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Fig. 1

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L’ouvrage de Costas Spirou fait partie de la série « Metropolis and Modern Life » de la maison de publication Routledge. L’auteur est doyen associé principal aux affaires académiques et directeur de la Graduate School de la Georgia College and State University. Ses intérêts de recherche couvrent le leadership municipal, les politiques publiques, les affaires urbaines et la gouvernance. Son livre Urban Tourism and Urban Change traite principalement de sociologie politique et économique en lien avec les stades sportifs, les centres de congrès et le redéveloppement urbain.

Publié en 2011, ce livre s’ouvre sur une carte du monde qui identifie les villes dont il fera mention, mais la recherche vise majoritairement des villes américaines, ce qui rend le propos difficilement transférable ailleurs. Tel que planifié par l’auteur, le contenu sied parfaitement à son utilisation dans le cadre de cours universitaires en études urbaines et les questions qui clôturent chaque chapitre sont pertinentes aux débats à initier avec des étudiants.

La place du tourisme dans les stratégies de développement des villes

Déjà dans le sous-titre de l’ouvrage, Cities in a Global Economy, Spirou amène le tourisme urbain dans l’arène de la transformation des villes à l’heure d’une économie mondialisée. Si son premier chapitre traite de l’historique socio-politico-économique de l’évolution des villes américaines en guise d’introduction à la notion de loisir, il y associe du même coup la notion de commodification (marchandisation) et donc de consumérisme. Cette mise en contexte l’amène à situer l’émergence et la place qu’occupe dès lors l’industrie touristique, forçant les villes à se pencher sur le tourisme comme facteur d’attraction, les contraignant à investir des ressources considérables pour entrer dans la course de la compétitivité urbaine.

Cet état de fait établit le lien entre la mondialisation, la compétition et le tourisme et incitera les villes à développer des stratégies en lien avec le secteur privé en instaurant des partenariats publics-privés (PPP) pour y arriver. Ces partenariats amèneront des investissements liés au redéveloppement urbain par le biais de la culture, du tourisme et du divertissement, encourageant la construction de nouveaux centres culturels et transformant ainsi les centres urbains en villes touristiques. L’encouragement à l’entrepreneuriat, l’accessibilité aux profits et la taxation sur les services touristiques sont pourtant des stratégies discutables, puisque si elles desservent directement le développement touristique, elles ne correspondent pas nécessairement au financement des services publics et des besoins budgétaires des villes, ni aux investissements majeurs nécessaires aux campagnes de marketing, aux infrastructures physiques et à la tenue d’événements majeurs.

Source d’économie alternative, le tourisme serait intrinsèquement lié aux politiques urbaines. Si les instances municipales encouragent le développement touristique par des politiques facilitantes, l’auteur note que l’utilité de certaines planifications, attrayantes pour les investisseurs et les promoteurs, ne garantit pas pour autant des résultats probants. Si la création d’emplois et les revenus de taxation ne sont pas soutenus, rares seront les avantages pour les citoyens. Or, les stratégies de politiques touristiques, bien qu’elles soient intimement associées à la croissance urbaine, sont conformes aux intérêts du marché plutôt qu’aux valeurs sociales.

Spirou identifie une autre stratégie employée par les villes, soit la création de districts touristiques en tant que pièces maîtresses du tourisme urbain. Utilisés comme outils de marketing, les districts participeraient au positionnement des villes et à leur compétitivité, tout en les enjoignant à s’embellir afin qu’elles soient plus invitantes pour les résidents actuels et potentiels, plus sécuritaires et plus attrayantes comme destinations touristiques.

L’auteur note à ce sujet que ces stratégies renforcent le rôle et le pouvoir des maires, tout en rendant la compétition entre les villes plus féroce. L’idéologie municipale envers la notion de croissance, nourrie par des subventions sous forme d’investissements en capital, de taxes foncières et d’obligations, justifie le financement de stades sportifs, de centres de congrès, de casinos, de centres de divertissement et de développements riverains. Ce potentiel de croissance vient cependant interférer avec le fait que les citoyens y trouvent rarement leur compte.

L’auteur cite de nombreux exemples issus principalement de villes états-uniennes, dont le LoDo (Lower Downtown) District de Denver, mais réfère aussi à Glasgow en Écosse et Brisbane en Australie pour corroborer les stratégies identifiées.

Typologie des stratégies de développement

Parmi les stratégies de développement, Spirou distingue plusieurs avenues telles que l’ajout d’infrastructures pour la venue de nouvelles attractions et de parcs hôteliers, citant également un apport en capital humain, un besoin d’embellissement et un redéveloppement des centres-villes.

