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La crise de la COVID-19 a mis en première ligne des secteurs d’emplois essentiels, laissant une grande partie de l’économie au point mort. Le tourisme est un secteur très touché par la crise économique. De nombreux questionnements surgissent, sur la situation des professionnels du tourisme, sur la manière dont doit être relancée l’activité, ou encore sur l’éventuelle évolution du modèle touristique. Celui-ci faisait déjà l’objet de débats avant la pandémie, avec une tendance vers un tourisme plus durable, en lien avec les préoccupations environnementales. La crise actuelle, malgré tous les problèmes qu’elle pose, est un moment important pour réfléchir à ce qui est le mieux pour demain.

Alors que la fréquentation touristique fait subir aux écosystèmes côtiers de grandes pressions anthropiques, la plage est la destination la plus recherchée. L’hypothèse d’une société différente après-COVID-19 est prépondérante. Il est nécessaire de s’inspirer des éléments de cet avant pour comprendre l’après. Des évolutions et des mutations étaient déjà en cours, particulièrement attribuables aux préoccupations environnementales. La période de confinement a permis à la faune et la flore de se développer selon des mécanismes qui leur sont propres, mais qui ont été mis à mal par la présence accrue des individus sur certains milieux. La faune était probablement obligée de fuir le bruit et la foule, présents de façon continue (Botero et al., 2020). Cette réaction naturelle montre que les mécanismes d’autorégulation des écosystèmes côtiers fonctionnent. Mais ces mécanismes étaient peut-être annihilés par des pressions anthropiques trop fortes (ibid). Malheureusement, la gouvernance de ces espaces avant la pandémie ne donne aucune certitude sur leur future préservation, qui serait pourtant primordiale. Ce processus de résilience et de baisse des pollutions liées à la forte diminution de l’utilisation des transports et de la fréquentation peut être envisagé comme une occasion de penser et d’entreprendre un changement de paradigme du tourisme littoral. La crise actuelle montre effectivement l’attachement des humains aux espaces naturels. À court terme, il est manifeste que le tourisme local sera privilégié. Cependant, qu’en sera-t-il de l’après-COVID‑19 ? Quelles évolutions comportementales envisager, comment les gestionnaires doivent-ils anticiper ? Comment envisager le temps où la COVID-19 n’aura plus d’impact dans toutes les sphères sociales et économiques ? Le tourisme local pourrait ne pas suffire à tous, l’envie de découvrir de nouveaux pays et de nouvelles cultures pourrait revenir au galop, voire connaître une accélération plus rapide que ce que l’on a connu jusqu’à aujourd’hui.

La gouvernance du tourisme littoral concerne de nombreux acteurs, tels que des scientifiques, des politiques et la société civile. Certains de ces acteurs mettent en avant, nous le verrons, des initiatives et des pistes de réflexion pour penser le tourisme autrement que pour servir l’idéologie dominante qui repose sur une croissance économique qui ne prend pas en compte les externalités. En parallèle, d’autres acteurs ne semblent pas souhaiter une nouvelle approche. Il paraît donc primordial d’interroger cette tension entre la volonté d’un changement de paradigme et un système ancré dans les comportements de nombreuses sociétés occidentales. 

Un corpus d’étude a été réalisé pour cet article. Les lectures ont tenté de prendre en compte des points de vue hétérogènes de multiples acteurs, des scientifiques à la société civile. Nous avons retenu un corpus d’articles de la presse quotidienne publiés dans des journaux nationaux et régionaux, de la sortie du confinement jusqu’à la fin des vacances estivales. L’analyse textuelle permet d’aborder la question du changement de paradigme touristique à partir de son traitement médiatique, mais également l’évolution des pratiques et des usages sur le littoral. Les résultats montrent une volonté de changement de paradigme vers un tourisme durable de la part de multiples acteurs du tourisme, de scientifiques et également de quelques personnalités politiques. Cependant, ces dernières restent minoritaires, les idées politiques de manière générale restent focalisées sur l’idéologie dominante, mais aussi sur une vision à court terme axée vers la relance économique. Cette réflexion s’appuie sur un rapport du réseau Proplayas (Botero et al., 2020), un rapport sur l’état actuel du tourisme durable (Fosse et al., 2019), ainsi qu’une recherche sur la distanciation dans le cadre de la pratique du tourisme (Vacher, 2014). Cela nous amène à formuler l’hypothèse qu’un nouvel élan émergera progressivement par le bas, impulsé par l’évolution des aspirations des individus, et par les acteurs du tourisme qui devront s’adapter à cette demande.

