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Depuis les accords de paix de 1998, l’Irlande du Nord a développé une politique touristique visant à attirer visiteurs et investisseurs, ce qui a résulté en un accroissement considérable du nombre des visiteurs[1]. L’intérêt des touristes se porte, non exclusivement, sur les traces du conflit[2] entre catholiques et protestants, se revendiquant comme Irlandais ou Britanniques et défendant des positions unionistes ou nationalistes[3]. Ces identités religieuses et politiques opposées structurent encore la vie sociale et politique du pays[4] et ont imprimé leur marque sur le patrimoine historique (religieux, scolaire et institutionnel) et la morphologie urbaine, notamment à Belfast. La division résidentielle s’est renforcé durant les décennies des « Troubles », de la fin des années 1960 à la fin des années 1990, et n’a pas décru significativement depuis la cessation officielle des hostilités (Shirlow et Murtagh, 2006). La ségrégation n’est pas égale dans toutes les parties de la ville, les quartiers ouvriers étant les plus séparés. Maya Choshen (2005 : 8) présente d’ailleurs la ville comme n’étant « jamais totalement intégrée, jamais totalement segmentée », car la plupart des habitants vivent des situations de ségrégation confessionnelle dans laquelle certains espaces sont partagés. Le logement social est plus ségrégé que le marché privé (Keane, 1990). C’est aux marges des quartiers ouvriers fortement homogènes que des peacelines, murs d’une dizaine de mètres de haut et de formes multiples, ont été érigés et divisent l’espace urbain. Leur nombre s’est multiplié malgré la paix relative (Ballif, 2009). Des fresques murales (murals) sont peintes sur les pignons des maisons dans ces quartiers populaires, en l’honneur des milices paramilitaires et des victimes du conflit. Elles utilisent un vocabulaire pictural puisant dans les symboles de la lutte entre les deux communautés (illustrations 1-2). Des mémoriaux érigés en hommage aux victimes du conflit (monuments aux morts, jardins du souvenir…) se sont récemment multipliés dans ces quartiers (illustrations 3-4). Les guides touristiques publiés par les éditeurs internationaux présentent les murals et les peacelines comme étant des lieux incontournables ; les monuments aux morts retiennent moins l’attention. Si les médias considèrent ces sites, notamment les fresques murales, comme les premières attractions touristiques au Royaume-Uni[5], les autorités touristiques ne recensent pas les sites du conflit dans les statistiques des lieux les plus visités[6] (Simone-Charteris et Boyd, 2010 : 112). Il s’agit donc principalement d’un tourisme de niche, organisé et exploité par des compagnies privées. Les agences de tourisme et les guides indépendants proposent une offre de circuits en autocar, en taxi ou à pied, comprenant ou étant focalisés sur les sites emblématiques des Troubles, dans les quartiers ouvriers situés à l’ouest du centre-ville, les Falls et le Shankill. Ce tourisme de niche sur les lieux emblématiques des Troubles est caractéristique du développement du tourisme dans une société post-conflit. Il s’apparente à ce que John Lennon et Malcolm Foley (2000) décrivent comme le dark tourism ou le « tourisme sombre », dans lequel la mort, les catastrophes et les atrocités sont associées à des produits touristiques, au-delà de la fréquentation classique des sites à des fins de commémoration. Cette appellation recouvre la visite de lieux très divers, cimetières, prisons, champs de bataille, sites de catastrophes naturelles ou sites d’actes de terrorisme ou de conflits contemporains. Il nous semble toutefois que la notion de dark tourism est trop englobante et contient une condamnation morale, comme l’ont relevé Michael S. Bowman et Phaedra C. Pezzulllo (2009). Le dark tourism est d’ailleurs traduit par « tourisme macabre » par certains auteurs, dont Julie Hernandez (2008) ; ce terme insiste sur la dimension morbide des activités proposées.

Fig. 1

Illustration 1 : Fresque murale, UVF, ‘C’ Company, 1er Bataillon, Shankill Road, Belfast Ouest

Illustration 1 : Fresque murale, UVF, ‘C’ Company, 1er Bataillon, Shankill Road, Belfast Ouest
Photographie : Florine Ballif, juin 2009

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Fig. 2

Illustration 2 : Fresque murale, IRA, Beechmount Avenue, Belfast Ouest

Illustration 2 : Fresque murale, IRA, Beechmount Avenue, Belfast Ouest
Photographie : Florine Ballif, juin 2009

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Fig. 3

Illustration 3 : Garden of Remembrance, Falls Road

Illustration 3 : Garden of Remembrance, Falls Road
Photographie : Florine Ballif, août 2012

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Fig. 4

Illustration 4 : Shankill Memorial Park, Shankill Road

Illustration 4 : Shankill Memorial Park, Shankill Road
Photographie : Florine Ballif, juin 2013

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Lennon et Foley proposent en outre de réserver ce terme aux pratiques touristiques pour lesquelles la visite des sites de mort ou de dévastation constitue le but premier du voyage. Ainsi, Senija Causevic et Paul Lynch (2008) récusent cette catégorie, montrant que ce tourisme à Belfast est particulièrement un tourisme de niche, prisé par les étudiants et les jeunes adultes, seuls ou en groupe, venus pour des voyages d’études, des recherches ou pour des motifs de solidarité politique. Les touristes du marché générique, une fois à Belfast, sont intéressés à faire ces « circuits politiques » (political tours) centrés sur l’héritage du conflit ; ceux-ci ne constituent néanmoins pas la motivation première de l’essentiel des visiteurs. Ainsi Causevic et Lynch interprètent cette offre touristique comme relevant du phoenix tourism, centré sur la réconciliation sociale et la régénération urbaine. Dans la mesure où elles impliquent les communautés locales et s’intéressent au processus de régénération des quartiers dégradés en situation de post-conflit, les offres touristiques des associations et des guides locaux peuvent selon eux être définies de la sorte. Cette perspective escamote toutefois l’importance du conflit dans la structuration de l’offre touristique. Pour notre part, nous ne nous sommes pas penchée pas sur les motivations du public ni la réception, mais sur la construction et le sens que les acteurs véhiculent sur les lieux qu’ils montrent en lien au conflit. Ainsi, la notion de traumascape développée par Maria Tumarkin nous semble pertinente pour décrire les lieux des Troubles à Belfast mis en scène par les acteurs du tourisme. En effet, celle-ci décrit ces lieux comme étant marqués par l’héritage de la violence, de la souffrance et de la guerre (2005 : 12). Patrick Naef (2011) étudie, dans le contexte de l’ex-Yougoslavie, la transformation de ces traumascapes en touristscapes. Suivant cette idée, le présent article s’attache à analyser comment les visites redéfinissent les lieux à partir de la proposition aux touristes d’en faire l’expérience, telle que médiatisée par les guides. Notre propos est de mettre au jour les récits concurrents produits sur le conflit à l’occasion de ces circuits guidés, à partir d’une enquête menée en août 2012 et juin 2013, mêlant la participation à une dizaine de visites et à des entretiens informels avec les guides réalisés à l’issue de la visite quand cela était possible, et complétée par une recherche sur les sites Internet des compagnies. Notamment, l’article cherchera à analyser la construction du discours et l’usage de l’histoire dans les récits développant les thématiques de la violence et des victimes. Tout d’abord, il convient de situer ces pratiques dans l’offre de tourisme renouvelée après la fin officielle des hostilités.

