député du Second Empire, Stephen Liégeard. Titre d’un ouvrage éponyme édité en 1887 (primé par l’Académie française et réédité en 1894), ce terme est influencé par la Côte d’Or, territoire natal de l’auteur (Callais, 2016). En parallèle, le développement des SI français, depuis 1889, et leur intégration fructueuse au sein des réseaux touristiques ont permis la mise en valeur des principales régions touristiques et de leur métropole. Rapidement, la fin du XIX e  siècle et les débuts du XX e  siècle voient la spécialisation de certaines destinations, dont l’héritage historique et culturel du lieu constitue une identité forte, véritable « valeur ajoutée » pour la ville (Petrea et al. , 2013, cité dans Scatton et Schmitz, 2016). S’ensuit une lente construction des images de marque régionales et urbaines élaborées et animées par les acteurs locaux, comme celle développée par Nice avec son titre de « capitale de la Côte d’Azur ». S’il est difficile de définir une marque territoriale puisqu’il semble exister « autant de définitions de la marque qu’il a d’experts » (Kapferer, dans Alaux et al. , 2015), pour nous il s’agit d’une opération marketing menée par les acteurs publics et privés du lieu afin d’offrir une identité visuelle forte destinée à consolider les initiatives économiques et touristiques. Si l’ensemble repose sur un imaginaire construit tantôt sur des décennies, tantôt ex nihilo , la marque territoriale possède des éléments figés qui posent la question de son adaptabilité et de sa pérennité.

Notre étude diachronique confirme l’existence de ces initiatives dès la fin du XIX e  siècle, opérant ainsi bien avant la naissance du city branding , comme l’évoquent certaines études (dont Alaux et al. , 2015). Cette pratique, apparue et développée depuis les années 1980, fait de la ville « une réelle marque commerciale » et officialise des synergies parfois antérieures, comme l’illustre la création de la marque « Be Home, Be Brussels » en 2012. La France n’est cependant pas en reste, notamment grâce à la Loi sur l’aménagement du territoire (de 1992) qui engendre une réflexion sur l’identité du territoire (Fourny, 2008) et voit fleurir des marques urbaines composées d’un logo, d’un slogan et d’une charte graphique, menées tant par des régions, des départements que des villes, comme la création de la marque « Only Lyon » en 2007. Par conséquent, nous pensons que cette démarche est bien antérieure au récent marketing touristique, reposant sur des initiatives locales, socle solide et indispensable pour la création d’une marque aujourd’hui. Avec cet article, nous proposons d’étudier les outils marketing utilisés par ces acteurs du tourisme afin de comprendre et de justifier l’usage de symboles et de représentations. En parallèle, les sources produites par les SI nous permettent d’analyser l’engagement des acteurs, tant publics que privés, ainsi que leur influence au niveau local, voire national. Toutefois, la recherche d’une identité et les stratégies mises en place pour la valoriser ne sont pas toutes fructueuses et nous verrons qu’à certaines occasions la modélisation de la destination touristique est un échec, partiel ou total.

Le présent article repose sur les sources émises par les SI, déjà utilisées dans notre thèse de doctorat (Manfredini, 2015) sur Le rôle des syndicats d’initiative dans la construction de l’identité française entre la fin du XIXe siècle et les années 1970 . Elles évoquent les relations entretenues par les SI, considérés comme « la base du tourisme réceptif » et acteurs majeurs dans l’élaboration de l’offre touristique nationale à travers leur engagement local avec les acteurs publics et privés comme les associations du tourisme. L’originalité de ces sources réside, d’une part, dans le fait qu’elles ont été oubliées au sein des archives, n’ayant pas été consultées jusqu’alors, ainsi que par l’absence de dépôts (les SI n’ayant aucune obligation d’archiver leurs documents). D’ailleurs, certaines ne sont parfois même pas classées dans les archives municipales. Pourtant, elles dressent le portrait de ces associations de tourisme, reconnues par l’État, avant leur remplacement progressif par les offices du tourisme (OT). D’autre part, il s’agit d’un corpus hétérogène composé de sources internes (administratives, littéraires, épistolaires et publicitaires pour l’essentiel) et externes (journalistiques et étatiques) qui concernent sept principaux SI – y compris Lyon, Hyères, Grasse ou Tours –, mais dont les dossiers en évoquent des centaines d’autres. Notre choix s’est porté sur les dépôts les plus prometteurs ainsi que sur notre disponibilité pour les explorer lors de nombreux déplacements, laissant de côté certains dossiers subsidiaires. Aussi, l’étude comparative des exemples les plus pertinents nous a paru la plus appropriée pour éclairer les politiques touristiques et publicitaires menées par ces acteurs touristiques. L’analyse des images de marque et de leur mise en place, à travers l’évolution des conceptions touristiques et publicitaires, révèle les moyens, les discours ainsi que les représentations privilégiés. Nous appuyant sur les points communs repérés en cours d’étude, nous pouvons identifier la construction de ces images de marque et leur évolution depuis la fin du XIX e  siècle. Notre travail met en lumière l’histoire des acteurs à l’origine de la mise en place du tourisme français depuis leur origine, à la fin du XIX e  siècle, jusqu’aux années 1970. Nos sources évoquent d’ailleurs l’implication professionnelle et personnelle de ces acteurs dans la promotion du territoire. Nous pensons que leurs motivations, leur mobilisation au sein des réseaux touristiques ainsi que leur capacité d’adaptation peuvent être des facteurs justifiant la réussite ou l’échec de la construction des premières images de marque. Si les premiers OT prennent le relais des SI dans les années 1960, l’ensemble des acteurs locaux, publics et privés, sont à l’origine de ces nouvelles marques urbaines qui valorisent le territoire qu’ils ont pour mission de développer. Malgré une légère baisse en 2016, la France reste la première destination touristique mondiale, avec 83 millions de touristes en 2017 ( L’Écho touristique , 2017) ; il est donc légitime que nous nous interrogions sur ses atouts, dont les « images de marque » semblent aujourd’hui faire partie. C’est pourquoi nous prolongeons ici la temporalité de notre étude initiale en incluant les offices du tourisme jusqu’à aujourd’hui. Le temps long nous permet d’analyser l’évolution des constructions mémorielles et leur diffusion à travers la publicité touristique. Les approches sociohistorique – au fil de l’histoire des membres des SI et des OT – et sémiologique – par l’étude des images que ces acteurs élaborent, associées aux écarts temporels – permettent d’observer la construction et la modernisation de l’image de marque. L’approche chronologique quant à elle dresse le portrait d’une politique touristique émergente mais dynamique où l’image et les représentations forgent sa durabilité, tout en nécessitant son adaptabilité. À la croisée de l’histoire des représentations, des mentalités et du marketing, notre étude s’interroge sur l’influence entre territoire et image de marque comme reflet des ambitions mémorielles des sociétés locales.