Analyse du tourisme littoral comme paradigme

Le tourisme littoral est confronté à des exigences écologiques ainsi qu’à des impacts liés à des pressions anthropiques. La pression du réchauffement climatique remet particulièrement en question la manière de voyager, ce qui soulève des réflexions sur le tourisme durable. Celui-ci compte diverses approches, telles que l’écotourisme et le tourisme responsable, prenant en compte les enjeux sociaux, culturels et environnementaux, tout en garantissant des retombées économiques pour le territoire d’accueil. Ces réflexions vont de pair avec une évolution des aspirations des individus, vers un mode de vie plus lent, vers une quête de sens dans des sociétés de plus en plus sécularisées. De nouvelles formes de tourisme sont déjà en vogue, comme le volontourisme, le slow tourism, le woofing, accompagnées de démarches telles que l’écomobilité. Cette évolution est directement liée à l’expérience.

En effet, l’espace touristique est de qualité si le touriste peut y évoluer sereinement. Mais une problématique est présente dans de nombreux lieux, celle de la forte concentration d’individus au sein d’un même espace. Ainsi, les « bonnes distances disparaissent (Vacher, 2014 : 164). Selon Florence Deprest (1997), le tourisme de masse dénature le « vrai » tourisme ; il entraînerait alors une baisse de la qualité de l’expérience (ibid.). Toutefois, pour comprendre la signification de la qualité de l’expérience pour un touriste, il faut d’abord la définir. On peut alors se servir de trois notions que l’auteur met en avant : la santé en tant que qualité de vie, la construction de normes de qualité environnementale, la production avec une démarche de qualité. La qualité de l’expérience touristique va ainsi dépendre également du cadre de vie, qui est en lien avec les aménités, l’aménagement et l’appropriation de l’espace. Ces trois notions sont bouleversées par la crise de la COVID-19.

La pandémie offre ainsi l’occasion de renforcer de nouvelles formules touristiques déjà présentes et d’en expérimenter d’autres qui sont innovantes, aussi bien sur les plans des transports et de la proximité, que de l’expérience. Cela nécessite de repenser l’exotisme, l’idée de l’« ailleurs ». L’objectif premier des vacances est de rompre avec son quotidien, mais également de découvrir quelque chose de nouveau. Suivant l’idée préconçue, il faut partir loin de son domicile pour découvrir des choses que l’on n’a jamais vues. Il n’est pas habituel d’envisager l’exotisme à proximité de chez soi. La notion de reterritorialisation du tourisme a pourtant fait l’objet de projets. La question du développement du tourisme était en effet déjà de plus en plus recherchée dans une stratégie locale de développement durable. Dorénavant, les sociétés prennent davantage en considération des questions telles que la conservation de l’environnement, la qualité de vie et le développement durable.

Il s’agit alors de penser un exotisme de proximité, aussi bien pour les estivants ponctuels que les estivants habitués. Le renouveau doit s’affranchir de la standardisation et être au cœur de l’offre de services, tout en répondant aux attentes des différentes parties. Ainsi, nous pouvons nous appuyer sur une notion apportée par Philippe Violier et Philippe Duhamel (cités par Cominelli et al., 2018 : 438), qui mettent en avant l’existence d’un tourisme ordinaire et extraordinaire. Leur postulat repose sur l’idée de transformer le tourisme ordinaire, qui peut être quotidien ou annuel, en extraordinaire. Ce processus doit s’effectuer comme une rupture dans le quotidien, malgré la récurrence spatiale et temporelle. De ce fait, les pratiques deviennent extraordinaires selon ce qui s’y joue en son sein. C’est un changement de regard qui permet la transformation d’un lieu que des individus fréquentent de manière récurrente en un lieu extraordinaire. Par conséquent, le tourisme de l’extraordinaire peut être couplé et compatible avec un tourisme de proximité, puisqu’il s’agit de penser les lieux autrement grâce à la construction d’un imaginaire et de pratiques propres à ce type de tourisme.

