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Tourisme(s) et adaptation(s) est un ouvrage collectif structuré en huit parties. Chaque partie, divisée en plusieurs courts chapitres, révèle et déconstruit les rapports entre tourisme et adaptation. Le tourisme, polymorphe, doit évoluer en fonction de changements socio-politiques (conflits, réformes de gouvernance…), environnementaux (changements climatiques, raréfaction de certaines ressources, disparition d’espèces…), économiques ou technologiques (Tuppen et Langenbach[1]). Avec l’adaptation comme fil conducteur, les chapitres révèlent une grande hétérogénéité. Le manque de liant – penchant difficilement évitable de ce type d’ouvrage – est contrebalancé par la richesse de cas et d’approches diversifiés. Ce livre peut donc intéresser étudiants et chercheurs issus de la géographie, de la sociologie, des sciences de la gestion, des études urbaines ou des études touristiques. Des cas africains, européens, asiatiques et nord-américains couvrent des contextes géographiques variés.

Tout d’abord, plusieurs chapitres traitent de l’adaptation des grands milieux touristiques (ville, mer, montagne). Aujourd’hui, le tourisme est surtout urbain. Il doit être adapté aux évolutions de la ville. Une transformation institutionnelle peut avoir des impacts touristiques importants. Ainsi, certains territoires essaient de tirer profit de la formation du Grand Paris (Rouchi[2]). À Montréal, les liens étroits entre le tourisme et la nuit nécessitent de repenser l’éclairage et la lumière pour offrir des expériences plus diversifiées (Bertin[3]).

Historiquement de principaux lieux de vacances, les littoraux concentrent de nombreux enjeux d’adaptation du tourisme. En Espagne, la littoralisation très marquée du tourisme pousse certains territoires de l’arrière-pays à réinventer leur rôle (Suchet[4]). En Tunisie, le tourisme balnéaire de masse est en crise. Alors que les stratégies nationales visent toujours à renforcer ce modèle, les auteurs démontrent que les solutions alternatives (tourisme culturel) ne sont pas assez considérées, malgré un potentiel important (Souissi et Rieucau[5]). À Rabat, les quais du fleuve Bouregreg ont été réaménagés et sont devenus aujourd’hui un espace attractif, sans pour autant que les anciens usages ne disparaissent (Moussalih[6]). En Alsace (France), Xavier Schramm[7] invite au « tricotage » de liens entre tourisme fluvial, tourisme terrestre et territoire pour tirer le plein potentiel du port de plaisance de Saverne, sur le canal de la Marne. En milieu montagnard, le tourisme se transforme, entre la volonté de diversification, de transformation de l’offre pour de nouveaux publics et la pression des changements environnementaux (Langenbach et al. ; Barna et Rayssac,[8]).

L’ensemble des milieux touristiques est confronté aux changements climatiques. Deux chapitres gravitent autour de cet enjeu de plus en plus pressant. Dans la Drôme (France), une étude quantitative essaie de comprendre les perceptions chez les acteurs touristiques et recense les actions entreprises (Tritz et Schiavone[9]). Dans les Alpes, les dispositifs nationaux suisses et français n’apportent pas encore de réponse structurelle à l’enjeu de la raréfaction de la neige sous l’effet du réchauffement (Bonnemains et Clivaz[10]).

Certains chapitres du livre couvrent des perspectives plus sociales et culturelles. Les auteurs étudient comment le tourisme s’adapte aux sociétés et aux populations hôtes. Par exemple, les personnes avec une déficience visuelle peuvent avoir besoin d’aménagements particuliers, mais surtout d’un accompagnement qui leur garantit l’accès à la découverte par d’autres sens que la vue (Mallet[11]). En France, si certains attraits sont accessibles à ces usagers, de fortes inégalités demeurent. L’industrie touristique doit donc concilier différentes attentes pour devenir plus durable. Dans ce but, Luc Gwiazdzinski, Wembo Hu et Zhong Bin Li[12] analysent les comportements des touristes sur l’île de Xiamen (Chine) à partir d’un réseau social, pour les comparer avec les habitudes des locaux et ainsi améliorer la cohabitation des deux populations. Par conséquent, en étudiant les touristes, les chercheurs peuvent aider les collectivités en rassemblant des informations pertinentes visant à améliorer les lieux et les services publics. Dans cette perspective, Zoé Maserati[13] présente son projet de recherche qui consiste à répertorier des expériences auprès de visiteurs de la ville de Grenoble. Leurs témoignages enrichissent les diagnostics territoriaux, utiles pour les institutions municipales. Outre les visiteurs, il faut aussi comprendre les sociétés hôtes. À Madagascar, des interdits culturels profondément ancrés (les fady) entrent parfois en contradiction avec la mise en valeur touristique du territoire. Dans un même temps, les Malgaches doivent assouplir leur système de croyances et le développement du tourisme doit respecter un certain cadre culturel (Preuil[14]). Les approches du développement territorial peuvent accompagner le tourisme vers une meilleure adaptation aux contextes locaux. Ainsi, des acteurs aident parfois à dépasser les acceptions uniquement économiques du tourisme. En Guinée-Bissau, par exemple, le parc national de Cantanhez s’assure que le développement touristique réponde aux besoins des populations et aux enjeux gouvernementaux (Arbore et Maggioli[15]). 

