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Naples, destination séculaire des plus légendaires et colorées, est l’archétype de la ville souterraine ; les ressources de son sous-sol contribuent depuis son origine à son élévation et à son essor. « Laboratoire d’archéologie » et de valorisation des ressources patrimoniales au service du tourisme, cette « ville cachée » semble indissociable de la Naples des légendes, des mythes et des croyances populaires et répond ainsi aux caractéristiques d’une offre insolite.

Le renouveau culturel et touristique des années 1990 s’appuie sur cette propension en vogue, terreau favorable à l’éclosion d’une pépinière d’acteurs privés qui s’adonnent à la valorisation de sites oubliés ou méconnus (cimetières, catacombes, grottes). En effet, Naples renoue aujourd’hui avec son attractivité ancestrale héritée de l’époque du Grand Tour, après un recul de la fréquentation touristique au milieu des années 2000. L’émergence de ces acteurs dans un contexte dégradé traduit la vitalité de la destination. Notre objectif est, d’une part, de vérifier si cette offre novatrice se rattache réellement à un tourisme alternatif et, d’autre part, dans quelle mesure permet-elle de réinventer cette destination traditionnelle.

Dans un premier temps nous appréhendons les contours de ce tourisme insolite et/ou alternatif et nous en identifions les caractéristiques. Puis nous questionnons, à partir de l’exemple napolitain, l’articulation entre construction patrimoniale et mise en tourisme. Nous envisageons d’abord le façonnement de ces patrimoines souterrains et les modalités de leur appropriation. Nous tentons ensuite de cerner les nouvelles attentes supposées des touristes et leur soif d’insolite en relation avec le discours des guides touristiques. Enfin, nous cherchons à mesurer la réalité de ce tourisme alternatif à travers une typologie des sites souterrains.

Méthodologie

Pour répondre à ces questions, après un rappel des concepts pertinents, notre méthodologie consiste d’abord à confronter le ressenti des visiteurs à celui des acteurs et à tenter de déterminer quelles sont les aspirations des uns et des autres par le biais d’enquêtes et d’interviews sur les sites ; puis, à partir d’une grille d’analyse, à évaluer la pertinence de l’offre touristique alternative à Naples.

Les études récentes en la matière incluent une importante bibliographie, en particulier la prise en compte de la littérature grise et notamment divers rapports et notes sur la valorisation du patrimoine souterrain par les acteurs institutionnels locaux, nationaux et internationaux (UNESCO, archives du Service du tourisme de Naples). Il convient par ailleurs de préciser que la collecte des données, notamment chiffrées, relatives aux fréquentations des sites a été ardue et elle est incomplète, ce qui rend toute évaluation relative.

À ce travail de compilation s’ajoutent plusieurs séjours d’observation réalisés dans le cadre de notre thèse de doctorat en 2009-2012 et de ses prolongements en 2013-2015. Ce type d’approche est essentiel afin d’identifier et de pénétrer les réseaux d’acteurs et leurs interrelations et de pouvoir ainsi comprendre leurs enjeux, leurs objectifs et leur fonctionnement. Cette incursion permet de mieux cerner les conflits et les concurrences sous-jacentes, habituels dans le processus de découverte, voire d’invention et de mise en valeur de ce type de bien. Cette étude s’appuie sur des enquêtes par questionnaire réalisées auprès de touristes rencontrés sur place et sur une quinzaine d’entretiens semi-directifs avec des gestionnaires de sites souterrains, des acteurs institutionnels et certains professionnels du tourisme.

Notre recherche s’est notamment concentrée sur l’aire Vergini-Sanità où notre rencontre avec des responsables associatifs, des habitants et des responsables politiques de la IIIe municipalité a été complétée par un dispositif d’observation participante lors de réunions publiques organisées par les institutionnels et de visites guidées de sites auxquelles nous avons pris part. Pour mesurer l’importance de ce tourisme souterrain, nous avons eu recours également à des sources secondaires : un corpus de guides contemporains et des publications touristiques produites par les acteurs locaux. Pour appréhender les limites de cette offre d’un tourisme alternatif, nous avons tenté d’établir une méthode d’évaluation de la mise en valeur des sites et de leur mise en tourisme. Plusieurs indicateurs servent à l’élaboration d’une typologie afin d’identifier les composantes de ce tourisme alternatif : l’implication des habitants et les effets sur le territoire, l’ancrage territorial des associations et l’insertion dans les réseaux.

Tourisme alternatif, tourisme insolite : essai de clarification

La massification et l’extension spatiale des flux touristiques depuis la seconde moitié du XXe siècle ont entraîné une diversification croissante et une individualisation des pratiques touristiques (Équipe MIT, 2008). L’essor d’un tourisme alternatif est présenté comme une réaction au tourisme de masse et aux effets de la standardisation. Souvent utilisée pour désigner des expériences menées dans les pays du Sud, l’expression renvoie également aux pratiques et aux produits touristiques développés dans les métropoles des pays du Nord, capables de renouveler leur offre, tout en valorisant leur image et en réinterrogeant leur rapport au territoire (Holm, 2003).

Selon Gregory Ashworth et Stephen J. Page (2010), le touriste urbain, plus informé, évolue dans ses comportements et recherche des lieux « autres ». Il néglige la « célébration » des monuments et des hauts lieux de l’histoire au profit d’une quête culturelle, au sens anthropologique du terme (Aguas et Gouyette, 2011). Ce renouvellement des pratiques s’accompagne d’une diffusion des flux touristiques vers de nouveaux espaces, investissant de nouvelles zones intra-muros ou des quartiers plus périphériques, comme les franges des métropoles ou les quartiers de banlieue.