Penser le tourisme littoral post-pandémie

Alors que des remises en question du paradigme touristique fleurissaient de toutes parts ces dernières années, la crise économique liée au coronavirus vient mettre en avant les faiblesses de l’idéologie capitaliste. Cette crise peut alors être perçue comme un nouvel élan vers une démocratisation du tourisme durable, celui-ci étant de plus en plus appréhendé comme une solution viable.

Dans les comportements des touristes, la volonté de se rendre dans des lieux naturels et peu fréquentés va certainement progresser, dans le sens où ces lieux présentent un moindre risque sur le plan sanitaire. Effectivement, la question sanitaire est au cœur des préoccupations des individus, et la peur de la contagion peut évoluer vers une peur du contact social. Cette évolution favorisera la staycation (Germann Molz, 2009), ou l’art de s’évader près de chez soi. Ce néologisme est né au moment de la crise financière de 2008 aux États-Unis. Une fois cette crise passée, une nouvelle manière de voyager est entrée dans les mœurs, il s’agit du slow travel, consistant à voyager à proximité de son domicile. L’article de presse « Et si l’Oise était le nouveau Sri Lanka ? Le ‘staycation’ ou les vacances près de chez soi » cite les propos de Jean-Christophe Dissart, professeur des universités : « les préoccupations grandissantes des citoyens en matière de préservation de l’environnement, de quête d’authenticité et de rejet du tourisme de masse ont favorisé le développement récent d’un ‘staycation’ choisi, mais encore limité » (voir Rollot, 2020). Néanmoins, les destinations touristiques doivent adapter leurs offres face à cette demande, notamment par une co-construction avec les habitants qui sont les mieux disposés à proposer des activités locales, mais également pour les inciter à redécouvrir leur territoire. Il s’agit de penser le tourisme en circuit court, comme dans le domaine de l’alimentation, dont les élans de solidarité se sont fait voir depuis le début de la crise sanitaire en France, avec un appel de la société civile jusqu’aux personnalités politiques à consommer chez les producteurs locaux. Les territoires ordinairement non touristiques, tels que les territoires rétro-littoraux, pourraient connaître une nouvelle attractivité, permettant de compenser la forte fréquentation des plages.

La plage est représentée comme un objet de désir, et la norme des vacances passées au soleil pousse les individus à s’y rendre et à pratiquer diverses activités au sein de cet espace. La saison estivale 2020 a été soumise aux restrictions sanitaires, et si la peur croissante de la contagion aurait pu pousser les individus à changer leurs comportements et pratiques de la plage, le corpus d’étude met en évidence une augmentation de la fréquentation sur les côtes françaises. De plus, de nombreux articles de presse soulignent la présence de déchets sur les plages. La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a lancé une charte pour des « plages sans déchet plastique », en invitant les élus locaux à y adhérer. Néanmoins la Société pour l’étude et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO) estime qu’une telle charte n’est pas suffisante, et qu’il serait judicieux et urgent de mettre en place un plan d’action afin de faire respecter les lois et réglementations en vigueur. La situation actuelle pourrait effectivement être une opportunité pour permettre l’émergence d’un nouveau paradigme du tourisme littoral avec un objectif moins axé sur les bénéfices économiques, mais plus sur les questions environnementales et sociales. Divers acteurs de l’industrie touristique considèrent que la crise sanitaire va mener à un changement de paradigme. Le tourisme tel qu’on l’a connu avant la COVID-19 ne pourra pas être relancé à l’identique, car le secteur était déjà confronté à des externalités négatives sur l’environnement, mais aussi les populations locales. Pour cela, nous pouvons nous tourner vers un mouvement qui conjugue tourisme, respect des populations et des écosystèmes côtiers. Il s’agit en l’occurrence de l’écotourisme, qui part du principe que les individus qui fréquentent des espaces côtiers le font de manière durable et responsable. Le tourisme devient un lieu de rencontre entre la nature, la culture et les communautés présentes sur ces territoires. Il est primordial de tenir compte de la « singularité et la complexité » (Belsky, cité dans Lapointe, 2011 : 61) des acteurs présents sur les lieux. Les différences locales sur un milieu particulier et fragile sont alors à considérer.