Des revues de littérature et des analyses quantitatives proposent des conclusions plus généralistes sur le tourisme et l’adaptation. Michel Bregolin et Ana Cristina Fachinelli[16] examinent ainsi le rôle des observatoires du tourisme dans l’adaptation du tourisme à un contexte en évolution. Les connaissances et les données collectées par les observatoires s’avèrent utiles pour réagir aux changements. Pour déclencher cette réaction, les destinations touristiques doivent améliorer leur résilience. Nathalie Fabry et Sylvain Zeghni[17] approfondissent cet enjeu et s’intéressent à la résilience d’une industrie touristique sous la pression de risques divers. Après avoir présenté quatre types de résilience (ingénierie, écologique, socio-écologique et évolutionnaire), les auteurs développent cette dernière pour l’appliquer à la gestion de destination. Cette résilience peut s’améliorer en adoptant une gouvernance décentralisée, flexible et innovante. C’est d’autant plus important que les innovations des technologies de l’information et de la communication (TIC) transforment les comportements des touristes et obligent l’industrie touristique à être réactive. Ainsi, Matteo Colleoni et Licia Lipari[18] s’intéressent à l’expérience sensorielle de la ville. Pour cela, ils étudient les évolutions de la consommation de nourriture par les touristes en Italie et concluent que, sous l’effet de l’avènement de l’économie expérientielle, les parts de consommation globale consacrées à la nourriture augmentent. À une échelle internationale, Sylvie Christophle, Catherine Papetti et Carine Fournier[19] interrogent pour leur part la relation entre le succès d’une ville de congrès et la mise en valeur du tourisme de congrès et d’affaires sur les réseaux sociaux.

Enfin, plusieurs chapitres révèlent les liens étroits entre les évolutions du contexte politique et de gouvernance dans le développement du tourisme. Une première historiographie s’intéresse à l’évolution des syndicats d’initiative français, longtemps acteurs importants des réseaux touristiques avant d’être remplacés par les offices du tourisme, mieux adaptés au tourisme moderne (Manfredini[20]). Une deuxième analyse historique se penche sur la transformation des rapports entre le haut et le bas de deux stations de sports d’hiver, française et italienne (Franco[21]). Les adaptations du tourisme ne sont donc pas forcément que des révolutions abruptes, mais peuvent aussi être des évolutions qui suivent le rythme des transformations territoriales et institutionnelles. Le tourisme a besoin de se construire une gouvernance propre, pour ainsi pouvoir se développer de façon cohérente. Toutefois, un tourisme bien établi et encadré ne suffit pas forcément à le préserver de bouleversements politiques ou économiques. En Mozambique, la découverte de gisements de gaz naturel et la promesse de l’explosion du nombre de visiteurs étrangers a complètement redistribué les cartes du développement touristique local (Turco[22]). De façon bien plus tragique, le conflit syrien a presque entièrement annihilé ce secteur. Cependant, des associations proches du pouvoir en place réussissent à attirer quelques touristes, à la frontière du pèlerinage et de l’aide humanitaire (Kassouha[23]). 

Tourisme(s) et adaptation(s) couvre donc un grand nombre de réalités touristiques, comme on peut le constater dans la conclusion de l’ouvrage[24]. Les différents chapitre révèlent le tourisme comme un phénomène multifacette et d’une grande flexibilité. Les richesses culturelles, symboliques et naturelles fluctuent. Les acteurs touristiques innovent pour suivre ces évolutions, et parfois les anticiper.