Si dans le cadre de nos recherches nous avons pu démontrer le rôle fondamental des SI dans la mise en place et la consolidation des politiques touristiques locales, en France, d’autres questions se posent aujourd’hui. Sur quelles modalités repose le processus de construction des images de marque au niveau local ? Quel est l’impact de ces réputations et les marques territoriales actuelles peuvent-elles en être les héritières ? Ces marques territoriales peuvent-elles devenir un poids pour le territoire ?

Pour répondre à ces interrogations, nous proposons l’étude des politiques adoptées par les SI et les OT afin d’éclairer le lent processus destiné à construire et à consolider les images de marque. Dans les paragraphes qui suivent nous relevons les éléments constitutifs de l’identité territoriale, définis comme tels par les acteurs du tourisme, pour ensuite souligner la médiatisation de cette identité, point central pour consolider une image de marque. Enfin, nous abordons la marque Only Lyon qui, sans être un exemple unique au sein de notre thèse ou dans cet article, reste un cas exploratoire qui permet d’entrevoir l’héritage des politiques touristiques plurielles menées jusqu’à sa création ainsi que les limites d’un tel objet.

Identifier et promouvoir sa différence

Les marques territoriales, créées entre la fin du XIX e  siècle et le début du XX e , souhaitent frapper l’imaginaire du touriste. Elles insufflent de l’exotisme, source de nouveauté, afin de susciter le plaisir de la découverte, comme ce fut le cas pour l’appellation Côte d’Azur véhiculée par tous les acteurs du tourisme local. Dès le XIX e  siècle, les acteurs touristiques prennent conscience de l’atout constitué par l’identité pour consolider la réputation du lieu. Les SI ont particulièrement œuvré à la construction du processus constitutif de ces images de marque.

Naissance d’un panthéon touristique

Pour construire l’image de marque de leur territoire, les réseaux touristiques ont œuvré ensemble afin d’élaborer un processus constitutif. Tout d’abord, les SI et leurs partenaires se sont appuyés sur l’histoire du lieu pour mettre en place une politique patrimoniale de défense et de préservation. Cette étape, étroitement liée au développement du tourisme (Bertho-Lavenir, 1998), se concrétise en parallèle par l’ouverture de musées, devenus chacun un « lieu de culte national » (Melonio, 2001 : 163). Il s’agit d’engendrer une « appropriation collective » (Guillet, 2011 : 98) en rassemblant les événements, les héros locaux et les productions emblématiques du territoire. Ce désir d’appropriation est révélateur de « l’égo surdimensionné de nos élites » (Équipe MIT, 2005 : 103), qui considèrent leur passé comme un marqueur identitaire suffisamment fort pour devenir un facteur décisionnel dans la préparation du voyage. Ainsi, comme le rappelle Anne-Marie Thiesse (2001), la vocation patriotique et thérapeutique de l’histoire est utile à tous points de vue : pour les acteurs locaux qui en appellent à la vocation patriotique des habitants, engagement renforcé à certaines périodes historiques lorsque l’unité de la nation est en jeu, pour le touriste qui en parcourant la mémoire de l’autochtone enrichit la sienne, et enfin pour les collectivités locales dont les retombées touristiques participent à l’attractivité du territoire.

À la fin du XIX e siècle et jusqu’aux années 1930, la France met l’identité au cœur de sa politique touristique dans un contexte où la rivalité avec l’Allemagne est de plus en plus vive. D’ailleurs, cette politique de mise en valeur de l’identité des espaces touristiques français, dont l’histoire, le patrimoine – matériel et immatériel –, les paysages et la production culturelle locale constituent un socle solide de l’imaginaire touristique, est concrétisée par le « village des régions » créé en vue de l’Exposition internationale des arts et techniques, à Paris, en 1937 (voir illustration 1 ). L’année précédente, Amédée Trouillard [1] avait donné le ton dans une lettre adressée au préfet des Deux-Sèvres : « Il faut créer une sorte de mystique du tourisme grâce à laquelle toutes les générations iront, […] communier avec la beauté du sol français. » Le Front populaire, nouvellement arrivé au pouvoir, voit le tourisme comme un facteur d’unité pour la nation, pour la famille et pour les territoires locaux (Larique, 2006 : 711). Si la question de l’identité semble secondaire après la Seconde Guerre mondiale, il n’en est rien. Les réseaux touristiques, avec l’accélération des échanges, les progrès techniques et l’évolution des attentes formulées par les touristes, s’engagent dans une spécialisation des destinations, gage de qualité si la station parvient à se renouveler sans se dénaturer. La cohérence devient un enjeu fondamental dont les chartes graphiques, apparues depuis vingt ans, sont des vitrines, réussies ou non.

