Abstracts
Résumé
Mis au défi de se construire une identité religieuse viable, dans un contexte nord-américain où non seulement ils sont minoritaires et souvent membres de communautés immigrantes, mais où ils sont aussi victimes des stéréotypes négatifs courants, dans le discours politique et médiatique dominant, les musulmans empruntent souvent le discours de l’authenticité musulmane. Ce discours invoque notamment la distinction entre traditions culturelles, interprétées comme contextuelles et limitées, et « véritable islam », vu comme universel et éternel. Avec ce discours en toile de fond, le présent article analyse la série télévisée, Little Mosque on the Prairie, créée par Zarqa Nawaz. Plutôt que de rejeter les expressions culturelles de l’islam, l’oeuvre de Nawaz semble suggérer qu’une identité musulmane authentique, en tant que construction culturelle, peut s’acclimater en Amérique du Nord et, cela, en dépit des contre-discours, musulmans et non musulmans, qui représentent l’identité musulmane comme sans commune mesure avec les contextes culturels occidentaux.
Abstract
Muslims, challenged to construct a viable religious identity in a North American context where they are not only a minority, and often members of immigrant communities, but also suffer from prevalent negative stereotypes in dominant political and media portrayals, often make use of discourses of Muslim authenticity. These discourses frequently invoke a distinction between cultural traditions, interpreted as contextual and limited, and “true Islam”, seen as universal and everlasting. Against the backdrop of these discourses, this article analyzes the television comedy series, Little Mosque on the Prairie, created by Zarqa Nawaz. Rather than rejecting cultural expressions of Islam, Nawaz’s work suggests that an authentic Muslim identity at home in North America is itself a cultural construct, this despite both Muslim and non-Muslim counter-discourses that portray Muslim identity as incommensurate with western cultural contexts.
Article body
En janvier 2007, la Canadian Broadcasting Corporation (CBC), chaîne canadienne de radiotélévision publique en langue anglaise, lançait Little Mosque on the Prairie, une nouvelle série télévisée humoristique créée par la cinéaste musulmane Zarqa Nawaz, qui vit à Regina en Saskatchewan. Le premier épisode a attiré plus de 2 millions de téléspectateurs, un exploit que la CBC n’avait pas réussi depuis la diffusion de Anne of Avonlea, en 1990. Par la suite, l’émission s’est poursuivie sur un total impressionnant de six saisons, se terminant le 2 avril 2012. La série n’a pas été vue qu’au Canada, elle a suscité une attention internationale sans précédent, et des ententes de distribution ont été signées avec des réseaux de télévision depuis la France jusqu’aux Émirats arabes unis.
Ce qui en fait une émission pionnière, c’est qu’elle est la première série télévisée — humoristique de surcroît — qui porte sur des musulmans en Amérique du Nord[3]. La plupart des personnages principaux sont des musulmans, mais des musulmans qui ne correspondent pas au stéréotype habituel du terroriste violent et/ou oppresseur des femmes qu’on retrouve dans les médias nord-américains[4]. Au contraire, ces musulmans de la ville fictive de Mercy, dans les prairies de la Saskatchewan, sont des gens plutôt ordinaires qui essaient de vivre intégrés au reste de la société canadienne. L’humour de l’émission se situe dans la représentation de la vie de tous les jours de ces musulmans, dans la façon dont ils interagissent, entre eux et avec la population non musulmane. Comme elle s’éloigne radicalement de la représentation que font habituellement les médias du musulman, en tant qu’« autre » exotique et souvent menaçant, qui ne cadre pas dans la société occidentale, la série nous invite à étudier sa contribution au façonnement d’identités musulmanes en Amérique du Nord et, plus particulièrement, au Canada. Les pages qui suivent cherchent à analyser sous l’angle du « discours d’authenticité » la manière dont l’émission façonne des identités musulmanes nord-américaines, non seulement le discours d’authenticité qui entend conférer aux musulmans des assises dans les sociétés occidentales en dissociant leur religion, l’islam, de la culture, mais aussi ce discours d’authenticité qui cherche à dépeindre l’identité musulmane comme étrangère à la société et à la culture occidentales. Plutôt que de rejeter les expressions culturelles de l’islam ou de proposer un islam « essentialiste », l’oeuvre de Nawaz semble suggérer qu’une identité musulmane authentique, en tant que construction culturelle, peut s’acclimater à l’Amérique du Nord, autrement dit, s’y inculturer.