La mise en tourisme de Belfast : ré-imaginer Belfast et la promotion de la culture

La politique touristique mise en œuvre par les acteurs publics et privés depuis les quinze dernières années vise à faire émerger une nouvelle géographie de la ville, parallèlement aux projets de rénovation et de restructuration majeure des espaces urbains. De manière générale, le passé lointain – non relié aux événements des trente dernières années du XXe siècle – est mobilisé pour tenter de se substituer à une lecture conflictuelle de l’histoire et renouveler l’image de la ville. Toutefois la position des autorités est ambiguë. Le Conseil touristique d’Irlande du Nord (NITB) était au départ hostile à l’idée de se servir du conflit dans l’offre touristique, qui donnerait une image négative du pays, et souhaitait tourner le dos aux « Troubles » afin de promouvoir un environnement paisible. Il a ensuite promu l’idée que cette thématique rencontrait l’intérêt du public et que cette forme de tourisme était à développer dans l’offre élargie de « tourisme culturel » (NITB, 2008). Le plan stratégique de tourisme de la municipalité (Belfast City Council, 2010 : 23) préconise de développer le tourisme autour de l’histoire de Belfast de manière à refléter les valeurs distinctives, la « marque » (brand) de la ville. D’ailleurs, le nouveau logo de Belfast (un B en forme de cœur contenant le nom de Belfast) inscrit ces actions dans une stratégie de communication visant à promouvoir une « marque[7] » (illustration 5). Le patrimoine, la culture entendue comme les traditions et l’identité populaire, l’histoire récente, ainsi que le conflit et la réconciliation doivent être présentés aux visiteurs pour contribuer à promouvoir le caractère unique de Belfast.

Fig. 5

Illustration 5 : Logo de Belfast

Illustration 5 : Logo de Belfast
Source : Belfast Welcome Centre

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Les récits officiels gomment partiellement le conflit intercommunautaire en le présentant sous des aspects culturels et patrimoniaux. Le site Internet de l’Office de tourisme (Belfast Welcome Centre)[8] décrit ainsi quatre « quarters », identifiés et promus dans la stratégie touristique de Belfast depuis le milieu des années 2000 en insistant sur leur richesse historique et culturelle (Belfast City Council, 2010, illustration 6). De nombreux fascicules et panneaux indicateurs promeuvent ces quartiers auprès des visiteurs. Ces quartiers pris séparément, s’ils ont chacun une cohérence spatiale ou culturelle propre, n’ont aucun lien les uns avec les autres ni avec la structure ancienne de la ville. Les quatre quartiers sont hétérogènes et discontinus : le Titanic Quarter, sur les friches portuaires, doit son nom à l’histoire du célèbre navire, construit par les chantiers navals de Belfast et dont les vestiges ont été retrouvés dans l’océan Atlantique dans les années 1990. Cette histoire a servi la promotion du renouvellement des espaces portuaires pour le loisir et le tourisme. L’une des attractions principales est le Titanic Museum, ouvert en 2012, année du centenaire du navire et de son naufrage tragique. D’autres installations sur l’ancien site des chantiers navals, dont des éléments architecturaux sont conservés, sont accessibles aux touristes : les anciens docks, la station de pompage (pumphouse) transformée en café et salle d’exposition, les hangars gigantesques reconvertis en studios de cinéma et en un espace dédié aux patins et planches à roulettes et aux arts urbains (BMX), et un nouveau multiplex sportif (Odissey). La grue de la compagnie Harland and Wolff a été gardée en mémoire des chantiers navals fermés en 2001. Celle-ci appartient au skyline de Belfast et est visible de bien des endroits de la ville. La rénovation des espaces publics centraux fait aussi référence à l’industrie portuaire et maritime. Des mâts d’éclairage en cuivre, de 16 mètres de haut, ont été installés dans Donegall Place, principale artère commerçante du centre, face à l’hôtel de ville. Sur chacun est inscrit le nom de l’un des huit paquebots construits par Harland and Wolff pour l’armateur White Star Line, dont le Titanic[9]. Sur la frange nord du centre de la ville, dans le tissu ancien autour de la cathédrale protestante, le Cathedral Quarter est labellisé quartier culturel et créatif. Dans ce quartier proche de la Faculté d’arts de l’Université Queen’s, des artistes et des associations culturelles profitaient jadis des loyers bas de ces espaces centraux autrefois dégradés. Les anciennes activités ont parfois été relogées dans le quartier[10] et de nouvelles institutions culturelles[11] y ont trouvé place, ainsi que de nombreux bars, restaurants et boutiques. Queen’s Quarter, au sud du centre occupé par des commerces et des bureaux, désigne les rues tranquilles et cossues autour de l’université, du jardin botanique et du musée d’Ulster, marquées par la vie étudiante et bourgeoise. Enfin le Gaeltacht Quarter (mot irlandais désignant les zones de locution du gaélique) désigne le quartier catholique ouvrier emblématique des Falls, à l’ouest, en insistant sur le trait linguistique.

Fig. 6

Illustration 6 : Les quatre quarters de Belfast

Illustration 6 : Les quatre quarters de Belfast
Source : Belfast City Council, Belfast Tourism: Gateway to the Future…, p. 16

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La culture apparaît comme un élément de différenciation à des fins de marketing urbain (Zukin, 2001). Renommer les quartiers de Belfast renvoie à l’expérience de loisir commodifié qui transforme les villes en parc à thème. Mais cela constitue aussi une tentative de substituer une lecture postmoderne à des espaces ségrégés. À Belfast, l’espace est objet de contestation, de luttes. Les nouveaux labels des quartiers évitent les références à l’opposition entre les deux communautés ; leurs noms renvoient à un passé plus lointain, gommant les noms existants. Ces quartiers labellisés apparaissent hors sol, alors que les marquages et les anciens noms des quartiers, fortement associés à la ségrégation confessionnelle, résistent aux nouvelles appellations. Les nouveaux noms renforcent aussi la coupure centre–périphérie entre espaces de consommation et espaces de marginalisation et de conflit. Le standard des commerces et des équipements rénovés exclut les classes populaires de Belfast, qui s’en sentent dépossédées.