Illustration 1 

Le village des régions à l’Exposition internationale des arts et techniques

Le village des régions à l’Exposition internationale des arts et techniques
Source : Photographie de la maquette du village des régions, Paris, 1937, ANF 12117

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L’atout patrimonial, du matériel à l’immatériel

Le patrimoine, quelle que soit sa forme, est une valeur ajoutée essentielle pour la destination touristique. La relation au patrimoine – c’est-à-dire à l’ensemble « d’attributs, de représentations et de pratiques fixés sur un objet non contemporain dont est décrétée collectivement l’importance » (Lazzarotti, cité dans Talandier, 2015 : 180) – mise en place par les réseaux touristiques locaux alimente l’imaginaire des touristes et l’identité du territoire auprès des habitants qui intègrent peu à peu ces éléments à leur identité individuelle. Magali Talandier (2015 : 179) fait très justement remarquer que c’est « l’imbrication entre culture et territoire qui fait la spécificité du lieu », devenant sans doute l’une des clés pour comprendre la construction des destinations touristiques. En France, les SI font partie des principaux acteurs qui ont particulièrement œuvré à la préservation et à la valorisation du patrimoine matériel comme immatériel, notamment en participant au « relevé architectural », c’est-à-dire au recensement des monuments et des paysages (Oulebsir, 2011 : 114). Par le biais des outils publicitaires, entre autres les guides, le classement des monuments ou la mise en scène du folklore, il s’agit de créer des marqueurs identitaires. Cela officialise la valeur des principaux éléments patrimoniaux, matériels ou immatériels, aux yeux des touristes, comme les habitants qui alimentent à leur tour l’imaginaire de la destination. L’identité territoriale est ainsi consolidée grâce à la communion des images interne (celle des habitants) et externe (celle des touristes) (Scatton et Schmitz, 2016 : 3). La ville d’Aix-En-Provence, par exemple, use de son patrimoine pour conforter sa nouvelle identité. La publicité insiste sur le carrefour urbain représenté par la Rotonde, jonction entre la vieille ville et la ville moderne, ainsi qu’avec le cours Mirabeau, artère principale du lieu (voir illustration 2 ). Bordée de platanes, cette avenue offre de « belles perspectives », comme le rappelle l’un des guides de la ville [2] . Les guides font également une promotion active pour les fontaines de la ville [3] , notamment celle en haut du cours Mirabeau où est érigée la statue du roi René d’Anjou, rappelant la vocation thermale de cette cité.

Illustration 2 

Aix-En-Provence et ses monuments emblématiques

Aix-En-Provence et ses monuments emblématiques
Source : En-tête de la correspondance du SI d’Aix-En-Provence, 1954 , A.D.BDR, 212W40

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Spécialiser la destination pour conforter l’image de marque

Les acteurs privés et publics, dont les SI, ont œuvré au développement de la publicité touristique, bouleversant parfois leur mission première, comme ce fut le cas pour les SI spécialisés dans l’accueil et le renseignement. Ces derniers sont devenus de véritables « agences de marketing » qui utilisent les paysages locaux pour inventer ou réinventer leur territoire (Oulebsir, 2011 : 127). Dans cette mission, les SI étaient aidés par divers acteurs comme les chambres de commerce ou les compagnies de transport pour diffuser leur publicité par le biais de pochettes et de petits colis [4] . Jean-Christophe Gay (2006 : 18) rappelle le rôle joué par ces compagnies tant dans l’hébergement que l’animation. On peut citer celle du Paris-Lyon-Marseille (PLM) qui participe par exemple à la création d’affiches et s’installe dans les locaux de certains SI, tel à Hyères [5] . Ainsi, de multiples outils publicitaires ont permis aux SI d’élaborer un imaginaire riche en stéréotypes faisant de chaque région et chaque grande ville « une pièce essentielle dans une construction partagée de l’identité nationale » (Guillet, 2011 : 105). L’ illustration 3 synthétise le travail mené par les SI au niveau local et les étapes du processus de mise en tourisme du territoire.

Illustration 3 

Processus de construction de l’image de marque entre le XIXe  siècle et les années 1970

Processus de construction de l’image de marque entre le XIXe  siècle et les années 1970
Source : Compilation de l’auteure

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La spécialisation d’une destination n’est pas toujours simple, et de l’engagement des acteurs locaux dépend sa réussite. Ce fut le cas de la Bourgogne, dont l’identité touristique n’allait pas de soi dans les décennies 1920 et 1930. La politique menée par Gabriel Jeanton, vice-président du SI de Tournus, en faveur des traditions populaires du Mâconnais a permis une prise de conscience régionale. La fête du vin, instaurée à Mâcon et déclinée dans certaines villes françaises [6] , est venue conforter le poids de cette métropole locale, rejaillissant de fait sur le territoire bourguignon (Bleton-Ruget, 2011 : 47). Pour d’autres, l’identité de la ville et du territoire alentour est déjà inscrite dans les politiques locales et reconnue par les touristes. Comprenant les enjeux touristiques et économiques de cette situation, certains SI se sont spécialisés très tôt, comme ce fut le cas dans les villes thermales françaises les plus réputées telles Aix-les-Bains, Vichy, Vittel ou Contrexéville. Dans ces exemples, on perçoit le rôle actif d’un réseau professionnel qui utilise les eaux, leurs vertus et les paysages spécifiques pour vanter leur destination et forger une image de marque. Cependant, la spécialisation du SI local n’est pas forcément un gage de réussite pour la construction de la destination touristique ; d’ailleurs les villes d’eaux peinent dans les années 1950 à relancer l’activité thermale et à attirer des touristes.