L’objectif étant de changer le paradigme du tourisme de masse pour aller vers un tourisme plus respectueux de l’environnement littoral mais aussi de ses populations, la participation dans le processus décisionnel des différents acteurs publics comme les associations et les résidents du littoral permet de prendre en compte les usages informels dans les mécanismes de régulation du tourisme de masse. Ainsi, il s’agit de faire des communautés présentes sur le littoral des acteurs à part entière, dont la contribution est nécessaire afin de recueillir de nombreuses informations permettant la réduction des pressions et la protection du milieu (Fosse et al., 2019). La dynamique de sensibilisation présente avant la pandémie, et renforcée par celle-ci, peut être un levier vers l’émergence d’un nouvel élan dans la gestion des milieux littoraux. En effet, le réseau d’experts Proplayas (Botero et al., 2020 : 21) ne voit pas cette situation comme une catastrophe totale, mais plutôt comme une opportunité pouvant engendrer un changement de gouvernance des espaces côtiers balnéaires.

En France, certains acteurs du tourisme voient cette crise comme un accélérateur de tendances qui étaient déjà émergentes, à savoir le développement d’un tourisme plus durable et responsable. L’association des Acteurs du tourisme durable a publié un manifeste visant à transformer le tourisme d’avant la crise sanitaire. Selon les signataires, il est indispensable que le tourisme ne reparte pas comme avant, mais qu’il devienne un tourisme dont les impacts seront « positifs pour l’homme, l’environnement et les territoires » (ATD, 2020 : 1). Néanmoins, cette impulsion émane aussi des politiques. En effet, le commissaire européen à l’industrie, Thierry Breton (2020), a mis l’accent dans son discours sur la nécessité de mettre en place d’un tourisme responsable et innovant allant à l’encontre du tourisme de masse.

Aperçu d’une réalité qui revient au galop

Malgré les alertes sur l’urgence climatique et la volonté d’une partie des acteurs du tourisme à aller vers davantage de durabilité, les politiques publiques concernant le tourisme n’ont pas réellement évolué malgré quelques poussées. Dans le contexte de la COVID-19, la plage a fait l’objet de nombreux débats. Lors de la période de confinement, la fermeture des plages a indigné certaines personnes du fait qu’il s’agit de grands espaces où les distances de sécurité peuvent être respectées. Des maires de communes littorales, mais aussi des usagers et des habitants, ont alors exercé des pressions. Cela illustre que la plage est source de bien-être pour ces individus.

À la sortie du confinement en France, de nombreuses plages ont été ouvertes pour des activités caractérisées comme « dynamiques ». Les activités autorisées étaient celles relatives aux sports comme la marche, le jogging, ainsi que celle relatives au nautisme comme le surf, le longe-côte, la natation ou le stand-up paddle (planche à rame). La plage dite « dynamique » permettait alors de garantir les gestes-barrières et la distanciation sociale qui sont au cœur de tous nos rapports au monde social en ce moment.

Pour le département du Calvados, une idée forte qui revient dans les négociations entre le préfet et les communes littorales quant à la réouverture des plages est que la plage serait « un lieu où l’on va mais pas un lieu pour stationner » ; autrement dit, il s’agirait d’un endroit où l’on peut se baigner ou pratiquer des activités sportives, mais pas un lieu où l’on se pose pour manger ou pour prendre un bain de soleil. De cette manière, cette opposition entre les pratiques se déroulant au sein de ces espaces démontre que certaines activités sont plus acceptables que d’autres. Le « bronzé idiot » (Urbain, 1993) statique est montré comme irresponsable en raison de ses comportements et ses pratiques comme les bains de soleil ou le pique-nique. Il y a donc un décalage qui se crée et une acceptation des comportements dits responsables dans cette opposition. Dans cette idéologie, on ne laisse pas de place à la flânerie, il faut circuler, ce qui remet en cause le principe de la plage comme lieu de rassemblement. Au-delà, cela pose la question de la transition vers l’écotourisme, dont le principe est de faire du tourisme un lieu de rencontre entre la nature, la culture et les communautés présentes sur ces territoires. Or, certains élus mettent en avant un moyen possible d’éviter cette opposition qui repose essentiellement sur un non-sens. Nous pouvons prendre l’exemple de la plage de la Grande-Motte, dans l’Hérault. La mairie y a ouvert lors de la première phase de déconfinement une parcelle de 2000 mètres carrés permettant aux individus de venir profiter d’activités plus statiques comme les bains de soleil. Les personnes intéressées devaient réserver gratuitement au préalable leur place sur le site de l’Office du tourisme.