Parmi ces nouveaux quartiers touristiques, les quartiers centraux ont des identités confessionnelles relativement moins marquées (Cathedral et Queen’s). Au contraire, les deux communautés peuvent respectivement s’identifier sur des lignes confessionnelles préexistantes aux quartiers Gaeltacht et Titanic, même si pour ce dernier il ne s’agissait pas d’un espace résidentiel. Le passé lointain mythifié est aussi conflictuel. Dans le cas du Titanic Quarter, les espaces portuaires, industriels, étaient identifiés comme protestants depuis le XIXe siècle, car les chantiers navals, fondés par la bourgeoisie protestante, employaient une majorité écrasante de protestants. Les quartiers résidentiels aux alentours, hormis l’enclave ouvrière nationaliste du Short Strand, étaient des territoires à forte culture unioniste. À l’ouest de la ville, les Falls catholiques, rebaptisés Gaeltacht Quarter par l’Office du tourisme, et le Shankill protestant sont emblématiques du conflit, séparés par la peaceline très impressionnante de Cupar Way (illustration 7). Les Falls sont marqués par la culture de la résistance nationaliste à « l’oppression » britannique et constituent un ensemble de communautés assez soudées. Les espaces sont généralement moins dégradés que dans le Shankill et sont même par endroit bien rénovés. Au nord-ouest, le Shankill, bastion de la culture loyaliste, est encore plus marginalisé qu’auparavant et la population continue de partir vers des banlieues résidentielles. Les quartiers péricentraux dans l’ensemble sont des quartiers ouvriers ayant peu bénéficié de la croissance économique et du renouveau très visibles dans les espaces centraux. Les possibilités touristiques semblent minces, et les infrastructures en hôtels et restaurants manquent. Pour les Falls, la folklorisation de la culture irlandaise est relativement aisée et le trait linguistique est alors utilisé comme label. Le gaélique est en réalité très peu parlé dans la vie quotidienne, en dehors des écoles de langue qui connaissent un regain d’intérêt depuis une dizaine d’années. Bien que principalement étudiée par les catholiques nationalistes, il est à souligner que la langue gaélique suscite l’intérêt croissant de la communauté protestante et de résidents internationaux (en particulier américains, mais pas seulement), ce qui permet une certaine dépolitisation de la question linguistique dans la promotion culturelle. Les activités culturelles associées à la culture irlandaise sont promues par la stratégie touristique[12], tout en reconnaissant que les artéfacts du conflit (peace wall et murals) sont dignes d’intérêt pour le visiteur. Le passé lointain lié à la langue est ainsi mobilisé et valorise le potentiel de développement économique pour ce quartier défavorisé (Carden, 2011).

Ces mises en récit officielles illustrent bien une volonté de déterritorialiser les espaces pour rallier touristes et investisseurs. Cependant le conflit, gommé en partie, est aussi utilisé comme argument par les acteurs publics ou privés. Le conflit devient un « produit » touristique, bien que cela soit mis en débat. L’opinion publique nord-irlandaise reste divisée entre les tenants des bénéfices économiques attendus et ceux qui considèrent que la promotion du tourisme sur les lieux du conflit est un obstacle à la préservation de la paix (Simone-Charteris et Boyd, 2010).

Fig. 7

Illustration 7 : Peaceline, Cupar Way

Illustration 7 : Peaceline, Cupar Way
Photographie : Florine Ballif, août 2012

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Un tourisme de l’expérience proposé par les associations locales autour des récits du conflit 

Les offres touristiques liées au conflit sont considérées par les autorités touristiques comme du tourisme culturel plutôt que comme une niche du tourisme de l’expérience. Mais sur le terrain, les exploitants privés se positionnent de manière différentielle sur cette niche touristique autour de l’héritage des « Troubles ». Le conflit est la toile de fond d’un certain nombre de circuits en car, en taxi ou à pied, proposés par des sociétés de tourisme d’envergure régionale ou des petites compagnies privées, des associations locales ou des entrepreneurs individuels. Les circuits se distinguent par les thématiques abordées, générales ou focalisées sur le conflit. En effet, les circuits en car et la plupart des visites en taxi ne sont pas exclusivement centrés sur les Troubles, au contraire de circuits à pied dédiés à cette thématique. De plus, une même compagnie peut aussi proposer dans son offre des circuits classiques et des circuits plus ou moins axés sur le conflit à Belfast.

Des compagnies d’autocars – telles que Belfast City Sightseeing liée à la compagnie Belfast City Tours, qui sont les compagnies « officielles », ou leurs concurrents comme Allen’s Tours – proposent des circuits dans des cars à l’impériale (à toit découvert) en hop and off, dont les tickets sont valides pendant 48 ou 72 heures selon les compagnies. Les compagnies organisent des circuits généralistes de Belfast pour montrer les monuments classiques, situés dans le centre pour la plupart (hôtel de ville, Albert Clock, cathédrale Sainte-Anne, Université Queen’s, marché St. George’s, Parlement de Stormont… pour les plus mentionnés). La visite comprend aussi des quartiers contemporains tels que le quartier du Titanic et les lieux emblématiques des Troubles : le Shankill et les Falls, la peaceline (Cupar Way) et les fresques murales. Allen’s Tours, dans sa communication (prospectus et Internet), énumère ces lieux de façon détaillée. La compagnie Belfast City Tours emprunte à peu près le même circuit que Belfast City Sightseeing (les tickets permettent d’utiliser indifféremment les autocars des deux compagnies) et reprend dans ses publicités les noms des quatre quarters, auxquels sont ajoutées les fresques de Falls Road et de Shankill Road. Les lieux du conflit sont ainsi érigés en monuments touristiques.

Avant que les compagnies d’autocars n’intègrent le conflict trail dans leurs offres touristiques, les compagnies de taxis ont proposé ces types de circuits (qu’elles nomment political tours) dès le début des années 1990. La première a été la West Belfast Taxi Association (aujourd’hui rebaptisée Taxi Trax[13]), qui exploite d’abord des lignes de taxis collectifs[14]. Actuellement, une petite dizaine de compagnies de taxis offrent des circuits intégrant le « conflit », la plupart ayant principalement des activités classiques de taxis ou de taxis collectifs[15]. Elles proposent des circuits centrés sur les Troubles, avec la visite des fresques murales et de la peaceline. Certaines offrent également des visites de la ville, dont l’itinéraire est semblable à ceux des compagnies d’autocars, et d’autres circuits thématiques divers (la chaussée des géants par exemple).

Bien qu’elles n’affichent pas toujours explicitement leur positionnement – même si elles utilisent parfois des marqueurs communautaires dans leur nom, par exemple le mot Irish associé à la communauté nationaliste –, la grande majorité de ces compagnies de taxis sont affiliées aux républicains (catholiques). Elles ont un discours très souvent empreint de parti pris, même si la plupart expriment une volonté de neutralité dans leurs publicités. Taxi Trax[16] affirme ainsi sur son site : « Your tour guide will expertly and impartially explain how the murals help to tell the story of the Northern Ireland conflict and how we arrived at the current peace process. » Une exception dans le paysage de ces compagnies est Value Cabs Taxi Tours[17], compagnie de taxis classique ayant récemment commencé à organiser des circuits, dont la brochure publicitaire met l’accent sur le fait qu’elle emploie des chauffeurs des deux communautés : « Our tour guides have full knowledge of the conflict from both backgrounds. »