De nombreux exemples sont surtout marqués par les milieux journalistiques dont l’engagement publicitaire est sans précédent, à l’exemple d’un Paul Ruat, éditeur et libraire, fondateur de la revue Provence en 1899 (Tacussel et Tacussel, 2003). Ses outils professionnels lui ont permis de valoriser les représentations de la Provence et les thèmes fédérateurs comme les arlésiennes, les félibres ou les monuments provençaux, forgeant les caractéristiques de l’identité provençale, sans qu’une image de marque ne soit officiellement créée. Il faut attendre 2017 pour que la marque « Provence, enjoy the unexpected » soit officiellement lancée. Toutefois, l’engagement dont ces acteurs, passionnés par leur ville, voire leur région, font preuve, se fait souvent au péril de leur vie familiale.

Le rôle du marketing

Paysage et identité, une étroite relation

Les premiers outils de la publicité touristique sont les guides, des grandes collections Joanne ou Hachette , par exemple, à ceux élaborés par les organismes locaux. Héritiers des écrits de voyages bien que leur forme diffère, ils sont perçus par les uns comme un des « fondements de l’industrie touristique » (Hoerner et Sicart, 2003 : 83) quand d’autres pensent qu’ils « encombrent la mémoire » (Meunier, 1999). Les guides dressent le portrait de la destination, de son histoire à ses monuments, en passant par ses spécialités culinaires. Distribués par les acteurs du tourisme réceptif, comme les SI, ils contribuent à une meilleure lecture de l’espace et de ses codes. Le guide est un support qui « construit et invente des espaces », façonnant l’identité de la ville, de l’espace local comme de la nation (Chabaud et al. 2000 : 6). Leurs couvertures insistent, de façon récurrente, sur les principaux outils et symboles qui identifient la destination. En parallèle, d’autres supports sont élaborés, comme les affiches ou les dépliants, dont les touristes sont friands. De fait, lorsque l’association de symboles fonctionne, elle est déclinée à volonté sur l’ensemble des supports connus. Tous ces éléments construisent un paysage, attendu par les touristes et entretenu par les principaux acteurs, notamment par le biais de films touristiques résumant l’identité du territoire, comme ceux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) diffusés au théâtre de Marigny en 1947 [7] . L’image promotionnelle devient dès lors un outil à la fois indispensable et contestable, puisque le paysage exposé aux touristes reste peu perméable aux changements. De plus, en véhiculant les représentations attendues par les touristes, l’art fait du paysage un atout considérable, consolidant la réputation des régions touristiques, comme ce fut le cas de la Côte d’Azur. Ainsi, la mer bleu azur, le ciel ensoleillé, les côtes rocheuses et la végétation méditerranéenne constituent l’ensemble des symboles de la Côte d’Azur évoqués tant dans le guide Joanne de 1900 que sur les affiches du PLM de la fin du XIX e  siècle [8] (Callais, 2016). La couleur bleue, autrefois redoutée car associée au divin, est valorisée depuis la fin du XVIII e  siècle, mise en scène par le romantisme, elle devient un symbole d’évasion et de plaisir (Urbain, 2014 : 36). La diffusion nationale et internationale de cette appellation alimente et confirme la réputation de ce territoire, dont l’identité est reconnue par les Niçois dès 1900, lorsqu’ils parent leur ville du titre de « capitale de la Côte d’Azur » (Callais, 2016). À cette même époque, Henri Moris publie Au pays bleu (Alpes-Maritimes) , référence là encore à cette couleur élément d’identité pour le littoral niçois. De même, le poète reconnu et urbaniste Robert de Souza associe Nice et la Côte d’Azur, proposant pour cette ville le titre de métropole de région dans son ouvrage Nice, capitale d’hiver en 1913 (Urbain, 2014 : 31). Il faut toutefois attendre 1940 pour que le Comité régional du tourisme (CRT) associe l’appellation Riviera Côte d’Azur au seul département des Alpes-Maritimes, fait confirmé dans les années 1960 par le Commissariat général au tourisme pour l’espace côtier de Théoules à Menton. Destination touristique d’hiver par excellence du XIX e  siècle jusqu’à la naissance de la saison d’été en 1925, puis destination d’été jusqu’à aujourd’hui, la marque Côte d’Azur ne fut déposée à l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) qu’en juin 2009 par le CRT des Alpes-Maritimes. Malgré cette officialisation qui confère une plus grande légitimité au territoire comme à la marque Côte d’Azur, celle-ci n’aurait pu perdurer sans cette solide construction antérieure.

Le renforcement des symboles passe également par la simplification du message et son actualisation. Les affiches des années 1920-1930 s’étaient déjà renouvelées pour faire face à la concurrence de nouveaux supports comme la radio ou le cinéma (Bargiel, 2004 : 53), ce dont témoignent les productions de Pierre Commarmond ou Roger Broders, deux affichistes et illustrateurs français. En valorisant les atouts du paysage de la destination touristique, les affiches comme les multiples supports publicitaires ont utilisé les « marqueurs touristiques », dont le paysage, dans cette construction de l’image de marque. Dès lors, le paysage devient « un lieu de la mémoire collective » (Salomé, 2005 : 59 ‑ 60) inhérent aux qualités touristiques d’un territoire ainsi qu’un objet conflictuel entre une mémoire communautaire locale et celle en construction dédiée à la valorisation du territoire.