Le tourisme alternatif s’incarne dans la découverte de lieux non investis par « l’industrie touristique », voire des lieux insolites. La préoccupation du touriste est celle d’une recherche d’une plus ou moins grande altérité et d’une expérimentation du différentiel entre lieux de vie et lieux touristiques (Équipe MIT, 2008).

L’insolite répond à ce désir de dépaysement et devient une véritable valeur touristique (Vergopoulos, 2011). Le terme désigne ce qui « étonne par son caractère inaccoutumé ». Longtemps utilisé avec une idée péjorative d’étrangeté, le mot prend une connotation laudative et correspond à ce qui surprend par sa rareté ou sa nouveauté. Mais la singularité des lieux ne se limite pas à ses caractéristiques distinctives, elle relève en partie du hors-du-commun, même de la bizarrerie. L’insolite se rapproche du « pittoresque », une des catégories structurantes des discours touristiques apparue avec les prémices du tourisme au XVIIIe siècle, en codifiant le regard et les goûts (Lefort, 2009). Toutefois, le « pittoresque » de jadis construit des repères et fabrique des hauts lieux dans les imaginaires. L’insolite contemporain se situe davantage du côté de la nouveauté, de la surprise, de l’originalité et de l’authenticité.

Le touriste se fait l’archétype du « découvreur », du pionnier, du défricheur. La découverte et l’exploration du monde souterrain répondent à cette quête d’inédit. L’exploration des cavités souterraines, au cœur même des espaces urbains, renouvelle leurs attraits. À la différence du XIXe siècle où le touriste ne recherchait que l’émotion d’un périple souterrain, aujourd’hui il est plus exigeant, il vient chercher une autre approche de l’histoire et de la sédimentation historique, à travers la découverte d’un patrimoine « alternatif ». Cela correspond à une logique de diversification des registres patrimoniaux favorisée par un changement de regard et des attentes nouvelles.

Le monde souterrain fascine aussi par sa puissance évocatrice et son imaginaire. Il renvoie à l’individu comme berceau de désirs et de rêves, mais aussi aux mythes collectifs, aux croyances et aux idéologies d’une société. C’est cet imaginaire qui en fait une attraction, un objet d’attirance et d’envie pour le touriste. Vecteur de dépaysement, d’émotion, voire d’envoûtement et de mystère, cet univers questionne l’individu dans son rapport aux lieux et au temps. Il alimente cette soif d’insolite exprimée à travers l’expérientiel et la sensibilité individuelle. En tant que pratique de consommation culturelle, le tourisme obéit en effet à une démarche de distinction sociale et d’individualisation (Baudrillard, 1970). Perçu comme une offre originale, inédite et distincte des pratiques du tourisme de masse, le « produit » insolite répond à cette quête.

Les sites souterrains sont attractifs par leur caractère préservé et authentique, ou appréhendé comme tel par le touriste. Cette expérience d’authenticité du patrimoine est renforcée par les liens sociaux établis avec la population locale (Camus et Sahut, 2012). L’authenticité recherchée par le touriste permet d’aller à la rencontre de l’Autre, des habitants et des lieux de vie. Dans cette forme du tourisme alternatif, l’attention est portée à l’ordinaire, au quotidien et aux interactions sociales (Aguas et Gouyette, 2011). Le désir de distinction se traduit par la volonté d’atteindre des lieux où la vie de la population locale est observée et idéalement partagée (Urbain, 2002). Depuis l’article fondateur de Dean MacCannell (« Staged Authenticity: Arrangement of Social Space in Tourist Settings », 1973), la notion a été largement reprise et débattue. Celui-ci affirme que les touristes tentent d’accéder aux back regions, des lieux qu’ils visitent en pensant pouvoir y établir des relations de proximité avec les populations locales. Cette quête fait naître ainsi des formes de tourisme participatif, porteur de développement local où la rencontre entre population et touristes devient essentielle (Sallet-Lavorel, 2003).

En définitive, le tourisme souterrain dans les espaces urbains renouvelle l’offre touristique et génère des pratiques récréatives hybrides entre quête d’insolite et tourisme alternatif. Il relève à la fois d’une fascination ancestrale pour un univers à l’imaginaire puissant et répond aux nouvelles attentes du touriste en matière de dépaysement et d’altérité. Dans ce cas, le tourisme insolite s’appuie sur la (re)découverte d’un patrimoine original, inédit, perçu comme préservé. Il place le touriste dans la peau d’un « défricheur » et sanctionne ainsi sa quête de distinction et d’individualisation. À Naples, le tourisme souterrain s’inscrit-il dans cette tendance ?

L’insolite, une nouvelle donne pour Naples ?

La richesse de son patrimoine fait de Naples un véritable « musée à ciel ouvert ». Sa requalification urbaine dans les années 1990 favorise le renouveau du tourisme après des décennies de marginalisation (Bertoncello et Girard, 2001). Son centre historique, vitrine de la ville, devient le théâtre des enjeux de la patrimonialisation (Froment, 2003) qui suscite un intérêt renouvelé pour les sites souterrains, récemment valorisés ou redécouverts.