Des circuits à pied sont organisés par des compagnies commerciales, des guides indépendants et des associations locales. Une petite dizaine de structures organisent ainsi des circuits en majorité dans les espaces centraux sur des thématiques diverses (le Titanic, le Belfast Ghost, etc.). Certaines proposent une lecture de la ville et de son histoire « de l’intérieur », affichant un parti pris. Par exemple, Belfast City Walking Tours propose des visites largement centrées sur le Belfast victorien et, malgré une apparente neutralité, a une position unioniste affirmée[18]. Belfast Compass Tour est affilié à la communauté catholique même si ce n’est pas revendiqué et propose deux circuits (un dans le centre-ville, l’autre dans Belfast nord) qui incluent les Troubles parmi les éléments d’intérêt. L’association Feile An Phobal (West Belfast Festival) organise des circuits centrés sur le conflit dans les deux cimetières de la ville, le cimetière municipal (Belfast City Cemetery) et le cimetière de Milltown. Ces visites à pied adoptent une approche historique généraliste. Elles se distinguent des political tours qui traitent principalement des Troubles des trente ou quarante dernières années. Je me suis surtout intéressée à ces derniers, proposés principalement par des associations employant d’anciens prisonniers condamnés pour leurs activités dans les milices paramilitaires ou des guides indépendants, qu’ils aient ou non été acteurs des événements. L’association Coiste na n‑Iarchimí[19] propose des circuits politiques exclusivement dans les Falls, guidés pour la plupart par d’anciens détenus républicains de l’IRA. Cette association figure dans la brochure générale des événements et sites touristiques publiée par l’Office du tourisme (About Belfast, juin 2013). Son site Internet très dense[20] fournit des informations détaillées sur ces propositions : en plus du political tour, il propose un circuit dans le cimetière de Milltown, un dans Ballymurphy (quartier populaire de l’ouest de Belfast) et un circuit historique sur les United Irishmen (mouvement du XVIIIe siècle pour l’indépendance de l’Irlande[21]). L’association « miroir » côté loyaliste, l’Ex-Prisoners Interpretative Centre (EPIC), organise des circuits dans le Shankill exclusivement, de manière plus discrète. D’abord un centre social et de conseil à destination des anciens détenus de l’Ulster Volunteer Force (UVF) et du Red Hand Commando, EPIC, au moment de mon enquête, disposait d’un site Internet très sommaire faisant brièvement la promotion du quartier mais ne mentionnant pas les circuits[22]. Coiste organise aussi des visites pédagogiques en car pour des participants à des conférences internationales ou des étudiants étrangers, auxquelles il associe EPIC[23]. Ces deux organisations sont financées par le programme européen Paix et réconciliation pour l’Irlande du Nord. Enfin, la compagnie Imaginary Micky’s Walking Tours, elle aussi recensée par l’Office du tourisme, est dirigée par un guide indépendant qui propose un circuit à pied menant dans les quartiers des Falls et du Shankill. Elle affiche un républicanisme modéré sur ses supports de communication : son logo est une carte de l’Irlande de couleur verte, transformée en personnage facétieux[24].

J’ai participé à plusieurs types de circuits en tant que « touriste » : deux organisés par des compagnies d’autocars (circuits effectués en août 2012 avec Belfast City Sightseeing [C1[25]] et Allen’s Tours [C2]), un en taxi (Taxi Trax) également en août 2012, et cinq circuits à pied de trois compagnies différentes (Micky’s, Coiste et EPIC) effectués en août 2012 et juin 2013. J’ai réalisé une fois le circuit de Micky’s guidé par son fondateur indépendant (G1) et deux fois le circuit de Coiste : au hasard des demandes pour ces visites, la première fois avec un petit groupe (guidé par G2) et la seconde comme seule participante (avec G3). Avec EPIC, j’ai participé à une visite seule (G4) et à une visite avec quatre touristes américains (G5). Chaque visite durait de deux à trois heures, en fonction du mode de transport et de la volubilité du guide. Je prenais des notes dans l’autocar ou le taxi, mais cela était plus malaisé dans les circuits à pied, même si la météo s’y prêtait (durant toutes mes visites à pied le temps était clément). Je prenais des notes sommaires en marchant et, tout de suite après la visite, je les complétais en retranscrivant les détails dont je me souvenais. Quand ils me voyaient prendre des notes, certains guides (G1, G2 et G5) étaient un peu mal à l’aise, me demandaient pourquoi je le faisais et si j’étais journaliste (G1 et G5). Ainsi, vers la fin de la visite de Micky’s (G1), j’ai profité de sa demande pour expliquer que je faisais une recherche et poser quelques questions supplémentaires. G2 et G5 n’ont pas accepté de répondre à des questions individuelles. Lors des visites où j’étais la seule participante, j’ai demandé d’entrée de jeu au guide (G3 et G4) si je pouvais l’enregistrer et il a accepté, tout en s’assurant que « cela ne serait pas dans la presse[26] » du lendemain (G3). En revanche, lors des visites en groupes (G1, G2, G5), craignant que cela entraîne le refus de me laisser participer ou que les autres participants soient gênés, je n’ai pas demandé au guide l’autorisation d’enregistrer (et ne souhaitais pas le faire à son insu). Pendant toutes les visites, je demandais des précisions et relançais le guide sur les thèmes qui m’intéressaient. Par la suite, souhaitant réaliser des entretiens formels avec les responsables et les guides en dehors des visites, j’ai contacté les guides par téléphone. J’ai obtenu un refus formel de Micky’s ; les secrétariats de Coiste et d’EPIC m’ont donné un accord verbal sous réserve que j’envoie mes questions par courriel, mais je n’ai jamais reçu de réponse à ma demande, malgré la mention de la recommandation expresse d’un collègue de l’Université Queen’s et de ses coordonnées. J’ai aussi complété ma recherche en consultant les sites Web des différentes compagnies d’autocars, de taxis et de circuits à pied. J’ai analysé les propos recueillis par thématique pour comprendre ce qui se joue sur la définition du conflit et la caractérisation des lieux emblématiques des Troubles. Les discours de ces différents guides se distinguent par leurs partis pris plus ou moins explicites, le sens qu’ils attribuent au conflit, l’usage de l’histoire et leurs postures vis-à-vis de la violence et des victimes, mais tout d’abord par la distance (ou non) vis-à-vis des Troubles ou des quartiers visités.

L’expérience personnelle des guides mise en scène dans la visite

Les compagnies généralistes qui offrent des visites en car hop and off dans les Falls et le Shankill (Belfast City Tours, Belfast City Sightseeing) emploient des guides qui adoptent un récit impersonnel. Ces employés ne sont généralement pas issus des quartiers défavorisés et conflictuels de Belfast. Les guident se servent d’une « mise en scène de l’authenticité » (MacCannell, 1973), en laissant les touristes aller à leur guise aux abords de la peaceline de Cupar Way, sans rencontrer la population locale (C1 et C2). Mais la vision donnée, dans ces visites, de communautés fracturées et de peintures guerrières ou identitaires est superficielle et fugace (McDowell, 2008 : 409). Les compagnies généralistes construisent ainsi une interprétation du conflit qui subsisterait dans les quartiers populaires ségrégés alors que les lieux « neutres » du centre-ville dédiés à la consommation seraient pacifiés (Wiedenhoft-Murphy 2010 : 546). Cette représentation d’une ville à deux vitesses recouvre des réalités plus complexes ; les populations locales peuvent avoir le sentiment que les guides extérieurs au quartier exploitent leur image et ne rendent pas compte de se qui s’y passe réellement (Causevic et Lynch, 2008). Il n’est pas rare que les visiteurs s’y promenant soient insultés ou molestés. Les cars réalisant des circuits avec des touristes sont parfois attaqués à coups de pierres et de cocktails Molotov par des jeunes gens lorsqu’ils passent dans les quartiers populaires ; et il arrive que les véhicules de ces compagnies soient incendiés dans leurs aires de stationnement[27]. En effet la réception des touristes par les habitants dans les quartiers confessionnels est ambivalente, partagée entre un accueil positif et un malaise face à l’image guerrière véhiculée (et qui est parfois un signe du maintien des milices paramilitaires : celles-ci ne suscitent pas l’adhésion unanime de la population). De plus, en raison du manque d’infrastructures hôtelières et de restauration attractives dans les quartiers populaires, les dépenses des touristes sont très peu significatives. Les habitants expriment aussi parfois un certain ressentiment du fait que les anciens détenus en tirent des bénéfices en instrumentalisant l’image du quartier.