Regard et identité, naissance des logos touristiques

De son côté, le logo, autrefois expression du pouvoir urbain, devient lui aussi un élément visuel constitutif de l’image de marque. Alliance d’un symbole et d’un nom de marque, cet outil publicitaire et identitaire est l’héritier des armoiries urbaines. Dès le XII e  siècle, les armoiries sont adoptées par les villes pour symboliser « leur liberté et leur victoire sur les seigneurs » (Marchou-Mascort, 2003 : 10). Depuis le XVI e  siècle, leur style a évolué, et ce, jusqu’à la fin du XIX e  siècle où elles sont devenues libres d’utilisation. Libres de droit, elles constituent une propriété privée et leur symbolisme est, aux yeux de tous, synonyme d’identité (Pastoureau, 2007 : 84). Utilisées et perçues comme « ambassadeur touristique », les armoiries se retrouvent sur de nombreux supports utilisés par les acteurs touristiques locaux (Marchou-Mascort, 2003 : 88). Lorsqu’elles sont adoptées et intégrées dans l’imaginaire local, elles influencent les futurs logos touristiques, comme l’illustre l’exemple de Tours [9] . Exposées sur les couvertures des guides touristiques des années 1950, les armoiries utilisées par le SI arborent un château surmonté de trois tours et couvert par une couronne, symbolisant l’héritage historique des châteaux de la Loire mis en scène au sein d’un paysage rural (voir illustration 4 ). L’identité du territoire, dont Tours se présente comme la capitale, rappelle le nom de la ville tout en évoquant les nombreux châteaux, emblèmes paysagers et historiques. Si les logos touristiques se multiplient dans les années 1980, ils sont en grande majorité les héritiers de ces anciennes armoiries. Aujourd’hui, le logo de la ville de Tours rappelle cette tour emblème de la ville dont les contours graphiques sont sans équivoque, tandis que l’Office de tourisme du Val de Loire réutilise l’image du château pour symboliser ses excursions sur son site [10] .

Illustration 4 

Tours et ses châteaux

Tours et ses châteaux
Source : Couverture du guide Touraine et les châteaux de la Loire , SI de Touraine, 1950, AM Tours, 4R447

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Depuis les années 1980, le logo touristique se démocratise et rejoint les nombreuses initiatives comme celles de l’alimentation, l’automobile ou l’industrie de la mode. Si traditionnellement la construction des logos héritait de la modernisation des armoiries urbaines, aujourd’hui il s’agit d’un élément indispensable de la construction des marques touristiques. Désormais, l’ensemble des représentations qui forment l’identité territoriale sont synthétisées à travers ce nouveau logo. Celui-ci répond à cette quête de la renommée en étant plus facile à lire et à diffuser. Le logo de Briançon offre lui aussi l’exemple d’une continuité identitaire entre les armoiries et les logos touristiques, mais révèle surtout son rôle dans la nouvelle identité graphique créée par la ville [11] . La charte de janvier 2017 explique cette démarche et illustre cette nouvelle fonction des logos touristiques. Celui de Briançon comporte un bâtiment géométrique blanc sur un fond bleu azur, monument réutilisé sur le site Internet de la Ville et décliné également sur un fond rouge (Ville de Briançon, n.d.) (voir illustration 5 ). Accompagné du slogan « La ville qui grimpe », le logo exprime cette réalité géographique par la verticalité des lignes et des perspectives au sein du dessin. Les cinq traits blancs perpendiculaires représentent les cinq vallées qui convergent vers Briançon. Enfin, le nom de la ville sous le logo est un socle solide, gage de stabilité entre « valeurs du passé et vision d’avenir ». Cette modernisation engendre une refonte totale et coûteuse des supports de communication, ainsi qu’une dépense considérable pour faire connaître le nouveau visuel. Toutefois, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer le succès de cette nouvelle marque, née il y a quelques mois, ni d’en mesurer l’impact. Ce constat est vrai pour l’ensemble des logos touristiques et des nouvelles chartes graphiques qui se multiplient depuis les années 2000 et pour lesquelles aucune étude n’a été menée avant leur mise en place, rendant plus difficile un futur bilan. Enfin, rappelons combien le numérique est un atout considérable pour la construction des images de marque, agissant comme un certificat d’authenticité et de modernité pour la destination. Les chartes graphiques sont mises en ligne et consultables librement, ce qui offre un mode d’emploi, voire un modèle pour les futures initiatives tout en justifiant une continuité visuelle. Dans le processus de construction de l’image de marque de la Côte d’Azur, le numérique a joué un rôle important, dès 1996, lorsque le premier site Internet du CRT Riviera Côte d’Azur a assuré la promotion de son territoire, notamment en consolidant sa réputation de terre des festivals. Les sites mis en ligne par les acteurs des réseaux touristiques sont des vitrines indispensables. Ils sont accompagnés par les réseaux sociaux qui, en fournissant aux touristes l’occasion de donner leur avis, authentifient la qualité de la destination mais aussi ses limites. Loin d’être un point négatif pour les destinations, ces réseaux offrent parfois une image plus proche de la réalité et sans doute moins décevante pour les touristes.

Illustration 5 

Logo de Briançon utilisé par l’Office du tourisme

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Naissance officielle des marques de territoires

Depuis les années 1950, la demande est de plus en plus forte. Le tourisme et ses acteurs doivent y répondre pour satisfaire au mieux les touristes et conserver la position de leur destination. La concurrence est donc rude entre les territoires touristiques les plus actifs, même si les réseaux touristiques collaborent sur bien des points (Manfredini, 2015). Si la ville est un lieu dynamique où s’expriment les politiques touristiques et de loisirs, elle s’engage a fortiori dans une politique de différenciation (Fabry et al. , 2015 : 11). Désormais, « le territoire est pensé comme une ressource pour l’action », comme l’expliquent Véronique Chanut et Corinne Rochette (2012) dans leur article « La fabrique d’une marque région ». Les marques régionales se multiplient, telles « Auvergne, nouveau monde » (2010) ou la marque « Bretagne » (2011), devenant « emblématiques des nouveaux développements du marketing territorial ». Il s’agit d’offrir une légitimité à la destination, une meilleure lisibilité du territoire, et de renforcer par là même la compétitivité de la région. Les marques en effet « créent de la valeur », quelles soient touristiques ou non, notamment une valeur financière (Corbillé, 2013). De plus, les images de marque, accompagnées de leur logo et slogan, donnent du sens à la ville. Bernard Lamizet (cité dans Lenoir-Anselme, 2008 : 42) disait à ce propos que « pour penser la ville et comprendre les logiques de représentations qui la structurent, il ne faut pas tellement penser l’organisation de la ville comme une organisation fonctionnelle mais comme une organisation symbolique ».