Un potentiel pluriel et considérable

Cette richesse est mise en valeur dès le XVIIe siècle, à Naples et dans sa région ; le développement du tourisme souterrain et les premières incursions dans les grottes accompagnent l’invention de la pratique touristique (Boyer, 2000 ; Biot et Gauchon, 2005). Les grottes ou les catacombes attirent les premiers voyageurs dès l’époque du Grand Tour. Le monde souterrain suscite crainte et répulsion, mais régale les imaginaires (Corbin, 1988). Ainsi, les sites de Campanie participent à l’engouement de l’époque pour les cavernes. Le Vésuve comme les grottes constituent un nouveau centre d’intérêt, associé à la recherche du pittoresque. Les itinéraires codifiés conduisent les voyageurs à travers les champs Phlégréens, vers la grotte du Chien ou au Pausilippe, puis vers la grotte Azur (découverte en 1826).

Cet intérêt ancien est lié en partie à l’occupation ancestrale de la ville et à ses particularités géologiques. Naples regorge en effet de sites souterrains relevant pour la plupart de fouilles archéologiques. Le sous-sol napolitain est riche de plus de 900 cavités, pour une superficie de 60 hectares et un volume de 8 millions de mètres cubes, la plupart étant des cavités artificielles : anciennes carrières liées à l’extraction du tuf, tombeaux hellénistiques et hypogées nobiliaires, aqueducs souterrains aménagés dès l’époque romaine, catacombes de premiers chrétiens ou lieux de sépulture…

L’histoire urbaine s’y conjugue avec celle de la Naples souterraine. Jusqu’à la fin du XIXsiècle, l’extraction de matériaux de construction et l’approvisionnement en eau deviennent leur seul apanage. L’épidémie de choléra (1884) conduit à l’abandon des anciens aqueducs et à la fermeture de nombreux puits et citernes. Avec la Seconde Guerre mondiale, après avoir servi d’abris anti-aérien, les cavités deviennent des décharges où s’accumulent les débris des bombardements. Aujourd’hui, nombre de grottes ou de cavités creusées au fil des siècles servent de parcs de stationnement, de caves, de garages ou de dépôts (Piedimonte, 2008). Plurielles, elles se répartissent en particulier dans les quartiers centraux (illustration 1).

Fig. 1

Illustration 1 : Une abondance de sites souterrains à Naples

Illustration 1 : Une abondance de sites souterrains à Naples
Source : Christine Salomone, 2014

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Les croyances et les mythes, accompagnant leur histoire pour en faire aujourd’hui la richesse, leur confèrent une valeur insolite exceptionnelle. Le poids des croyances liées au monde du dessous reste vif et ancré dans l’imaginaire collectif. Cet univers est traditionnellement associé à des pratiques de dévotion populaire mêlant rites sacrés et profanes (Piedimonte, 2006). Même si la plupart des sites restent encore méconnus, secrets ou inaccessibles, cet univers souterrain constitue pour la ville une ressource touristique potentielle indéniable (illustration 2).

Fig. 2

Illustration 2 : La Naples souterraine : une mise en valeur inégale

Illustration 2 : La Naples souterraine : une mise en valeur inégale
Source : Christine Salomone, 2014

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Une mise en valeur récente et inégale

L’intérêt touristique précoce de ces ressources a disparu au fil des siècles pour laisser place aux seuls intérêts domestiques ou militaires. Mais l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) du cœur historique de Naples et son plan de gestion génère, avec la patrimonialisation du centre urbain, un nouvel intérêt pour ces lieux oubliés. Leur mise en tourisme récente s’est opérée selon des modalités variées. Ce processus de « construction » de la valeur patrimoniale de la Naples souterraine répond aussi à des temporalités différentes (illustration 3).

Fig. 3

Illustration 3 : Les étapes de la mise en tourisme de la « Naples souterraine »

Illustration 3 : Les étapes de la mise en tourisme de la « Naples souterraine »
Source : Christine Salomone, 2015

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La redécouverte d’un patrimoine souterrain

Cette redécouverte, amorcée au début des années 1980, s’effectue progressivement selon trois phases. La valorisation des sites est étroitement liée au contexte géomorphologique, à leur accessibilité et à l’environnement touristique.

Les premières incursions au début des années 1980

Les premières initiatives sont spontanées et isolées (voir illustration 3). Elles débutent par une offre « d’excursions souterraines » conduites dans les cavités des quartiers espagnols par des géologues. Deux anciens abris anti-aériens (Decumani, quartiers espagnols) se transforment en lieux de visite et permettent d’accéder aux réseaux d’aqueducs antiques. Puis des associations patrimoniales ou culturelles, au caractère souvent confidentiel, conservent ces biens patrimoniaux et certaines les font découvrir à un public surtout local. Parallèlement, d’autres sites, patrimoines vivants, voient leur fonction évoluer. Ainsi, le cimetière delle Fontanelle, principal ossuaire de la ville, longtemps lieu de culte et de dévotion populaire, devient un lieu de visites guidées (1980), prémices à une reconversion touristique (Civitelli, 2012). Ces initiatives suscitent l’intérêt des acteurs institutionnels pour ces biens longtemps oubliés.

La renaissance napolitaine dans les années 1990 : la reconnaissance patrimoniale publique du monde souterrain

Sensibilisés par les premières initiatives privées ou associatives, les pouvoirs publics manifestent un regain d’intérêt pour ces ressources, confirmé par l’inscription UNESCO du centre historique en 1995. Leurs préoccupations sécuritaires dans la décennie 1960-1970 les avaient conduits au recensement des cavités souterraines et à leur mise en sécurité, à la suite de nombreux effondrements. Dorénavant, ils reconnaissent leur valeur patrimoniale, mais ce monde souterrain reste encore l’espace privilégié d’individus passionnés qui découvrent, explorent, inventorient et « occupent » ces territoires.