Le fait que le développement urbain stimule les investissements améliorerait la qualité de la main-d’œuvre locale et amènerait de nouveaux équipements culturels, influencerait l’emploi local et inviterait à de nouvelles expériences de consommation et de styles de vie. Spirou rejoint ici la théorie de Richard Florida (2002) sur l’évolution de la ville grâce à l’apport d’une classe créative, source de connaissances et de compétences, sans toutefois souligner que cette même classe crée aussi des fractures sociales importantes. Florida viendra d’ailleurs plus tard le confirmer dans son livre sur la crise urbaine (2017). Par ailleurs, l’intérêt des maires pour soutenir le tourisme représenterait une chance de protéger et d’améliorer la qualité de vie des résidents, de renforcer les capacités et l’économie locale, sans pour autant y arriver, exemples à l’appui.

Parallèlement, le fait de reconfigurer les centres-villes amène aussi son lot de questionnements, à savoir la montée en flèche de la gentrification, de nouveaux développements résidentiels et de reconversions en lofts plus appropriés pour la classe aisée. Conséquemment, le profil des résidents évolue davantage vers la recherche d’équipements et de styles de vie basés sur la proximité du divertissement et de la culture au cœur de la ville et de quartiers limitrophes émergents. Or, si le tourisme peut représenter une politique de développement économique fructueuse, l’auteur souligne que cela doit être réalisé en partenariat avec d’autres initiatives pour assurer une réelle croissance urbaine.

Le dernier chapitre nous apparaît le plus intéressant, même si les informations ne reflètent pas les changements des dernières années. Il propose des réflexions qui tiennent toujours la route où le discernement prend enfin place. Ainsi, Spirou souligne que la transformation urbaine (et ses financements) ne garantit pas son succès surtout en créant deux villes en une, soit riche, soit pauvre. Le dilemme est bien réel puisque, d’une part, l’image de la ville, les revenus de taxation et la création d’emplois et, d’autre part, l’intense compétitivité économique et la réputation de la ville à se maintenir confirment qu’elle n’a pas vraiment les moyens de s’en passer. Comme le dit si bien Susan S. Fainstein (Judd et Fainstein, 1999), une auteure dont Spirou s’inspire beaucoup, il faut cependant considérer que les villes sont sujettes à des « tourist bubbles » qui suivent toujours les cycles économiques dans une alternance d’expansion et de récession et que la recherche de succès mène souvent les villes à se copier entre elles plutôt qu’à miser sur la couleur locale, réelle authenticité culturelle, en évitant une approche « top down » et l’homogénéisation des espaces. Malgré tout, Spirou constate que les résidents de tels quartiers touristiques semblent préférer les retombées économiques à la préservation de leur identité !

En fait, il faut avoir foi en la percolation des rendements sur la population, ce qui n’est ni mesuré ni précisé mais simplement surestimé, selon l’auteur, qui souligne que les emplois créés sont surtout peu payants, temporaires et offrent peu de bénéfices. De plus, les citoyens ont peu d’occasions de se prononcer par référendum sur des choix municipaux tels que la construction de stades sportifs ou la mise en candidature pour l’obtention d’événements majeurs.

L’auteur conclut que l’un des défis majeurs du tourisme urbain et des villes est d’adopter des stratégies de développement économique local qui, en plus des enjeux de justice sociale, viseraient à éviter un « social apartheid [sic] », d’où la question de savoir s’il peut exister une alliance viable entre les intérêts privés et l’engagement public, entre la transformation urbaine et le tourisme. Évidemment, les « disrupteurs » tels que Uber et Airbnb n’avaient pas encore fait les manchettes !

Conclusion

Les propos de Costas Spirou sont largement baignés d’exemples, chiffres et statistiques à l’appui, mais ne sont pas toujours concluants avec les énoncés et surtout ils sont très collés à une vision américaine. Le dernier chapitre amène cependant les éléments structurants des changements urbains en partie issus du phénomène touristique, mais la distinction entre touristes et résidents reste à faire, comme si les visiteurs de l’étranger ne faisaient pas partie de la réflexion.

L’importante quantité de références de chaque chapitre nourrirait-elle trop largement les propos de l’auteur, en traitant sur le même pied le tourisme, la culture, le loisir et le divertissement ? On se demande parfois si Spirou ajoute à la compréhension des propos ou s’il en dilue l’essence ou la cohérence.

Peu de liens sont évoqués entre le politique et le néo-capitalisme, la destruction créative et les accumulations de capital qui requièrent des projets pour faire fructifier les surplus, ce dont David Harvey avait traité dans son livre sur le droit à la ville (2008). Il en va de même pour les impacts positifs et négatifs sur la population locale à court, moyen et long terme, qui demanderait davantage de considération. Enfin, la lecture des chapitres fait comprendre l’importante correspondance entre le développement du tourisme urbain et les transformations qu’il apporte. La nécessité de rendre les villes attractives crée des conditions de vie idéales pour les classes fortunées, ce qui altère la composition socioéconomique de la population. Si certains éléments sont transférables à d’autres situations dans le monde, ils ne représentent qu’une partie de l’équation.