En soi, les objectifs d’aujourd’hui ne diffèrent pas de ceux d’hier, seul l’ancrage compte. En effet, les acteurs publics et privés, concernés par ce projet de marketing territorial, se rassemblent pour œuvrer ensemble malgré des objectifs parfois différents. Souvent, la démarche est justifiée comme étant « un moyen de préserver l’identité singulière » du territoire, s’appuyant sur le patrimoine local dont les accents passéistes sont parfois critiqués (Chanut et Rochette, 2012). Cependant, les acteurs déclarent aujourd’hui agir davantage pour faire face à la concurrence et se démarquer, révélant le contexte d’hyperconcurrence (évoqué par Assens, 2010) comme un facteur renforçant la spécialisation des territoires (Chanut et Rochette, 2012). À la fin des années 1990, les travaux sur le marketing territorial ont montré comment une communauté, « à travers son territoire, mobilise un ensemble d’actifs visant à gérer le plus harmonieusement possible les contraintes que l’économie mondialisée fait peser sur elle » ( ibid. ). Si aujourd’hui on note un mouvement en faveur du « Made in France », faisant de l’origine géographique un « critère déterminant » qui en consolide l’identité, l’histoire de la mise en tourisme du territoire français révèle également le poids historique de ces initiatives, aboutissant parfois à des marques urbaines et territoriales pérennes comme celles de la Côte d’Azur. L’ illustration 6 présente le processus mis en place progressivement par ces acteurs touristiques. Pour la Provence-Alpes-Côte d’Azur, première région d’accueil des touristes français et deuxième pour les touristes étrangers, l’affirmation de son identité passe par l’alliance des acteurs et des réseaux « autour de grandes marques de destination afin d’améliorer leur compétitivité à l’international » (Alpes de Haute Provence, n.d.). Ces multiples initiatives augmentent les embauches depuis 1995 et ont des répercussions favorables pour les grandes villes, les territoires de montagne ainsi que les stations littorales. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir quels points d’appui peuvent consolider une marque territoriale lorsque celle-ci diffère de l’image d’origine travaillée par les acteurs locaux. Le travail de Chanut et Rochette évoque le cas de l’Auvergne, où l’identité centrale est fondée sur les volcans depuis des décennies, faisant écho au potentiel géographique et géologique du territoire, sans toutefois oublier les multiples identités présentes au sein des départements qui constituent cet espace, chacun marqué par des symboles forts, comme le Cantal et sa marque rouge ou le Puy-de-Dôme et ses volcans. Aujourd’hui, le succès d’une marque repose à la fois sur sa construction historique, qui a permis aux habitants d’adhérer à cette identité territoriale, allant jusqu’à la revendiquer, et sur une réappropriation volontaire des acteurs publics et privés actuels ainsi que des touristes. En Auvergne, les habitants ont été consultés pour définir le contenu de la marque « Auvergne, nouveau monde », par exemple (Chanut et Rochette, 2012), afin d’orienter la future politique marketing. Toutefois, si les marques peuvent être déposées à l’INPI, les protégeant de fait, ou profiter des contrats de destination lancés en 2012-2013 puis 2014-2015, comme « Arts de vivre en Provence », faire vivre une marque est un défi considérable qui nécessite reconnaissance et renouvellement régulier. Aussi, si l’héritage historique et touristique est un atout pour cette construction, d’autres mécanismes doivent s’ajouter pour consolider cette marque, tels que l’adhésion des acteurs publics et privés, la diffusion des visuels graphiques par les réseaux ou encore l’impact émotionnel de la marque auprès des touristes.

Illustration 6 

Éléments constitutifs d’une image de marque

Éléments constitutifs d’une image de marque
Source : Compilation de l’auteure

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Histoire d’une image de marque, le cas d’« Only Lyon »

En 2007, la marque Only Lyon est créée par « Grand Lyon, l’Esprit d’Entreprise » (GLEE) – regroupant les principaux acteurs locaux comme la Chambre de commerce et d’industrie de Lyon et la Chambre de l’artisanat du Rhône – dans l’objectif de développer l’image et la notoriété de la ville, en s’inspirant d’autres démarches qui ont déjà fait leurs preuves, comme à Amsterdam ou à New York. Or, Lyon est présentée comme la première ville française à se doter d’une stratégie de marketing territorial, avant même Paris, dont la notoriété n’avait jusqu’ici pas besoin d’une telle entreprise. Dans son étude, Qiong Huang (2013 : 15) rappelle qu’il s’agit de la « seule ville internationale à fonder [sa stratégie de marketing territorial] sur un mode de gouvernance aussi large » comprenant au total treize partenaires institutionnels et économiques actifs au niveau international. Bien que sa renommée soit déjà bien établie, Lyon a choisi d’orienter sa politique touristique vers l’Europe et l’international. Si les ambitions européennes ne sont pas nouvelles – comme l’illustrent les guides touristiques des années 1960-1970 (Saunier, 1993) –, en devenant une métropole européenne de référence grâce au rayonnement de sa marque Only Lyon, la Ville espère étendre et affirmer sa renommée à l’international.