1. Jihad on Ice, un épisode caractéristique
Jihad on Ice (version française : Djihad on ice [sic]), le 12e épisode de la deuxième saison, originalement diffusé le 9 janvier 2009[5], est un bon exemple pour expliquer comment Little Mosque on the Prairie s’y prend pour aborder les questions d’authenticité. Dans cet épisode, Fred Tupper, l’animateur de radio locale, qui prend un malin plaisir à attiser les sentiments islamophobes, se moque de l’intérêt qu’un musulman pourrait porter à ce qu’il considère comme un sport typiquement canadien, le curling. « Le curling n’est pas musulman, raille-t-il. C’est comme la liberté et le porc. » Oublions un instant la désobligeance sournoise de cette remarque et tâchons de la prendre au sérieux : quel rapport peut-il bien y avoir entre le curling et les musulmans ? À première vue, rien. Le curling est un aspect de la culture canadienne qui n’a rien à voir avec les pratiques et les croyances fondamentales de l’islam (ni, d’ailleurs, du christianisme ou de quelque autre religion). Que les musulmans jouent au curling ou non, ou même qu’ils manifestent un intérêt quelconque pour ce sport, est sans rapport aucun avec leur identité comme musulmans vivant au Canada. D’un autre côté, le curling a tout à voir avec les Canadiens musulmans, si l’on considère que, dans l’émission, ce sport devient l’épreuve par laquelle on cherche à déterminer si les musulmans sauraient être authentiquement canadiens culturellement. La participation d’au moins quelques Canadiens musulmans au curling vient appuyer une image d’appartenance plutôt que les images plus répandues de différences exotiques et d’isolement par rapport à la culture dominante. De plus, l’expérience de la rivalité religieuse se déplace du domaine de la religion, où de nombreux Canadiens la considèrent comme étant de mauvais goût, à un domaine où la rivalité est permise et encouragée, celle du sport[6].
Piqué au vif, Amaar Rashid, le jeune imam de la communauté musulmane locale, décide d’inscrire une équipe musulmane au tournoi de curling de la petite ville, pour défier l’équipe de Fred, les champions en titre. Rayyan Hamoudi, la jeune femme médecin qui coiffe un hijab, se révèle une excellente joueuse de curling et l’équipe musulmane semble assurée de remporter le tournoi. Mais cherchant à exercer son talent en compagnie de personnes plus dévouées au sport, Rayyan quitte son club pour rejoindre celui de Fred, finissant même par déloger celui-ci. Pour se venger, Fred évoque un obscur règlement sur le costume du joueur pour la disqualifier du tournoi. Ses actions font clairement allusion à plusieurs incidents, survenus en 2007, où des musulmanes qui portaient le hijab ont été exclues de diverses compétitions sportives au Canada[7].
Le prêtre anglican de la localité, le révérend Duncan Magee, vient à la rescousse de l’équipe musulmane en se joignant à elle. C’est la coopération interconfessionnelle à son meilleur ! Mais ce n’est pas suffisant ; il semble que l’équipe de Fred ait gagné, discréditant ainsi les prétentions musulmanes de « canadienneté ». À la dernière minute, cependant, un autre membre de l’équipe musulmane, le traditionaliste conservateur Baber Siddiqui, qui avait passé des heures à parcourir le livre de règlements du curling, est capable d’invoquer une autre règle à propos d’une ligne mal mesurée sur la glace. C’est donc l’équipe musulmane qui remporte le tournoi. Le multiculturalisme triomphe de l’intolérance, à la fois en dépit et à cause des règles. Et l’imaginaire culturel canadien[8] admet désormais que des musulmans jouent au curling.