Certaines initiatives peuvent toutefois marquer un tournant plutôt pessimiste pour l’avenir des pratiques de plages. À Nice, l’extension de plages privées a été envisagée par le maire, Christian Estrosi, pour permettre de respecter les distanciations sociales sans diminuer le chiffre d’affaires. Cette extension des plages privées était de l’ordre de 15 mètres. Le milieu étant restreint, une telle mesure est créatrice d’inégalités dans la mesure où elle empêche certaines catégories de la population de jouir de ce milieu, pourtant public. Cette première décision montre une volonté de contrôle outrancier par les autorités au nom du redressement économique. Cela peut être un premier pas vers une concentration du tourisme balnéaire dans les complexes privés. La conséquence de ce genre d’action est l’exclusion des populations locales dans les activités touristiques au profit des complexes. Il est aussi important de souligner que la plage appartient au domaine public maritime naturel et sa fréquentation relève donc du principe d’un accès au rivage libre et gratuit. La privatisation des plages porte ainsi atteinte à cette liberté.

Les mesures évoquées et mises en place sont pour l’instant tournées vers le redressement de l’activité économique. Peu de mesures concrètes sont suggérées pour conjuguer résilience des écosystèmes côtiers et tourisme. L’analyse de la revue de presse réalisée entre avril et août 2020 montre l’intérêt premier des élus, que ce soit à l’échelle locale ou nationale. Cet intérêt relève du paradigme quantitatif, la majorité des idées politiques restent confinées dans les idées traditionnelles, laissant peu de place à l'innovation. La crise inédite que nous traversons est de ce point de vue l’occasion de renforcer une vision du monde déjà présente. Néanmoins, des formes de résistance envisagent demain autrement. Une tribune publiée le 14 mai 2020, appelant à la « convention du monde commun », a rassemblé 150 personnalités politiques françaises. La visée de cette tribune est de construire une alternative politique. La crise sanitaire actuelle étant une conséquence du rapport qu’entretient l’humain avec la nature, des remises en question ont davantage émergé. La clé pour la transition du tourisme littoral pourrait alors être le basculement du paradigme quantitatif vers un paradigme qualitatif. Effectivement, dans le paradigme actuel, des chiffres et des données sont très souvent attribués au tourisme littoral. Ce basculement permettrait une modification des indicateurs repères, aujourd’hui l’indicateur principal étant le produit intérieur brut (PIB). En référence aux discours des acteurs du tourisme et aux personnalités politiques plaidant pour un tourisme post-pandémie plus durable, l’idée serait de repenser les indicateurs de performance d’une destination non plus en termes financiers, mais par des indicateurs qualitatifs, prenant en compte les critères sociaux et environnementaux. Ce serait également un moyen de modifier les gouvernances vers un tourisme plus durable et plus local, en misant davantage sur l’économie sociale et solidaire afin de mieux ancrer l’économie dans les territoires, avec un appui des politiques publiques.

Le littoral est un bien partagé et commun, un bien social répondant au besoin de liberté. L’accès libre à la plage est l’un des derniers loisirs gratuits. En ce sens, le tourisme littoral est également à envisager comme un phénomène social. Remettre en cause ce principe de gratuité pose la question de l’accessibilité aux loisirs et au tourisme pour tous. La crise sanitaire actuelle soulève des questions par rapport à la manière dont peuvent être conciliés les contraintes sanitaires et le besoin de liberté auxquels le tourisme littoral peut répondre. Ainsi, comment pouvons-nous penser les transformations et les (re)productions de cet espace en contexte d’institutionnalisation de la distanciation ? Si certaines collectivités comptent sur la responsabilité de chacun, d’autres sont plus créatives quand vient le temps de faire respecter les mesures de distanciation. En Espagne, notamment, les idées se sont multipliées : des parcelles délimitées par des marquages au sol, des chemins de circulation, des réservations par code QR pour une durée limitée, la limitation des accès aux parcs de stationnements, des drones qui survolent les plages avec des messages préenregistrés à l’intention de ceux qui ne respectent pas les règles… Ainsi le libre-accès à la plage est remis en cause et laisse place à un contrôle des usagers, de manière à la fois explicite et implicite.