À l’inverse, certaines compagnies d’autocars (Allen’s Tours par exemple), les compagnies de taxis, les guides individuels locaux ou les associations d’anciens prisonniers livrent des récits engagés fondés sur le savoir local. Les récits à la première personne mettent en scène des histoires personnelles et des opinions dans les explications proposées. Les arguments de donner à comprendre les événements de l’intérieur et de rencontrer des personnes les ayant vécus sont utilisés comme discours publicitaires pour promouvoir les visites. G2, au début du circuit, annonce au groupe : « You’ll be aware of what really happened here. » Dans un contexte concurrentiel, le principal argument publicitaire est le caractère « authentique » de la visite (Leonard, 2011). Ainsi le site Internet de Coiste promet sur sa page d’accueil « a unique walking tour delivered by former political prisoners who share their personal experience of the British/Irish conflict[28] », ajoutant que le circuit donne « the opportunity to meet many leading figures involved in the current peace process [29] ». Value Cabs pour sa part affirme dans sa publicité : « You get first-hand experience from people who lived through the troubles[30]. » Les guides locaux, surtout les anciens prisonniers pour actes de terrorisme, mettent en scène des anecdotes personnelles qui construisent une représentation du territoire marqué par la violence à laquelle les touristes ont accès par des témoins directs. Pendant les circuits à pied auxquels j’ai participé, les guides de Coiste et d’EPIC étaient régulièrement salués par des connaissances, ce qui fait ressortir leur lien à la communauté locale et au quartier. Dans leurs présentations, l’usage du nous est très fréquent : « our struggle », « our community », sont évoqués. Les souvenirs valident les récits produits et suscitent la sympathie du récepteur plus que les faits rapportés « objectivement » ou de manière neutre par les guides officiels. Il est à noter que ces circuits à pied guidés par les anciens détenus (Coiste et EPIC) ne franchissent pas les lignes confessionnelles : la visite d’EPIC se déroule dans le Shankill et celle de Coiste intégralement dans les Falls. Les anciens prisonniers craignent les représailles sur le territoire de l’« autre ». Seul le guide de Micky’s Tours (G1) peut aller librement des « deux côtés », car il n’a pas été engagé dans une milice. De père nord-irlandais, ayant grandi en Angleterre, il n’est revenu que récemment s’installer à Belfast.

Les liens des guides aux organisations paramilitaires et leur rôle dans le conflit sont souvent très ambigus, en tout cas rarement réellement explicités. Les guides (G2, G3, G4, G5) soulignent leur amitié avec les personnages républicains influents de l’Irish Republican Army (IRA) ou les loyalistes de l’Ulster Volunteer Force (UVF) et affirment qu’ils se sont engagés pour défendre leur communauté face à l’oppression ou aux attaques armées. La question de leur participation au conflit armé et aux actes de terrorisme est toujours éludée, sauf par G5 qui se dit « repenti ». Ainsi, un guide républicain (Coiste G2) relate qu’il a été « emprisonné mais jamais condamné » ; un autre (Coiste G3) explique qu’il n’a jamais été en prison car sa participation n’a jamais été prouvée : engagé très jeune dans l’IRA officielle[31] pour ses idéaux socialistes, il a participé aux réflexions de structuration de celle-ci, et il insiste pour dire que très tôt l’organisation s’est désengagée du combat armé. Il précise que lui-même n’a tué personne et qu’il aurait quitté l’organisation si on le lui avait demandé. Jamais il ne mentionne son rang ni son rôle dans l’organisation. Lors de la visite de l’Irish Republican History Museum[32], étape du circuit, il montre fièrement une coupure de presse concernant les défilés des droits civiques en 1968 et la photo d’illustration où il figure parmi les manifestants à côté d’un représentant important de l’IRA officielle. Le guide de Micky’s Tours (G1) explique que dans le cadre d’une guerre les membres de l’IRA ne sont pas des meurtriers, ajoutant qu’il « ne demande pas pardon pour l’IRA » et qu’il cautionne les buts poursuivis. Pourtant il n’a pas fait partie de cette organisation car il n’a vécu à Belfast que dans la période récente. Un guide d’EPIC (G4) affirme qu’il a été engagé dans l’Armée britannique, mais son lien avec les milices paramilitaires, qu’il cite à peine, reste mystérieux, alors que des tatouages sur ses bras semblent l’associer aux organisations loyalistes, en particulier l’UVF. Ces attitudes sont caractéristiques du discours des anciens prisonniers pour activités paramilitaires. Toutefois, parmi les loyalistes, les Born Again Christians – ceux qui se sont tournés vers les Églises charismatiques pendant leur séjour en prison – ne cachent pas leur responsabilité dans des meurtres ou des attentats qu’ils affirment regretter, pour participer dorénavant à la construction de la paix. Ils demeurent très minoritaires. G5 souligne son « devoir » de témoigner. De manière générale, les guides des « visites engagées » (des deux communautés) utilisent diverses formes de déni de la violence, des faits ou de leur gravité, en attribuant des responsabilités ailleurs ou en les justifiant par la nécessité de répondre à la menace ou à l’agression (Leonard, 2011).

Des définitions concurrentes du conflit

En fonction de leur positionnement, les organisateurs de circuits touristiques dans la ville de Belfast livrent une interprétation engagée ou distanciée de la période des « Troubles » et du conflit entre catholiques et protestants. Dans les visites classiques, les Troubles sont pris comme un élément parmi d’autres d’une ville reconstruite et en paix, alors qu’ils en sont le moteur dans les political tours, dont les parcours sont axés sur les lieux de mémoire associés. Les fresques murales présentent aux touristes des symboles violents du conflit qui reflètent les positions politiques arrêtées des deux communautés et proposent des justifications au combat.

Pour tous les acteurs, le conflit en jeu est sujet de définitions concurrentes. Ainsi les compagnies d’autocars le présentent comme une guerre civile entre deux communautés, qu’elles adoptent une posture neutre – comme Sightseeing ou Belfast City – ou engagée ; Allen’s Tours pour sa part ne cache pas, dans ses commentaires lors des visites, son appartenance et son parti pris pour la communauté protestante[33]. Allen’s et les organisations militantes loyalistes (entre autres EPIC) reprennent la version de la guerre entre catholiques et protestants, conforme au récit unioniste, et insistent sur le rôle des milices (G4 et G5). Au contraire, la rhétorique républicaine explique les Troubles selon un modèle de conflit colonial, du fait des Britanniques (sous le terme péjoratif de Brits), et dans lequel l’Armée britannique a joué un rôle de premier plan (G2, G3). Les guides républicains attribuent l’origine des Troubles, à la fin des années 1960, à la répression par l’Armée britannique des protestations pacifiques pour les droits civiques. Un des guides de Coiste (G3) développe aussi une argumentation spécifique sur les intérêts des élites anglaises à maintenir le conflit en Irlande, depuis le XVIIIe siècle, afin de conforter leur pouvoir. Le guide de Micky’s Tours (G1) insiste aussi sur le fait que c’était une guerre contre les Britanniques.