Bien évidemment, l’interprétation faite ici de cet épisode tient implicitement pour admise l’existence d’une certaine identité musulmane stable, qui a besoin d’être réconciliée avec une identité canadienne tout aussi stable, illustrée dans le cas qui nous occupe par le curling. Mais c’est précisément la force de Little Mosque on the Prairie de pouvoir jouer avec ces notions d’identité, arrivant à les déstabiliser, voire à les transformer. Le changement d’allégeance de Rayyan, le renvoi inattendu de Fred et l’ambivalence d’Amaar sont tous des manifestations d’identités mouvantes et en mutation. En fin de compte, cet épisode enrichit l’imaginaire culturel canadien, en montrant des identités transformées : des musulmans qui jouent au curling et des icônes du curling canadien qui sont des musulmans[9]. On peut cependant se demander si de telles transformations sont possibles, seulement en extirpant la religion islamique de la culture ou alors en créant de nouvelles identités musulmanes par inculturation.
2. La religion contre la culture ?
Dans son livre Les musulmans d’Occident et l’avenir de l’islam (2003), le théologien musulman né en Suisse Tariq Ramadan écrit :
L’islam n’est pas une culture. L’essence de l’islam, qu’on le veuille ou non, est d’ordre religieux [...] Parler de l’islam, c’est d’abord parler de foi, de spiritualité et d’éthique [...] Autour du corps de principes qui définissent les fondements de l’adhésion à l’islam, le domaine des affaires sociales est un champ ouvert aux cultures, aux habitudes, aux découvertes et à la créativité des hommes tant qu’elles ne s’opposent pas à une interdiction stipulée, explicite et reconnue comme telle.
Ramadan 2003, 356
Ramadan est convaincu que les musulmans peuvent et doivent se sentir à l’aise en Occident, sans crainte de compromettre leur religion et, qui plus est, qu’ils peuvent vivre dans les sociétés européennes et nord-américaines, sans avoir à s’isoler, en tant que citoyens productifs, engagés dans leur entourage non musulman, sachant qu’ils peuvent beaucoup contribuer aux sociétés occidentales. Et pourtant, il est banal d’affirmer que les musulmans sont mis au défi de construire une identité religieuse viable, dans des contextes occidentaux où ils représentent non seulement une minorité, souvent issue de communautés immigrantes, mais souffrent également de nombreux stéréotypes négatifs, véhiculés dans le discours politique et médiatique dominant. Avec tous ces défis, la question de savoir ce qui est authentiquement musulman devient capitale. Un discours de l’authenticité musulmane qui appelle à faire une distinction entre les traditions culturelles, vues comme contextuelles et limitées, et le « véritable islam », vu comme universel et immuable — précisément ce que propose Ramadan — est souvent invoqué afin d’aider les musulmans d’Occident à favoriser leur avancement dans la société[10].
Alors que Ramadan représente la voix du musulman érudit, des observateurs de l’extérieur comme Olivier Roy ont aussi noté ce désir d’un islam « déculturalisé » : « une façon de vivre une identité religieuse qui ne serait pas liée à une culture donnée et qui pourrait ainsi se fondre à toute culture, ou, plus précisément, pourrait se définir en dehors de toute idée de culture » (Roy 2004, 23-24). Mettant de côté tout habitus culturel hérité ou toute connaissance connexe, « l’islam doit être envisagé comme une “simple” religion (ce qui par ailleurs est également un prérequis pour la sécularisation) » (Roy 2004, 25). D’après Roy, deux dynamiques conduisent à ces conceptualisations. La première est la déterritorialisation de l’islam. Soutenant qu’« un tiers des musulmans au monde vivent en tant que minorité » (2004, 18), Roy avance que l’identité musulmane est devenue plus délibérément « performative » depuis qu’elle s’inscrit de moins en moins dans un lieu géographique aux assises culturelles stables associées à l’islam. La seconde est l’individualisation de l’identité musulmane, résultat de la fin de l’autorité sociale de la religion. Il devient alors essentiel de « formuler ce que signifie l’islam pour l’individu (plutôt que ce qu’il est) » (Roy 2004, 24). Les musulmans participent ainsi au glissement généralisé, observé en Occident, de la religion à la religiosité[11], qui comprend des tendances comme l’importance anti-intellectuelle accordée à l’expérience et à la définition individuelles de la religion, le scepticisme envers les institutions traditionnelles et les autorités savantes, ou leur mise hors circuit, la scission entre les pratiques religieuses et les pratiques culturelles, la volonté de revenir aux « véritables » doctrines d’une religion, la critique des éléments perçus comme « non religieux » et, enfin, le sentiment de constituer une minorité (Roy 2004, 27-28)[12].