Bien que l’espace littoral soit un lieu représentant la liberté, les acteurs institutionnels comptent sur la discipline des individus pour ne pas partir loin de leur lieu d’habitation, mais aussi pour respecter les gestes-barrières jusque sur les plages. Ainsi, les moyens de surveillance de la fréquentation ont attiré de multiples collectivités. Cela fait référence à la notion de biopolitique instituée par Michel Foucault et que nous pouvons étendre à l’interprétation qu’en fait Norbert Elias afin de désigner les différentes technologies utilisées par des acteurs institutionnels permettant de contrôler les comportements de la population à l’échelle individuelle (cités dans Bossy et Briatte, 2011 : 7). Il s’agit d’une régulation disciplinaire permise par les nouvelles technologies au sein du tourisme sur le milieu littoral. Cette « discipline » du touriste est possible par la mise en place, entre autres, d’un outil de jauge d’affluences grâce à une application, comme ça a été le cas sur les plages de Barcelone début juin 2020. Ces plages ont été fermées par la police municipale à la suite d’une forte affluence, avec une occupation de 80 % de leur capacité, déterminée par des caméras de surveillance et des capteurs thermiques. La mairie a mis en ligne un outil permettant aux citoyens de vérifier l’affluence des plages avant de s’y rendre. Des pays comme la Belgique et le Portugal ont également mis en place des applications pour indiquer aux visiteurs le taux d’occupation des plages. L’objectif est d’inciter les touristes à visiter des lieux moins fréquentés. Grâce à ces méthodes, une régulation et une répartition des vacanciers se produit sur les territoires touristiques de manière implicite puisque les individus vont juger eux-mêmes de l’endroit où ils vont se rendre. En régulant et en répartissant les vacanciers, les acteurs, qu’ils soient institutionnels ou économiques, exercent un contrôle tacite sur le comportement des individus. Ces nouveaux outils et nouvelles règles de distanciation poussent les individus à autoréguler leurs comportements pour des raisons sanitaires. Cette régulation engendrant des reports de fréquentation suppose en outre de s’interroger sur les impacts environnementaux, dans la mesure où des plages auparavant peu fréquentées vont subir une pression humaine, qui peut amener à une détérioration de la biodiversité.

Conclusion

Le tourisme ne pourra pas redémarrer à l’identique, du moins pas dans les prochains mois, et il devra s’adapter à de nouvelles réglementations sanitaires ainsi qu’à une réduction imposée de la fréquentation et à des mobilités restreintes. Les transformations du paradigme du tourisme littoral impliquent aujourd’hui un dépassement d’une logique exclusivement quantitative qui participerait à entretenir un état de crise sanitaire et épidémique que les acteurs du tourisme souhaitent endiguer, précisément pour relancer l’activité. La voie du tourisme éco-logique, pensé en tant qu’éco-système était déjà mise en avant, et la période de confinement a conduit à davantage de réflexions à propos de demain. Bien que la crise sanitaire actuelle mette grandement en difficulté l’industrie touristique, elle est à envisager comme l’opportunité de repenser ses fondements. Même si certaines mesures vont permettre malgré elles la rémission des écosystèmes littoraux, il est indispensable que tous les acteurs du tourisme repensent les externalités négatives et convergent vers un mode de pratique du tourisme plus responsable. Dépasser la logique quantitative répond également à la nécessité de s’adapter aux différentes crises, qu’elles soient sanitaires, écologiques, sociales ou économiques. En ce sens, les politiques locales jouent un rôle considérable à travers les choix de développement et d’attractivité touristique.

Les premiers constats montrent une transformation des usages spatiaux du littoral touristique. La plage est un théâtre social qui met en scène des pratiques touristiques déviantes par rapport aux normes sociales et aux conventions quotidiennes (Coëffé, 2010 : 52), les mesures de distanciation sociale remettent en cause ces mêmes normes de nudité, de repos, et, plus largement, c’est la manière dont la plage fait lieu qui est remise en question. Si différents acteurs du littoral touristique ont pu faire preuve d’innovation et de créativité afin de faire respecter les mesures de distanciation sociale, la transformation et le contrôle de plus en plus insidieux de ses usages et de ses significations par la pandémie actuelle soulèvent des doutes sur le modèle de la plage avant la COVID-19 par la remise en cause de la notion d’espace public et d’espace commun, mais également par une absence de mesures en faveur de la protection de l’environnement. Finalement, les politiques locales tentent davantage de maîtriser la fréquentation et ses usages grâce à des stratégies de répartition sur les territoires et d’autorégulation par les individus, en dépit des questions environnementales et sociales.