Parallèlement, la requalification du centre historique entraîne la valorisation des sites archéologiques souterrains, véritables palimpsestes, redécouverts avec la construction du métro. Cette période coïncide avec la renaissance napolitaine, phase de normalisation politique s’accompagnant d’une revalorisation de l’image de Naples (Cattedra et Memoli, 2003 : 155). Les fouilles effectuées par les Surintendances locales – organes périphériques du ministère pour les Biens et les Activités culturelles –, avec l’appui des acteurs institutionnels et la mobilisation de financements européens, permettent la redécouverte de sites archéologiques. En 1993, le site situé sous la basilique de San Lorenzo, exploré dans les années 1970-1980, est ouvert au public et donne naissance à un véritable circuit souterrain (2009).

Ces interventions de requalification se poursuivent aujourd’hui dans le cadre du projet « Centre historique de Naples, valorisation du site UNESCO », mené par la nouvelle municipalité élue en 2011[1]. Mais l’ouverture des nombreux sites redécouverts est freinée faute de financements.

Le tournant décisif des années 2005-2007 : amorce de la mise en tourisme des sites ?

L’acteur public réévalue l’importance de ce patrimoine et en favorise la mise en tourisme et la promotion. La valorisation des ressources patrimoniales devient le vecteur d’image prioritaire. Les initiatives des acteurs publics se multiplient pour animer ce patrimoine de concert avec le monde associatif ; ils engagent une politique culturelle et événementielle ambitieuse. Ils dédient l’édition 2007 du Mai des Monuments « aux mystères de Naples : ésotérisme, légendes, superstitions, culte des morts » pour mettre en exergue la thématique du monde souterrain. Certains sites sont ouverts exceptionnellement : la cavité de Piperno, la cavité Piazza Cavour, les souterrains du palais Ricca.

La Commune cherche dès 2011 à fédérer les acteurs associatifs pour favoriser la promotion du monde souterrain. L’assesseur au tourisme et à la culture soutient alors la création d’un comité du sous-sol pour constituer un réseau des sites souterrains réunissant les huit sites majeurs. Le site Internet communal tente de lancer en vain le « premier circuit touristique et culturel du sous-sol » et met en ligne la première carte élaborée en 2011. Le Plan de gestion du Centre historique UNESCO (2011) reconnaît l’importance de ces ressources pour le tourisme, mais aussi leur insuffisante valorisation. Le cimetière delle Fontanelle et le tunnel Borbonico sont considérés comme des exemples réussis de réaffectation des sites souterrains à des fins touristiques. Les pouvoirs publics ont pris conscience de cette richesse patrimoniale, même si les efforts de valorisation ont été limités. La véritable mise en tourisme du monde souterrain est davantage liée au dynamisme du monde associatif.

Une mise en tourisme : apanage du monde associatif ?

La mise en tourisme est le fait d’acteurs issus du monde scientifique et du monde religieux structurés en associations, en fonction de l’origine, de la nature et de l’affectation des biens.

Les spéléologues et les associations scientifiques

Très dynamiques, ces acteurs valorisent de plus en plus de sites dans le centre historique. Dès les années 1960, ils sont à l’origine de l’exploration du sous-sol et de « l’invention » des sites[2]. Les spéléologues du Centre de spéléologie méridionale (CSM) font connaître et reconnaître ces richesses (illustration 4). Parallèlement aux explorations, ils conduisent leur valorisation. La Libre association des excursionnistes du sous-sol (LAES), pionnière dans son domaine, propose depuis 1989 la découverte des citernes de l’aqueduc du Carmignano et celle d’un ancien abri souterrain à partir d’un accès situé dans les quartiers espagnols. Clemente Esposito du CSM et les spéléologues de l’association LAES aménagent actuellement la cavité située près de l’Augusteo pour une ouverture prochaine[3].

Deux autres sites (Naples souterraine et Galleria Borbonica) gérés par des spéléologues connaissent un véritable succès touristique, grâce à des efforts de promotion et de valorisation ainsi qu’à l’insertion dans des réseaux.

Fig. 4

Illustration 4 : Acteurs et modalités de la mise en valeur du monde souterrain

Illustration 4 : Acteurs et modalités de la mise en valeur du monde souterrain
Source : Christine Salomone, 2015

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Les cavités de la « Naples souterraine », utilisées comme abris anti-aériens durant la Seconde Guerre mondiale, ont été redécouvertes et explorées par un spéléologue, à l’origine de l’association « Naples souterraine » en 1987[4]. Situé au cœur des Decumani, ce bien bénéficie du renouveau touristique. Le succès du site se lit à travers les infrastructures commerciales et les aménagements de la place San Gaetano ouverts par le gestionnaire du site.

Le dynamisme de la Galleria Borbonica ouverte récemment au public (2010) est le fruit d’une véritable stratégie marketing menée par l’association culturelle Borbonica Sotterranea[5]. Exploré officiellement dès 2005, ce site est restructuré grâce aux travaux effectués par l’association culturelle. Aux côtés des visites guidées classiques, cette dernière développe une offre touristique plurielle (parcours en radeau, spéléologie, spectacles) et multiplie les partenariats pour gagner en notoriété. Le site a intégré le réseau de la carte touristique Artecard depuis sa refonte en 2013.

Une autre association de spéléologues, La Macchina del tempo, gère le Musée du sous-sol, situé en bordure de la Sanità, porte d’accès d’un ancien abri souterrain ouvert en 2005. Cette association propose un parcours de découverte et de sensibilisation à la spéléologie urbaine et multiplie les initiatives depuis 2012. Elle aménage aussi le nouveau site souterrain de La Pietrasanta, situé dans le centre antique, et envisage la création d’un pôle touristique et culturel autour de l’église. L’ouverture d’un parcours muséal multi-sensoriel souterrain accessible à tous était prévue initialement en septembre 2014[6].