Les interprétations engagées ont ainsi pour effet de légitimer le combat et de rejeter les responsabilités sur l’autre communauté. Les associations ou les guides nationalistes/républicains, dont l’horizon politique est l’Irlande unie, utilisent le conflit pour dénoncer l’État britannique, qualifié de colonial, comme l’instigateur de la violence de l’État contre leur communauté. Ils justifient le combat en termes de lutte politique et anticoloniale. Les associations loyalistes construisent une vision du conflit en termes de sectarisme produisant des victimes innocentes, dont les républicains/nationalistes sont désignés comme responsables. La valeur accordée à ces circuits n’est donc pas seulement économique, mais aussi symbolique. Soulignons que les républicains se sont positionnés plus tôt et sont plus actifs sur ce marché.

Ces horizons donnent aussi lieu à des interprétations divergentes du processus de paix et des développements politiques contemporains ; ces interprétations liées à l’actualité sont livrées aux touristes et constituent un élément important dans le processus de construction de l’image de la communauté. Les guides loyalistes (G4 et G5) expriment ainsi le sentiment de dépossession des communautés protestantes marginalisées et le ressentiment que le processus de paix ne profite qu’aux catholiques[34]. Un guide d’EPIC (G4) cite à plusieurs reprises que l’Irlande du Nord est le seul pays où des « terroristes siègent au gouvernement »[35]. Il regrette la libération des prisonniers politiques[36] : « Les terroristes de l’IRA marchent librement dans la ville, alors que leurs victimes blessées dans les attentats, handicapées à vie, sont clouées dans leurs fauteuils roulants. » Il fustige l’insécurité de sa communauté en raison des armes des républicains qui n’ont pas été rendues et des attentats qui continuent, contre la police ou les ménages protestants, ce qu’il considère comme une injustice civile. Et il attaque la crédulité ou la compromission de la commission internationale chargée de vérifier la destruction des armes[37]. G5 est plus nuancé, affirmant que, des deux côtés, des paramilitaires n’ont pas déposé les armes. Par comparaison, le guide d’Allen’s tient un discours moins tranché, même s’il mêle l’ironie et la dénonciation quand il rappelle les attaques de banques par l’IRA après les accords de paix. Ces allégations sur le mode de la défiance face à l’État sont un fait nouveau dans la culture loyaliste, qui témoigne de la mise à mal de la loyauté de cette communauté qui se sent trahie par ses élites.

Au contraire, les guides républicains véhiculent la thèse de la résistance à un État qui perpétue les injustices. Les guides de Coiste (G2 et G3) citent ainsi l’absence d’ouverture d’une enquête publique sur l’assassinat de l’avocat Pat Finucane perpétré en 1989 par une milice loyaliste. Cette milice est soupçonnée d’avoir bénéficié de complicité avec les forces de l’ordre : ce fait est dénoncé comme une injustice politique. Ainsi les républicains dénoncent d’abord la violence d’État (G3 mentionne à plusieurs reprises les assassinats sélectifs des cadres de l’IRA officielle perpétrés par l’Armée britannique) ; a contrario les loyalistes orientent leur discours vers les victimes civiles innocentes. Les guides républicains (G2 et G3) mentionnent aussi les victimes civiles, mais de manière plus politisée : les victimes commémorées sont d’abord des combattants qui ont défendu leur communauté. Les guident présentent aussi l’IRA comme un acteur essentiel du processus de paix, en particulier lors des tractations qui ont abouti aux accords de 1998 (Coiste, G3).

Dans ce cadre, le conflit est aussi lié aux politiques publiques, notamment celles d’aménagement des territoires ségrégés. Le guide catholique G2 dénonce l’opposition des protestants qui empêchent de construire plus de logements pour leur population. Le guide protestant G4 fustige l’absence de politiques sociales de régénération dans leurs quartiers, qui, d’après lui, ont été délaissés au profit des quartiers catholiques. Reconstruits plus densément, ces derniers sont plus dynamiques démographiquement. Les guides catholiques (G1, G2, G3) rappellent souvent que l’État nord-irlandais a fabriqué le conflit en raison de discriminations sociales et politiques (accès au logement et à l’emploi public) et précipité les Troubles dans les années 1960[38]. Au contraire, les guides loyalistes (G4 et G5) défendent l’État britannique dans un domaine inattendu, celui des prestations sociales (indemnités de chômage, allocations de logement, gratuité des soins de base) que ne garantirait pas l’État du Sud aujourd’hui. Le rattachement au Royaume-Uni serait ainsi un meilleur choix, ce qui disqualifie la volonté des républicains de rattachement à la République d’Irlande.

L’instrumentalisation de l’histoire et de la culture

Dans ces récits concurrents des guides, l’usage de l’histoire correspond aux positions habituelles républicaines/loyalistes. Les républicains ont une interprétation du conflit centrée sur les débuts des Troubles en 1969, mais inscrivent aussi le conflit dans une histoire coloniale longue, depuis les invasions par les anglo-normands au XIIe siècle, puis les guerres coloniales du XVIIIe siècle et enfin les mouvements d’indépendance du XVIIIe au XXe siècle (G1, G2, G3). La longue liste des héros de l’Indépendance est ainsi remémorée, notamment lors de la visite au cimetière de Milltown, où se termine le circuit de Coiste. Ces héros sont présentés comme des combattants universels pour la liberté, pas seulement comme des figures du républicanisme irlandais. Par exemple un des guides de Coiste (G3) insiste sur l’envergure mondiale et le rôle de militant marxiste du socialiste James Connolly, un des insurgés de 1916. La rhétorique républicaine met ainsi l’accent sur la dimension de lutte anticoloniale et de défense de la liberté, d’ordre politique et qui n’a pas toujours opposé catholiques et protestants. Le guide indépendant de Micky’s Tours mentionne que les défenseurs de l’autonomie de l’Irlande aux XVIIIe et XIXe siècles n’étaient pas tous catholiques, comme la figure de Wolfe Tone, leader des Irlandais unis[39].

Les guides loyalistes sont plutôt centrés sur la période contemporaine post-conflit. Il existe pourtant un regain d’intérêt pour l’histoire militaire et un épisode de la mémoire collective unioniste, la bataille de la Somme (Graham et Shirlow, 2002). En 1916, la 36e Division de l’Armée britannique a été décimée lors de cette bataille : le régiment était formé par l’Uster Volunteer Force[40], milice unioniste dans laquelle de nombreux protestants de Belfast et notamment du Shankill s’étaient engagés. La bataille de la Première Guerre mondiale était commémorée par la classe moyenne ; depuis quelques années sa mémoire est réinvestie dans les quartiers populaires et dans l’imagerie des fresques paramilitaires en particulier. Les figures des milices sont souvent représentées en miroir de celle du soldat loyal qui a donné sa vie à la nation.