Lyon, ancienne destination touristique aux fondements solides

Pierre-Yves Saunier (2013) écrit que Lyon est traditionnellement présentée comme une cité au cœur d’un vaste territoire qu’elle domine, tel un « carrefour » dont la richesse économique et industrielle n’est plus à prouver. Un guide de 1910 [12] la décrit comme une « capitale » qui « offre tous les signes distinctifs ». Sa vie culturelle, artistique et scientifique est systématiquement valorisée, comme son influence spirituelle perpétuée par son patrimoine religieux. Elle est aussi décrite par sa position, au pied de deux collines, avec son « peuple de dômes, de flèches, de tours, de campaniles, de coupoles et de clochers […] comme de grands pasteurs menant des troupeaux » (Saunier, 1993), confortant peu à peu une certaine notoriété favorable au tourisme religieux.

Ses acteurs locaux, en premier lieu le SI, ont œuvré inlassablement pour conforter la réputation touristique de la ville. En 1942, bien que sous le régime de Vichy, le CRT de Lyon obtient la gestion de la XII e  région économique, ce qui consolide la position de la ville sur son territoire [13] . Les archives relatent d’ailleurs l’enjeu d’un tel choix, cette décision mettant en concurrence les villes de Lyon et de Grenoble. En 1950, le SI prend un statut régional et s’intitule SI régional de Lyon maison du tourisme [14] . Cette promotion survient à une période où la ville étend considérablement son territoire et détient une suprématie sur l’ensemble de sa région. Il ne s’agit cependant que d’une officialisation, cette position régionale étant déjà officieusement détenue.

Parmi les piliers sur lesquels Lyon s’appuie, les atouts historiques sont en bonne place à côté des textiles techniques et des loisirs numériques (Huang, 2013 : 15). Pendant longtemps, la ville s’est démarquée en faisant la promotion des traces de la période antique et de la Renaissance présentes sur son territoire, quand l’ensemble des villes françaises misaient sur l’héritage de la période médiévale. De même, la valorisation des enseignes percées par les balles tirées lors des émeutes de 1834 et de 1870 donnait l’impression que la capitale lyonnaise était un lieu où l’histoire de la nation continuait à s’écrire [15] . Au XX e  siècle, Lyon semble avoir trouvé sa vocation touristique, notamment lorsqu’en 1935 elle est qualifiée de « capitale mondiale de la gastronomie » (Csergo, 2008 : 33).

Une identité fondée sur le visuel : destinée du lion héraldique

Considérée comme la « capitale des Gaules », la ville de Lyon arbore des armoiries légèrement modifiées au début du XX e  siècle avec l’intégration de deux symboles, le lion et la fleur de lys. Ces deux symboles avaient été réclamés par le garde des sceaux au sénateur Vaïsse, sous le Second Empire, sans succès. Il fallut attendre le début du XX e  siècle pour que le conseil municipal les adopte. Le lion rappelle la lutte menée par les bourgeois lyonnais contre le pouvoir de l’archevêque. Souvent synonyme de force, renvoyant parfois au peuple, l’animal fréquemment utilisé pour les statues de la République est ici un motif parlant qui fait référence au nom de la cité (Richard, 2012 : 19). Avec le retour de ces deux symboles, illustrant l’histoire de la ville et ses rapports tant avec la royauté qu’avec l’Église, Lyon retrouve une part de son identité et l’offre à la vue des touristes. En effet, le symbole du lion est dupliqué à chaque occasion où la ville doit se mettre en valeur. Mais c’est lors de la foire de Lyon, en 1950, que le SI a insisté et obtenu l’utilisation d’un nouveau « drapeau » pour sa ville, utilisant « un fond rouge portant le lion héraldique blanc » [16] (voir illustration 7 ). Sur la publicité, produite à 10 000 exemplaires et accompagnée d’une oriflamme identique, l’animal marque les esprits et fusionne définitivement avec le nom de cette ville. Au gré des années, le lion est modifié par les artistes et devient un emblème aux multiples facettes conférant à Lyon un titre officieux de « capitale culturelle », où l’art s’exprime jusque dans la rue. En 2004, l’événement « 60 lions, 60 lieux, 60 artistes », dont le succès est à l’origine de la biennale des lions en 2006, illustre cette expression des artistes plasticiens dans les rues de la ville, valorisation artistique du plus marquant symbole de la ville. Ces initiatives trouvent une résonnance dans la célébration du centenaire de la foire de Lyon, dont les affiches poursuivent ces initiatives entreprises depuis de nombreuses années déjà (comme on peut voir sur l’ illustration  8), afin de diffuser une image moderne de la ville au niveau international.

Illustration 7 

Le lion, figure héraldique

Le lion, figure héraldique
Source : Timbre de la foire de Lyon, 1953, collection particulière

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Illustration 8 

Évolution des affiches de la foire de Lyon

Évolution des affiches de la foire de Lyon
Sources : Affiches de la foire internationale de Lyon de 1962, 1974 et 1977, collection particulière

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La marque et son rayonnement

Si nous avons principalement examiné la ville de Lyon avant la création de la marque Only Lyon, les études ultérieures apportent des éléments qui confortent notre constat ( voir : Tota, 2007 ; Chanoux 2013 ; Huang, 2013) . L’étude menée par Huang (2013), par exemple, démontre que la marque Only Lyon s’appuie sur les ressources lyonnaises afin de consolider et valoriser cette démarche, travail mené précédemment par le SI et les acteurs touristiques locaux. Cela s’accompagne de diverses opérations de communications locales, nationales et internationales et d’événements à la renommée internationale, comme la foire de Lyon ou la fête des Lumières. Lyon a en outre renforcé sa présence dans la presse internationale pour se garantir une meilleure visibilité. Enfin, un réseau d’ambassadeurs fut mis en place sur le territoire, l’inscription se faisant sur Internet et donnant accès à un kit de l’ambassadeur pour faciliter la promotion. En 2013, il comptait 10 500 membres (nombre qui depuis n’a cessé d’augmenter), accompagnés par huit correspondants internationaux installés notamment à New York, Paris ou Montréal.