Des passionnés aussi, dans le quartier de la Sanità, concourent à la redécouverte de biens patrimoniaux. Carlo Leggieri[7], fondateur de l’association culturelle Celanapoli, révèle l’hypogée des Togati et son « association de patrimoine » gère, entretient et valorise le site auprès des touristes par le biais de visites guidées. En octobre 2015, elle participe à la découverte d’une nouvelle portion de l’aqueduc du Serino et à sa promotion. Outre le monde scientifique, le monde religieux également s’implique dans cette valorisation.

Les associations en lien avec l’église catholique

Les associations portées par l’église catholique et des prêtres dynamiques sont solidement enracinées dans le quartier Sanità (voir illustration 4). Leurs enjeux sont à la fois socioéconomiques et culturels : la requalification du patrimoine doit, pour elles, contribuer au développement local dans une aire particulièrement dégradée du centre historique. Les premières initiatives spontanées naissent à la fin des années 1980 sous la houlette du prêtre de la paroisse delle Fontanelle (le père Evaristo Gervasoni), à travers le soutien apporté aux jeunes volontaires de l’association « I Care », assurant la découverte du cimetière delle Fontanelle. Cette mobilisation patrimoniale se renforce avec la création d’un comité Viviquartiere (1994), regroupant des jeunes des quartiers Sanità et Materdei. Créé par le père Giuseppe Rassello, le comité gère les catacombes de San Gaudioso de 1999 à 2003 et organise des visites guidées dans le quartier[8].

Mais à partir de 2006, une autre coopérative, La Paranza, s’impose comme le maillon fondamental de la valorisation patrimoniale, culturelle et touristique de la Sanità (Salomone, 2013). Fondée avec le soutien du père Antonio Loffredo, directeur actuel des catacombes, elle regroupe des jeunes volontaires organisant initialement des visites guidées dans la basilique de la Sanità[9].

Une appropriation patrimoniale complexe, parfois conflictuelle

Les acteurs privés comprennent rapidement les enjeux de la valorisation et la nécessité de la mener et de la gérer dans un cadre légal, même si initialement elle s’est effectuée souvent en l’absence de contrôle ou d’autorisation, les régularisations intervenant a posteriori[10]. La mise en tourisme des sites souterrains est rendue difficile en particulier pour des raisons liées à la propriété des sites et à leur gestion (tableau 1). La propriété relève en général des édifices situés en surface selon les normes du code civil. Cette disposition rencontre néanmoins de nombreuses exceptions.

Fig. 5

Tableau 1 : Principaux sites souterrains valorisés

Tableau 1 : Principaux sites souterrains valorisés
Sources diverses, réalisation de Christine Salomone, 2014

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Le manque de transparence dans la gestion des sites conjugué aux rivalités associatives suscite des conflits d’acteurs. À l’occasion d’un procès en 2014[11] opposant les deux associations phares (Galleria Borbonica et Naples souterraine), la question de la concession des sites est publiquement débattue et révèle la part d’opacité dans les pratiques. Ce procès témoigne aussi des tensions liées à la valorisation des sites et aux enjeux économiques sous-jacents. Le site de la Naples souterraine a longtemps joui d’un certain monopole sur ce créneau du tourisme souterrain. La multiplication des sites et leur essor rapide semblent attiser les tensions entre les acteurs, notamment pour des raisons économiques. Ces rivalités se devinent parfois derrière l’occupation de l’espace du centre antique et la visibilité accordée aux sites (illustrations 5 et 6).

Fig. 6

Illustrations 5 : La mise en valeur des sites souterrains à Naples : complexité des enjeux autour de la place San Gaetano

Illustrations 5 : La mise en valeur des sites souterrains à Naples : complexité des enjeux autour de la place San Gaetano
Photographie : Christine Salomone, juillet 2015

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Fig. 7

Illustrations 6 : La mise en valeur des sites souterrains à Naples : complexité des enjeux autour de la place San Gaetano

Illustrations 6 : La mise en valeur des sites souterrains à Naples : complexité des enjeux autour de la place San Gaetano
Photographie : Christine Salomone, juillet 2015

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Leur gestion exacerbe aussi les rivalités associatives (cas du cimetière delle Fontanelle). Ce site majeur et emblématique relève officiellement de la Commune et a souffert par le passé d’une ouverture souvent aléatoire, en dépit des travaux de restructuration et de consolidation effectués dans les années 2000. La question de sa gestion se pose avec acuité en 2010, suite à son occupation par les habitants et les associations du quartier (Salomone, 2013). Au vu des multiples enjeux patrimoniaux, symboliques ou économiques, la Commune décide de rouvrir le site, mais refuse d’en confier la gestion à un acteur en particulier[12]. Elle charge en 2015 une commission composée d’acteurs locaux de réfléchir à une solution pérenne[13]. Le cimetière, gratuit et en libre d’accès, reste toutefois l’objet de tensions sous-jacentes concernant la préservation du site et sa valorisation touristique.

L’appropriation patrimoniale et la gestion des sites apparaissent complexes au vu de la multiplicité des enjeux et de la diversité des acteurs. Leur redécouverte a permis de renouveler l’offre patrimoniale. Celle-ci coïncide-t-elle avec l’image d’une ville colorée, iconoclaste, vantée et recherchée par le touriste ?