Les républicains développent une interprétation du conflit en termes de lutte d’une minorité contre la domination politique et l’inscrivent dans le temps long des luttes contre l’oppression. Des exemples internationaux sont mobilisés, liant la situation nord-irlandaise par exemple à la Palestine ou l’Afrique du sud (G2 ; G3). Les circuits républicains dans les Falls organisés par Coiste et des guides indépendants nationalistes s’arrêtent devant l’International Wall, situé au début de Falls Road. Il s’agit du mur d’un entrepôt orné de fresques politiques : certaines sont dédiées au Congrès national africain (ANC) en Afrique du Sud ou à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), une autre reproduit la fresque de Guernica et une autre encore dénonce les lois d’exception et les arrestations massives dans les Falls en 1971.

Les récits des guides locaux incluent aussi la promotion d’une culture locale, d’un folklore, parallèlement au processus d’instrumentalisation de la culture locale par les autorités touristiques. La municipalité avait ainsi tenté de promouvoir les défilés très contestés de l’ordre d’Orange du 12 juillet[41] en « Orangefest », pour donner une image positive aux touristes. Cela a provoqué la fureur des catholiques qui n’y voient que l’expression du sectarisme et de la domination des unionistes et le dépit des protestants qui sentaient que leur tradition était ainsi déniée au profit d’une présentation faussée. Un guide d’EPIC (G5) explique que les défilés du 12 juillet sont un élément essentiel de la culture protestante. Parallèlement à l’appellation de Gaeltacht Quarter qu’ils reprennent à leur compte, les guides républicains locaux insistent sur la vitalité des écoles de langue gaélique dans le quartier. G3 insiste particulièrement sur cet aspect ; il fréquente lui-même cette école et parle très bien le gaélique. Cette thématique est d’ailleurs reprise de façon particulièrement intéressante au regard de l’implication des acteurs locaux, dans une fresque murale de l’International Wall de Falls Road (illustration 8).

Fig. 8

Illustration 8 : Fresque murale, International Wall, Falls Road, Belfast Ouest

Illustration 8 : Fresque murale, International Wall, Falls Road, Belfast Ouest
Photographie : Florine Ballif, juin 2013

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Les républicains manipulent beaucoup mieux l’histoire et la culture du conflit afin de gagner une légitimité au niveau international dans leurs récits. Les loyalistes apparaissent davantage liés aux milices paramilitaires locales ; leur image a été ternie par les atrocités que les gangs ont perpétrées dans les années 1980 et 1990 et les luttes de factions loyalistes rivales pour se départager les marchés illégaux (notamment de la drogue) au début des années 2000. Leur position de dominants sur l’échiquier politique par le passé a été un obstacle pour attirer la sympathie à leur cause. Aujourd’hui les loyalistes ont peaufiné leur discours pour renverser cette image négative, mais les républicains gardent une longueur d’avance sur la capacité de tirer la symbolique à leur profit, notamment à travers la victimisation. Un guide loyaliste (G5) affirme ainsi que le processus de paix a bénéficié davantage aux catholiques en termes d’image.

Le ressort de la victimisation

Un ressort très puissant de l’adhésion, notamment internationale, aux causes républicaine et loyaliste est la capacité à se représenter en victimes de la violence. Les discours expriment une ambiguïté très forte vis-à-vis de la violence commise, entre déni, minimisation et phrases convenues de regret de la situation. Ils mettent en scène les victimes de leurs communautés respectives. La victimisation est le principal outil mobilisé dans l’articulation de ces histoires opposées. « Il y a une répétition stérile de la souffrance vécue dans la communauté » (Shirlow, 2008 : 76). Les républicains ont construit une image de victimes diffusée à l’international depuis les années 1980. En revanche, le positionnement des loyalistes sur le discours victimaire est plus nouveau. Chez les deux groupes, un phénomène remarquable est la multiplication de toutes sortes de monuments aux morts dans les quartiers résidentiels depuis le début des années 2000. Des fresques représentant les victimes et de véritables monuments aux morts sont érigés dans un jardin ou dans un enclos. Les circuits à pied commentent les principaux monuments. Pour les républicains, la visite commence par le jardin du Souvenir (illustration 3), érigé en 2001 par la Falls Cultural Society et dédié principalement aux combattants du quartier. Quatre stèles en granite noir portent les noms des combattants de l’IRA appartenant aux différents bataillons du quartier tués depuis le début du XXe siècle et la cinquième stèle est dédiée aux victimes civiles. Les guides de Coiste (G2 et G3) insistent sur la complicité des forces de l’ordre dans les assassinats des chefs de brigades, pour renforcer l’idée d’un conflit mené par l’Armée britannique. De la même façon, le mur qui affiche un panneau avec les photos des victimes (dans Beechmount Avenue) porte la mention « murdered » avec la date du décès et le nom de la milice paramilitaire (avérée ou présumée) auteur des faits. Parfois le nom de la milice est associé à celui du MI5, les services de renseignements britanniques responsables de la sécurité nationale, accusés de collusion dans les assassinats. Le Clonard Martyrs Memorial Garden, square aménagé dans Bombay Street juste derrière la peaceline par la Greater Clonard Ex-Prisoners Association, est un passage obligé des visites républicaines. Il commémore les victimes du quartier, principalement celles du début des Troubles en août 1969. Au monument aux morts est adjointe une fresque rappelant la destruction du quartier (illustration 9) et les photos des dix victimes de cet épisode sanglant y sont affichées en médaillon. Les guides font le récit des attaques des communautés ouvrières de Belfast par les loyalistes et évoquent le souvenir de « rues entières réduites en cendres » (G2) ; ils font mémoire des hommes qui se sont engagés pour sauver leur communauté et y ont perdu la vie. Une brochure disponible sur place rappelle d’abord les noms (avec photos) des combattants, puis la liste des victimes civiles et des circonstances de leur mort. La brochure spécifie que le monument honore la mémoire des disparus qui ont perdu leur vie par conséquence directe du conflit, résultant de l’occupation britannique.

Fig. 9

Illustration 9 : Fresque murale, Bombay Street

Illustration 9 : Fresque murale, Bombay Street
Photographie : Florine Ballif, juin 2013

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Dans les discours républicains, la martyrologie est une tradition ancienne, qui puise beaucoup dans la littérature (Kearney, 1987). L’imagerie religieuse catholique est très présente et attachée à la figure du Christ. En témoigne, dans le jardin du souvenir de Falls Road, le monument aux morts orné de l’image d’une femme (l’Irlande) tenant dans ses bras un homme à la manière d’une Pièta, avec la citation du poète révolutionnaire Patrick Pearse, fusillé après l’insurrection ratée de 1916 à Dublin : « The fools, the fools, the fools—they have left us our Fenian[42] dead; and while Ireland holds these graves, Ireland unfree shall never be at peace[43]. » La figure des grévistes de la faim dans les années 1980 est aussi révélatrice à cet égard. En particulier Bobby Sands, le premier des dix prisonniers de l’IRA grévistes de la faim à mourir en 1981[44], est célébré par une fresque murale à coté du bureau du Sinn Fein de Belfast Ouest. C’est un arrêt obligé de toutes les visites républicaines. On y voit un jeune homme aux cheveux longs, souriant, évoquant aussi une figure christique, dont le martyre est évoqué par les guides (G1, G2, G3).