Yasmine Moll (2007), dans une analyse de contenu de deux revues musulmanes britanniques libérales, note aussi cette tendance à envisager l’islam comme étant « affranchi à l’égard de toute culture ». Ces revues prônent le développement d’une identité musulmane britannique propre, en fusionnant un ensemble déterminé de sources et de principes islamiques avec les caractéristiques culturelles, politiques et sociales britanniques. Il ne s’agit là ni d’assimilation ni à proprement parler d’intégration. L’expression « inculturation » a été utilisée pour décrire un type d’échange de signes culturels entre une minorité et sa société d’accueil, qui fait en sorte que des formes syncrétiques et hybrides d’identité deviennent la norme (Ansari 2004, 250)[13]. Ce sont surtout les musiciens et les artistes musulmans occidentaux qui sont à l’avant-garde de cette évolution. D’un autre côté, Ramadan (2003, 358-59) voit les convertis et les enfants d’immigrants comme les principaux moteurs de la distinction entre l’allégeance à l’islam et l’allégeance à des formes culturelles spécifiques.
Née au Royaume-Uni d’immigrants du Pakistan, mais ayant grandi au Canada, Zarqa Nawaz, créatrice de Little Mosque on the Prairie, correspond au profil d’artiste de religion musulmane en même temps qu’à celui d’enfant d’immigrants musulmans. Elle appartient à cette avant-garde qui est en train de reconceptualiser les identités musulmanes actuelles, dans un contexte nord-américain minoritaire. Puisant à des dynamiques et des épisodes tirés des deux premières saisons de Little Mosque on the Prairie[14], la suite du présent article examinera l’interaction entre religion et culture afin de proposer que, chez Nawaz, l’identité musulmane authentique telle que vécue au Canada est elle-même — contrairement à l’idée d’un « véritable islam » distinct de la culture — une construction culturelle (hybridée).
3. Normaliser le discours
Little Mosque on the Prairie a été décrite de maintes façons. D’un point de vue positif, Amir Hussain la décrit comme la « poésie de la vie de musulmans canadiens ordinaires dépeinte avec humour sur le petit écran » (2008, 142), c’est-à-dire, comme une sorte de hors-d’oeuvre léger introduisant le non initié aux mystères de la vie des musulmans canadiens. Pour sa part, Sandra Cañas la présente comme une « irruption de la présence musulmane dans l’imaginaire collectif [...] qui cherche à exposer le téléspectateur occidental à la vie de tous les jours de musulmans vivant en Occident » (2008, 198) — comme si les musulmans canadiens disaient : « Nous voici ! Voilà ce que nous sommes — et ce n’est sans doute pas ce à quoi vous vous attendiez. » Zarqa Nawaz insiste pour dire que l’émission n’a pas de visées politiques ou autres, elle essaie seulement d’être drôle et divertissante[15]. Mais elle a également affirmé : « Je veux que la société dans son ensemble nous perçoive comme normaux, avec les mêmes problèmes et préoccupations que tout le monde [...] Nous faisons autant partie du tissu canadien que n’importe qui d’autre » (Mason 2007). Bien que ce ne soit peut-être pas l’intention délibérée de ses scénaristes, on peut voir Little Mosque on the Prairie comme dépeignant les musulmans non comme des étrangers exotiques, mais comme des voisins vivant dans un contexte canadien « normal », quoique fictif ou mythique[16], l’action se déroulant non pas dans un lieu exotique, mais dans la petite ville canadienne plutôt ordinaire de Mercy[17], dans les Prairies.