Des touristes en quête d’insolite : entre pratiques et prescription des guides ?

Les recherches récentes ont révélé l’essor de nouvelles formes de découverte de l’espace urbain, insistant sur l’aspect expérientiel. Les touristes cherchent ainsi une expérience différente (Maitland et Newman, 2009). La découverte de lieux atypiques sert à la fois leurs attentes et l’image de la ville.

Une offre correspondant à une tendance en vogue

La singularité napolitaine est présente dans les discours et les représentations dès l’époque du Grand Tour. Les clichés nourrissent assez tôt l’image de cette ville pittoresque, qui fait partie d’un bagage culturel répandu (Vallat et al., 1998). L’essayiste André Maurel, auteur de récits de voyage au début du XXe siècle, en souligne les aspects : « Il n’est pas un voyageur qui dès le premier jour ne réclame cette Naples dont on lui tant vanté la couleur, entendez la particularité. » (1912 : 7) Les discours touristiques contemporains confirment la présence de ces thèmes récurrents (publication en juin 2014 d’un guide consacré à la « Naples insolite et secrète »). La ville que l’on décrit est une Naples fantaisiste et irrationnelle, qui se laisse difficilement appréhender, bien différente des autres villes d’Italie. Elle est souvent décrite comme une ville authentique et singulière à l’ambiance typique. Sa singularité transparaît à travers ces lieux emblématiques que sont les sites souterrains, mystérieux, porteurs d’insolite. Le monde souterrain par sa richesse infinie et inviolée hante l’imaginaire de l’homme (Bayard, 1973). Les discours veulent susciter l’envie ou le goût de ce qui est « autre ». L’image donnée pour la découverte de cet univers est celle de l’immersion. Il offre des trésors cachés et le voyageur, véritable « initié », peut en saisir le sens. Ce « tourisme confidentiel » vécu comme tel par le visiteur est un tourisme à la marge, en des lieux obscurs, tourné vers le décryptage de cette partie secrète de la ville à dévoiler (Urbain, 2011).

La quête se traduit par la volonté de découvrir un patrimoine méconnu et réceptacle d’une certaine authenticité (MacCannel, 2005). La pérennité de certains rites profanes et religieux, associés au monde souterrain, sources de curiosité, alimente cette quête : le culte des âmes du purgatoire ou encore l’adoption des crânes en sont des exemples[14]. Le monde souterrain est perçu comme une clé d’accès vers l’authenticité. Les discours insistent sur les mystères de la Naples souterraine et ses croyances. La mise en tourisme des lieux sombres, étroits, souterrains s’accommode souvent de l’évocation religieuse (Biot, 2006). Ainsi, le cimetière delle Fontanelle cumule les attraits insolites : ambiance du site, quartier dans lequel il s’insère et pratiques de religiosité populaire auxquelles il est attaché.

Dans les discours des guides, les sites sont inégalement valorisés en fonction de leur richesse patrimoniale ou de leur notoriété (tableau 2). Ils appartiennent à ces « patrimoines alternatifs » témoignant d’un élargissement du référent culturel (Urbain, 2011). L’approche patrimoniale des guides valorise les édifices monumentaux. Les sites méconnus, peu accessibles et excentrés ou récemment ouverts n’y sont pas systématiquement mentionnés.

Fig. 8

Tableau 2 : L’univers souterrain décrit dans les guides touristiques

Tableau 2 : L’univers souterrain décrit dans les guides touristiques
Sources : Divers guides touristiques, compilation Christine Salomone, 2015

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La valorisation des sites souterrains favorise l’exploration des quartiers populaires en cours de touristification ; leur côté typique et pittoresque accentue le caractère insolite du monde souterrain. Ces quartiers périphériques, marginalisés ou méconnus, sont appréciés dans les guides les plus récents. Présentée comme « le quartier le plus authentique et le plus populaire de Naples » (Lonely Planet, 2013 : 59), la Sanità est là où « survit l’âme populaire ». Ce quartier malfamé s’est construit dans une aire aux caractéristiques géologiques spécifiques justifiant l’abondance des cavités souterraines. La singularité de ses ressources et son « authenticité » sont propices à un tourisme de découverte tourné à la fois vers les réalités souterraines et leur univers secret, mais aussi vers le décryptage de la vie ordinaire : « un quartier préservé, extrêmement préservé et qui renferme quelques véritables perles. On voit certes moins de touristes qu’ailleurs, mais considérez cela comme une chance : vous serez au plus près de la vie des Napolitains. » (Géoguide, 2011 : 246) L’insolite ou l’inédit se situent du côté de l’optimisation de l’« authenticité » touristique (MacCannell, 2005). Ces prescriptions des guides sont-elles en concordance avec les pratiques touristiques observées ?

Des touristes en quête d’insolite ?

Nos enquêtes par questionnaire menées auprès d’un échantillon de 300 visiteurs et touristes italiens et étrangers (2009-2012) confirment la motivation culturelle du séjour à Naples[15]. Les touristes veulent découvrir une capitale du sud, une grande ville d’art et d’histoire, profiter de son patrimoine et de son offre muséale (tableau 3).