L’atout de la marque Only Lyon est un réseau fondé sur un « multi-partenariat » regroupant treize acteurs de domaines variés (issus des milieux économique, touristique, culturel, politique et universitaire), auxquels cinq nouveaux partenaires se sont joints en 2012, parmi lesquels Électricité de France (EDF), Électricité réseau distribution France (ERDF) et Renault Trucks, ainsi que des acteurs « invisibles », dont l’État et l’Union européenne (Huang, 2013 : 16). Les acteurs, tant privés que publics, se mobilisent pour consolider cette marque territoriale, profitable à Lyon comme aux territoires environnants. Aujourd’hui on reconnaît les enjeux et les atouts d’une coopération décentralisée, menée précédemment à l’échelle locale, et Lyon utilise ce moyen afin de fédérer les acteurs et les multiples initiatives. C’est ainsi que la ville a construit « un écosystème autour de la thématique lumière », comme l’explique Joël Gayet (2017). Les acteurs d’Only Lyon ont fondé la fête des Lumières qui, pour fonctionner, a besoin du cluster lumière[17] qui assure la formation professionnelle, aidé par les écoles d’éclairages (Masters de l’Institut national des sciences appliquées [INSA]). L’initiative est relayée par l’association Lighting Urban Community International (LUCI), un réseau mondial présidé par la Ville de Lyon, le Festival of Light à Dubaï, ainsi qu’une vitrine locale avec le Grand stade de Lyon (dit des lumières), lieu qui a accueilli le Championnat d’Europe de football 2016 (ibid.).

Cette marque devient à la fois un facteur attractif pour solliciter et accueillir de grands événements internationaux, un gage de qualité ainsi qu’un atout économique qui dynamise l’investissement local. La ville de Lyon devient peu à peu une référence incontestable en tant que capitale culturelle et artistique européenne, voire, à terme, internationale. Les relations entretenues avec d’autres métropoles vont dans ce sens, par exemple lors du rendez-vous gastronomique avec Turin en 2013 ou des années culturelles croisées Chine–France avec Guangzhou. De plus, la collaboration avec l’Université de Lyon contribue à l’élaboration d’un pôle de recherche et d’enseignement supérieur de qualité, consolidé par l’accueil de colloques internationaux de grande renommée. Toutefois, n’ayant pas mené nous-même de recherche sur le développement de cette marque et les travaux sur le sujet étant trop récents et peu nombreux, nous n’avons pas le recul nécessaire pour évoquer toutes les facettes de cette marque territoriale, ses réussites, ses limites ou l’impact de son image de marque auprès des touristes comme des habitants. De même, les motivations des acteurs impliqués dans cette marque, si elles restent principalement économiques, sont sans doute plus disparates qu’il n’y paraît et mériteraient une étude plus approfondie.

Conclusion

Par conséquent, nous appuyant sur l’étude d’archives inédites produites par les SI puis les OT, notre postulat de départ considérait le rôle des acteurs locaux comme indispensable à la création des images de marque. Il s’agissait ici de repérer les outils et les modalités de leur mise en place. Après analyse, nos sources révèlent un processus constitutif des marques urbaines, depuis le XIX e  siècle, dont l’objectif était « de sensibiliser à une forme moderne de patriotisme urbain » auquel les acteurs locaux semblent avoir répondu avec enthousiasme malgré les erreurs et les échecs (Lenoir-Anselme, 2008 : 33). Néanmoins, la multiplication des marques territoriales reflète aujourd’hui un contexte où la concurrence oblige les acteurs locaux à se démarquer. Nous nous sommes également interrogée sur les démarches d’identification et de mise en valeur identitaire menées par les villes, les départements ou les régions afin de souligner cette valorisation du « bien commun qu’est le territoire national » (Chanut et Rochette, 2012). Comme le fait justement remarquer Caroline Lenoir-Anselme (2008 : 22), « l’image de la ville est devenue un outil stratégique » qui renforce habilement « le sentiment d’appartenance territoriale […] par la connotation identitaire » de cette image.

Toutefois, la construction d’une image de marque, qu’elle soit urbaine, départementale ou régionale, repose sur une gouvernance territoriale active regroupant tous les acteurs, les groupes sociaux et les institutions afin d’atteindre les objectifs prédéfinis et discutés collectivement, comme le révèle le cas lyonnais étudié ici. Par conséquent, la marque illustre les synergies d’un territoire et l’engagement d’acteurs issus d’horizons divers. La réussite d’une telle entreprise, si elle repose sur un certain nombre d’éléments constitutifs comme nous l’avons mentionné précédemment, est aussi liée à l’adoption de cette nouvelle image. En effet, la nouvelle identité collective doit être un « facteur d’unité qui repose sur un référentiel commun », socle solide pour un développement durable (Lenoir-Anselme, 2008 : 33). Cependant, les études font ressortir combien aujourd’hui nous manquons encore de recul à propos de la construction des marques territoriales ou leur pérennité. En effet, si les SI ont un rôle certain dans le processus d’élaboration des images de marque depuis le XIX e  siècle, nos sources sont trop disparates et lacunaires pour analyser en profondeur l’impact de leurs actions. Dans ce cadre, il est difficile d’identifier les raisons conduisant à l’échec d’une marque, puisque, à part une simple mention à cet effet, seules les réussites sont conservées. Si aujourd’hui les images de marque se multiplient, les OT semblent moins impliqués dans leur élaboration et sont davantage préoccupés par leur diffusion. De fait, nous manquons aussi de recul pour analyser le rôle actuel des OT dans cette modélisation des images de marque ainsi que l’adaptabilité de celles-ci dans ce contexte de surconsommation touristique. Notre recherche en cours sur les OT français et l’élaboration de leur offre tant touristique que publicitaire nous permettra, souhaitons-le, d’apporter ultérieurement de nouvelles réponses.