Le circuit loyaliste dans le quartier du Shankill comporte de très longs commentaires sur des fresques et monuments récents (installés pour la plupart depuis moins de dix ans), qui évoquent les attentats qui y ont eu lieu, tuant des victimes civiles. Les principaux arrêts de la visite (G4, G5) sont le mémorial de l’attentat du bar Le Bayardo en 1975 érigé en 2008 sur le lieu du bar disparu[45] et, à proximité, le jardin du Souvenir (Shankill Memorial Park, illustration 4), réalisé en 1992 en mémoire de toutes les victimes des forces armées depuis la Première Guerre mondiale. Dans ce jardin, un monument (un bec de gaz ancien) a été ajouté en 1993 pour honorer la mémoire des dix victimes innocentes de l’attentat de la poissonnerie de Shankill Road et de toutes les victimes innocentes du quartier de Shankill. Le guide (G4) mentionne à peine la première destination du jardin pour insister sur les victimes civiles. G5 pour sa part lie les victimes de la Somme à celles des attentats d’aujourd’hui dans leur appartenance à la communauté.

Les guides locaux ont un discours ambigu concernant les victimes. Ils mentionnent les victimes de leur communauté respective commémorées spécifiquement par les monuments, pour ensuite parler de toutes les « victimes innocentes » ; cela est plus marqué chez les guides loyalistes pour lesquels il est moins évident de positionner leur communauté en victime. Les guides loyalistes (G4, G5) insistent ainsi beaucoup sur cette notion de « toutes les victimes » et « l’horreur » que cela inspire (G4). Le guide républicain indépendant (G1), dans le Shankill, se reprend après avoir expliqué que le monument du Bayardo est à la mémoire de cinq protestants massacrés par un gang républicain… il ne s’agit pas de protestants mais de personnes et il ne faut pas faire de différence !

Les guides ont aussi tendance à minimiser l’importance des monuments érigés pour les forces de l’ordre. Pour les guides loyalistes, la raison est qu’ils donnent plus d’importance aux victimes civiles dans le but de construire leur discours victimaire. Pour les guides républicains, cela rejoint leur discours idéologique du combat armé : les membres des forces britanniques (en quasi-totalité issus de la communauté protestante nord-irlandaise ou de Grande-Bretagne avant 1998) n’ont pas droit à être cités comme victimes puisqu’ils ont livré une guerre. Ces guides ont aussi tendance à effacer la distinction (pourtant très nette sur les monuments aux morts) entre victimes civiles et combattants de l’IRA et à politiser les morts en parlant d’assassinats plutôt que de victimes innocentes.

Ces lieux de commémoration des victimes sont présentés de manière personnelle par des guides : devant les photos d’individus assassinés ou tués dans un attentat, les guides racontent des anecdotes sur telle ou telle personne qu’ils ont connue ou sur les circonstances de sa mort tragique. Le lien d’interconnaissance avec la victime est toujours précisé. Il s’agit d’un ami, d’un cousin, d’un voisin… Le lien du guide aux victimes est souvent mis en scène dans les situations de drame : le récit se fait au présent, avec force détails morbides, ou est construit de manière à tenir le visiteur en haleine. Les guides racontent la mort au combat des héros du quartier en évoquant leurs souvenirs de ces victimes, qu’ils ont connues dans leur enfance ou leur vie de jeune adulte. G3 évoque ainsi le talent de pianiste d’un camarade qui plus tard s’est fait abattre à l’arme automatique devant sa maison, sous les yeux de sa femme et de ses enfants. Les guides relatent parfois leur participation aux événements. Un guide loyaliste (G4) raconte comment, étant à proximité du drame dans un bar voisin, il est intervenu pour secourir les blessés lors de l’attentat de la poissonnerie en 1993. Il se met en scène de façon désintéressée quand il explique qu’il a secouru le poseur de bombe avant de comprendre de qui il s’agissait[46] et avant de découvrir un proche dans les décombres[47]. Il raconte ensuite qu’il a échappé à plusieurs attentats, dont un à la voiture piégée, alors qu’il a heureusement remarqué les explosifs sous sa voiture et fait évacuer les maisons avoisinantes. Ces récits héroïques et dramatisés à la première personne semblent parfois difficiles à croire, trop construits pour attester de l’implication personnelle du guide, ou paraissent trop nombreux pour une seule personne. Ils font néanmoins référence à des événements qui se sont réellement produits et dont le guide a une connaissance directe ou indirecte. Le « vécu » donne ainsi l’image d’une communauté soudée dans le deuil et dans l’adversité.

Chaque guide emmène ainsi les touristes sur les lieux de souvenirs qui commémorent les morts et les blessures de chaque communauté. Les loyalistes et les unionistes s’inscrivent dans des récits collectifs divergents sur le conflit et contribuent à les perpétuer. On peut se demander quels sont les effets de cette transformation des artéfacts du conflit en attractions touristiques (fresques, monuments aux morts, peacelines). Ces artéfacts matériels et le territoire réactivent le souvenir des disparus et la mémoire collective de la violence (Feldman, 1991). D’une certaine façon, le conflit est perpétué par ces artéfacts – d’autant que la compétition entre les communautés conduit à une démultiplication des monuments (monuments aux morts, fresques murales) et de l’imagerie touristique (par exemple des cartes postales représentant les fresques sont vendues par les boutiques loyalistes dans Shankill) – ainsi que par la dramatisation des récits par les compagnies qui se livrent une compétition féroce pour attirer les touristes[48]. Par le biais de ces artéfacts, les riverains sont constamment confrontés à ces images du passé rappelant la mort de proches ou d’habitants du quartier. L’identité collective est liée au conflit et les produits touristiques confèrent une identité forte aux territoires parcourus. Il serait intéressant de mener des recherches sur les significations qu’accordent réellement les riverains aux monuments aux morts et aux fresques qui sont maintenus par les associations locales d’anciens prisonniers et « consommés » par les touristes, qui contribuent à propager à l’international l’image de ces paysages de conflit.

Les propositions touristiques liées à l’explication ou l’exploitation du conflit par les acteurs touristiques classiques et par les initiatives locales conduisent aussi à renforcer l’opposition entre les quartiers marqués par la ségrégation confessionnelle et la violence et les espaces centraux rénovés dédiés aux loisirs (payants) et à la consommation. Il est intéressant de noter que les monuments aux morts érigés dans la période récente sont confinés aux quartiers ouvriers confessionnels. Au centre-ville, il n’y pas de mémorial dédié aux victimes des Troubles, et le mémorial érigé pour les victimes du naufrage du Titanic rappelle les noms de toutes les victimes sans distinction de nationalité, de classe ou de religion. La mémoire collective de la violence est oblitérée dans le « nouveau Belfast ». La version officielle de l’histoire de Belfast vise à promouvoir le récit d’une ville « post-conflit », dans laquelle les espaces de consommation et de loisirs sont exempts de revendications et de conflits identitaires. Les espaces ségrégés gardent leur image de territoires de conflits, véhiculée par les guides officiels et les associations et guides issus des quartiers. L’histoire du conflit se réécrit dans le quotidien des visites guidées ; récits contradictoires dont les touristes peuvent entendre les voix multiples.