Fig. 9

Tableau 3 : Des motivations multiples : entre culture et authenticité

Tableau 3 : Des motivations multiples : entre culture et authenticité
Source : Christine Salomone, enquête réalisée à Naples, 2009-2012 (échantillon : 300 personnes)

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Mais la singularité napolitaine séduit également les touristes en quête de dépaysement. Naples est considérée comme une destination suscitant curiosité et envie de découverte (21,3 %). Certains visiteurs déclarent y rechercher émotion ou évasion, à travers une expérience urbaine insolite. Son authenticité séduit, tout comme son caractère typique et préservé, son ambiance : « endroit unique », « ville magique », « ville colorée »[16]. Mais ni la découverte de la Naples souterraine ni celle de la « Naples cachée » ne figurent parmi les motivations évoquées. Cependant, 8 % des personnes interrogées souhaitent découvrir la « Naples souterraine » (tableau 4) et, si l’on tient compte des activités envisagées, cela concerne 47 touristes (soit 15,6 % de l’échantillon) séjournant ou présents à Naples selon des modalités et des temporalités variées. La découverte de cet univers souterrain attire tout autant les repeaters (25 personnes interrogées) que les primo-arrivants (22 touristes). L’univers souterrain peut correspondre à cette image d’une ville mystérieuse véhiculant une part d’étrangeté et l’incursion dans le monde souterrain relève d’un parcours initiatique.

Fig. 10

Tableau 4 : Une ville attractive pour son panorama et son patrimoine

Tableau 4 : Une ville attractive pour son panorama et son patrimoine
Source : Christine Salomone, enquête réalisée à Naples, 2009-2012 (échantillon : 300 personnes)

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La ville ne les laisse pas indifférents et suscite des sentiments ambigus. Perçue comme « étonnante, déconcertante, dépaysante, exotique, pittoresque, excitante et mystérieuse », elle est aussi « sombre et étouffante ». Le foisonnement de ces impressions et la richesse de ces images sont le signe de son pouvoir de fascination.

Cette soif d’insolite est confirmée par les pratiques touristiques esquissées (illustration 7). Elle transparaît à travers le territoire du touriste qui se dessine, en fonction des activités réalisées ou projetées, et des lieux visités. Ces pratiques révèlent partiellement le rôle joué par les sites souterrains dans les itinéraires empruntés. On trouve parmi les centres d’intérêt : la Naples souterraine, les catacombes ou certains éléments du patrimoine récemment valorisés, contribuant à une dilatation du territoire touristique à proximité de la zone touristique centrale. Rarement les visiteurs mentionnent des quartiers spécifiques et identifiés comme tels (quartiers espagnols, Sanità ou Fontanelle). Les touristes interrogés semblent méconnaître la diversité de cette réalité souterraine, plus rarement mentionnée parmi les lieux de visite[17]. Un site majeur (la Naples souterraine) constitue la référence et polarise les déplacements. Plusieurs éléments interagissent dans cette relation à la ville et au monde souterrain. Il faut tenir compte du projet du touriste et des ses attentes, des contraintes du cadre urbain et de la politique de marketing des sites. La question des transports et de l’accessibilité est essentielle pour analyser les mobilités. Certains sites souffrent de leur position excentrée (catacombes, cimetière delle Fontanelle) et d’autres de leur confidentialité ou de leur ouverture récente.

Fig. 11

Illustration 7 : Les lieux touristiques parthénopéens visités ou envisagés comme un élément d’une visite

Illustration 7 : Les lieux touristiques parthénopéens visités ou envisagés comme un élément d’une visite
Source : Christine Salomone, enquête réalisée à Naples, 2009-2012, échantillon : 300 personnes

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L’essor de ces pratiques touristiques coïncide en partie avec l’image que les touristes se sont forgées de la ville et celle véhiculée dans les discours des guides. Mais, faute de données statistiques précises, il semble difficile de le quantifier. Cela atteste cependant des potentialités de ce tourisme alternatif encore balbutiant[18]. L’attractivité de certains sites nuance le recul de la fréquentation observé à Naples depuis 2004-2005 et contribue peut-être à la relance de la destination (voir illustration 8).

Fig. 12

Illustration 8 : Évolution des arrivées et des nuitées touristiques à Naples entre 1993 et 2013

Illustration 8 : Évolution des arrivées et des nuitées touristiques à Naples entre 1993 et 2013
Source : données Ente Provinciale per il Turismo, Napoli, Bollettino di Statistica, 2013 ; réalisation Christine Salomone

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Les données issues de nos enquêtes confirment l’attractivité du « vieux Naples » et l’importance des itinéraires classiques (voir illustration 6). Ces pratiques liées à un tourisme alternatif sont complémentaires de la découverte des hauts lieux touristiques : 80 % des touristes envisageant la découverte de la « Naples souterraine » visitent Pompéi ou Herculanum, 61 % les îles, 48,9 % le Vésuve, 44,6 % la côte amalfitaine et 19 % Paestum (Salomone, 2014). Si la Naples souterraine a fait l’objet d’une valorisation récente dans les discours, elle peine toutefois à s’affirmer au-delà des sites les plus attractifs et les plus médiatisés.

La « Naples souterraine » ou l’émergence d’un tourisme alternatif ?

À l’image de leur développement, la valorisation touristique des sites est très inégale dans ses effets. On peut distinguer trois « familles de sites » selon les caractéristiques de leur mise en tourisme et le lien avec le territoire (illustration 7).

À l’échelle du quartier Sanità, la gestion des catacombes par la coopérative La Paranza est propice à l’émergence d’un tourisme alternatif. Elle semble porteuse d’un développement touristique local réel. Mais les flux modestes demeurent modestes, si l’on rapporte la seule fréquentation des catacombes à celle des autres sites parthénopéens situés à proximité (tableau 5).