Beaucoup d’avis négatifs sur la série proviennent de commentateurs islamophobes qui sont en désaccord avec ce discours normalisateur, prétendant qu’il déforme la vérité sur les aspects négatifs des communautés musulmanes au Canada et sur la menace que ces dernières font peser sur la civilisation occidentale. Michael Coren (2007) se plaint que l’émission escamote ce qu’il voit comme les tendances meurtrières des musulmans. Margaret Wente (2007) trouve complètement invraisemblable et trompeuse la représentation d’un imam progressiste, jeune et imberbe. Barbara Kay (2009) trouve que la série fait insulte à l’intelligence en faisant la promotion d’une islamophilie injustifiée qui tait les dangers de l’islamisme. Tarek Fatah et Farzana Hassan (2007) du Congrès musulman canadien accusent la série d’imposer aux ménages des Canadiens non musulmans une image « complètement fausse » de la communauté musulmane, apparemment afin de promouvoir un programme islamiste qui dissimule les problèmes qu’on retrouve dans les mosquées du Canada et ne tient nullement compte des musulmans laïques. Ce qu’il y a d’authentique dans les communautés musulmanes du Canada, d’après ces commentateurs, s’avère bien plus négatif et moins drôle que ce qui est dépeint dans Little Mosque on the Prairie. Pourtant, la série n’est après tout qu’une comédie de fiction, pas un documentaire. Ces commentateurs semblent résister à un changement dans l’imaginaire canadien, favorisant l’inclusion des musulmans canadiens qui affichent leur identité religieuse. Ils oublient également qu’une émission telle que Little Mosque on the Prairie peut ne pas avoir comme but premier ni de refléter fidèlement les réalités actuelles des Canadiens musulmans ni d’intervenir activement dans l’élaboration d’identités canado-musulmanes spécifiques aux réalités du contexte canadien d’aujourd’hui[18].
4. Perspectives de l’intérieur et de l’extérieur
Little Mosque on the Prairie met en scène la vie d’une petite communauté musulmane qui se réunit dans une mosquée, aménagée dans la salle paroissiale de l’église anglicane locale — une métaphore de la situation minoritaire des musulmans au sein d’une société christianisée[19]. L’on comprend dès lors que l’émission ait un aspect pédagogique. Les téléspectateurs non musulmans sont initiés à des usages musulmans tels la prière (1.1, 1.5), le jeûne, les célébrations de l’Aïd (1.1, 2.10), les coutumes liées à la sépulture (2.1) et les expressions verbales islamiques, de même qu’à des croyances ou attitudes au sujet, par exemple, des jeux de hasard (1.5, 2.4, 2.17), de l’alcool (2.11), de l’art figuratif (2.14) et des fréquentations amoureuses (1.7, 2.17, 2.18). Bien qu’il arrive que ces croyances et ces pratiques soient contestées dans l’émission, elles sont souvent présentées comme étant normatives.
Ainsi, à cause de sa construction d’identités musulmanes perçues comme partie intégrante de la société canadienne, on peut et on a effectivement accusé Little Mosque on the Prairie de dépeindre une portion congrue du spectre musulman canadien : les non-musulmans hostiles se demandent où se trouvent les terroristes et les imams extrémistes, alors que les musulmans non pratiquants n’y voient aucun personnage musulman laïque. De plus, l’émission est dénigrée parce qu’elle présente des personnages qui apparaissent d’abord comme des caricatures de diverses prises de position sociétales et religieuses. Or, dans le cadre de la comédie de situation en tant que genre, le recours à des personnages se présentant d’abord comme des caricatures, avant d’être étoffés et développés plus tard, permet à la fois la mise en place de tensions qui provoquent des situations humoristiques et l’illustration de plusieurs perspectives, même si celles-ci n’englobent pas toutes les perspectives possibles. L’émission met en scène à la fois des conflits à l’intérieur même de la communauté musulmane et des conflits entre celle-ci et l’extérieur, souvent du plus bel effet comique et de manière à déjouer habilement les attentes.