Fig. 13

Tableau 5. Fréquentation touristique de quelques sites parthénopéens

Tableau 5. Fréquentation touristique de quelques sites parthénopéens
Source : Bollettino statistico, diverses années, Commune de Naples et données fournies par les Catacombes de Naples, réalisation Christine Salomone

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Ce quartier jouit d’une identité physique, historique, patrimoniale et culturelle qui le singularise. Il offre un site particulier, une ambiance, une âme. Il incarne la Naples populaire et traditionnelle. L’attractivité de ces sites souterrains en sort grandie. Ce renouveau s’est construit à partir des initiatives venues d’en bas progressivement relayées par un tissu associatif dense et vivace. La mobilisation des habitants, reflet de l’ancrage territorial des associations, favorise l’émergence d’un tourisme alternatif. Avec près d’une vingtaine d’emplois créés, le quartier jouit d’une image touristique renouvelée, comme en témoigne l’essor de sa fréquentation depuis 2010 (voir tableau 5).

Le dynamisme de La Paranza devient un exemple pour les associations culturelles engagées dans la redécouverte de leur quartier (Salomone, 2013). En intégrant des valeurs d’identité, d’authenticité, de découverte et de développement local, les initiatives se multiplient : visites guidées, hospitalité chez l’habitant[19] ou mobilisation des commerçants et des artisans du quartier. Fin 2014, la mise en réseau des acteurs du territoire s’est accentuée avec la création d’une fondation de communauté, autour de la coopérative afin de pouvoir mobiliser partenaires privés et financements[20].

Les autres sites souterrains, s’ils restent à l’écart de ce modèle, connaissent une réussite inégale. Dépourvus d’ancrage territorial, leurs objectifs sont parfois très éloignés de ces indicateurs et oscillent entre gestion d’un bien patrimonial, valorisation touristique et « exploitation » économique. Certains sites obéissent davantage à une logique commerciale et marchande (illustration 9). Le développement touristique précoce de la Naples souterraine, sa position au cœur des Decumani, l’importance de la promotion réalisée en Italie et à l’étranger et sa visibilité médiatique expliquent la réussite de ce « tourisme-business », désormais concurrencé.

Fig. 14

Illustration 9 : Diversité des sites du monde souterrain et de leur mise en tourisme

Illustration 9 : Diversité des sites du monde souterrain et de leur mise en tourisme
Source : Christine Salomone, 2014

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Ainsi, le succès rapide de la Galleria Borbonica est lié non seulement à la stratégie de promotion menée par l’association, mais également aux nombreux partenariats noués avec des acteurs privés comme publics. Cela symbolise le renouvellement de l’offre touristique à travers des « produits insolites ». Cette stratégie repose sur le choix de l’expérience à vivre, par le biais du cadre proposé ou de l’activité réalisée. Émotions et sens sont au cœur de cette offre touristique, mais elle n’est pas véritablement associée à un ancrage dans le territoire.

Au-delà de ces succès, souvent les associations engagées dans la valorisation touristique font face à un manque de moyens et à une insuffisante promotion. Les sites doivent d’abord résoudre leurs problèmes d’accessibilité, de mise aux normes et de sécurisation avant d’envisager une mise en tourisme efficace. Le manque de soutien ou l’indifférence des pouvoirs publics a longtemps isolé les principaux acteurs associatifs. Les multiples rivalités associatives et leur pluralité d’objectifs expliquent l’échec du comité du sous-sol et l’incapacité des acteurs à se fédérer. Ces difficultés fragilisent les sites les plus discrets. Certains ont compris la nécessité d’un fonctionnement en réseau pour servir leur lisibilité. Un accord de collaboration entre la Galleria Borbonica, la Pietrasanta et la Macchina del tempo est ainsi envisagé.

Conclusion

En conclusion, la valorisation des ressources patrimoniales de la ville souterraine permet de réinventer une destination traditionnelle. Ce « nouveau » patrimoine, redécouvert et valorisé par un tissu d’acteurs privés dynamiques, est à l’origine de produits touristiques insolites. Cette pépinière d’acteurs associatifs semble en phase avec les nouvelles tendances et les attentes des touristes. Néanmoins, les pratiques observées reflètent la persistance des itinéraires classiques attachés à la destination urbaine. Ce tourisme souterrain constitue une offre complémentaire, qui entre en résonnance avec les discours sur la singularité napolitaine et les représentations traditionnelles. Cette valorisation du patrimoine a bénéficié du contexte local favorable de la renaissance napolitaine et d’un intérêt certes accru, mais tardif, des acteurs publics pour la filière. La diversité des situations reflète celle des stratégies adoptées et des modalités de la mise en tourisme.

Le tourisme souterrain se construit à Naples entre logiques de l’insolite et émergence d’un tourisme alternatif. Il est en effet propice à de nouvelles pratiques et investit de nouveaux territoires, comme la Sanità. Il induit alors des interactions sociales, la rencontre des habitants, voire leur implication dans le développement touristique au sein du quartier. Mais la logique dominante privilégiée est davantage marchande et mise sur le succès d’une offre insolite et sur l’attractivité d’un patrimoine inédit et original, sans réel ancrage territorial.

En dépit de résultats encore modestes en termes de fréquentation, cette filière touristique dynamise la destination napolitaine et surtout l’inscrit dans les « destinations internationales tendances » tout en renouant avec l’offre du passé, celle du Grand Tour, par laquelle la ville est mondialement connue. Cette offre renouvelée permet de (re)découvrir certains aspects de « l’une de ces villes-monde chère à l’historien Fernand Braudel : tumultueuses, polymorphes, dionysiaques, décidément inclassables et dont la découverte peut bouleverser [les] habitudes mentales et sensorielles » (Lismonde, 2003 : 7).