Par exemple, comme conflit interne, on retrouve l’opposition entre une perspective plus conservatrice et traditionnelle, incarnée par Baber, un professeur d’économie, et Fatima, qui tient un « café-resto », et une perspective plus libérale et progressiste, campée par l’imam jeune et moderne, Amaar, et la docteure voilée, Rayyan. On retrouve des oppositions analogues en dehors de la communauté musulmane : d’un côté, la perspective conservatrice incarnée par Fred Tupper, qui fustige régulièrement les musulmans dans son émission de radio médisante, et Joe, le stéréotype du réactionnaire borné et, de l’autre, l’orientation libérale campée par le révérend Duncan McGee, prêtre anglican qui accepte la communauté musulmane, la soutient activement et conseille son nouvel imam.
Pour autant, les positions sur l’étendue de cette gamme conservatrice-progressiste sont mouvantes et l’on voit souvent les personnages conservateurs agir ou s’exprimer au diapason d’attitudes plus progressistes et inversement. Par exemple, le progressiste Amaar accueille le souhait des membres conservateurs de la communauté musulmane d’ériger une cloison dans la mosquée entre les hommes et les femmes et arrive au compromis d’admettre la cloison dans la moitié de la mosquée (1.2). La féministe progressiste Rayyan se montre néanmoins ouverte à un mariage arrangé, au désarroi de sa mère (2.17, 2.20). Le conservateur Baber est en réalité plutôt accommodant quand il s’agit de sa fille adorée, Layla (1.2, 1.5, 2.2). Le conservateur Fred Tupper est en fait un semblant d’islamophobe, puisqu’il mange régulièrement au café-resto de Fatima, consulte une femme médecin musulmane (Rayyan) et se découvre des sympathies pour Layla, la fille de Baber, quand elle travaille pour lui comme stagiaire (2.17). Même Joe, l’étroit d’esprit, laisse transparaître un côté plus tendre quand Sarah partage avec lui la nouvelle des fiançailles de sa fille (3.1)[20].
En général, cependant, Little Mosque on the Prairie penche du côté progressiste, combattant ainsi la tendance qu’ont les voix plus conservatrices de la communauté musulmane à capter l’attention du public (Syed 2004 ; Moghissi et al. 2009, 16). La série reflète également les attitudes dominantes au sein de la jeunesse musulmane du Canada, qui « en très grande majorité accepte et appuie les valeurs canadiennes de tolérance politique et culturelle » (Moghissi et al. 2009, 142). Elle ne pourrait pas projeter cette image, en ne faisant qu’habiller un islam « pur » et déculturalisé d’atours canadiens. Plutôt, soutient Betül Elveren, « la sitcom montre qu’identité islamique et identité canadienne ne s’opposent pas, mais que la combinaison des deux identités crée une identité hybride, une identité musulmane canadienne » (2008, 102), un processus qui demande que soient réinterprétées à la fois la canadienneté et l’islamité. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas précisément parler d’une identité musulmane canadienne au singulier, mais, comme le laisse entendre la série, il existe plusieurs identités musulmanes canadiennes, en constante élaboration et conciliation[21].
5. Les vêtements et l’égalité homme femme
Les représentations de l’homme et de la femme et des relations entre les deux sexes, dans Little Mosque on the Prairie, en rapport avec l’usage des vêtements comme marqueurs d’identité, lèvent le voile sur une autre dynamique, dans l’édification de l’identité musulmane canadienne. Les relations hommes femmes reviennent en fait souvent à l’avant-plan, dans plusieurs épisodes de Little Mosque on the Prairie, et touchent bon nombre de sujets, depuis les mariages arrangés et les codes de conduite islamiques lors des fréquentations (1.7, 2.17, 2.18), jusqu’aux vêtements appropriés pour les hommes et les femmes. Quelques sujets surprenants sont également abordés, par exemple le mariage homosexuel — bien que ce ne soit pas dans la communauté musulmane, mais dans l’église anglicane qui abrite la mosquée — ou le fait d’une épouse musulmane qui refuse à son mari tout rapport sexuel pour protester contre la proposition de la mère de celui-ci de prendre une seconde femme (1.7). Cette dynamique des sexes présente des idées islamiques qui peuvent ne pas cadrer avec les attitudes dominantes des Canadiens — telles que les restrictions sur la mixité libre des hommes et des femmes ou, encore, la pratique de la polygynie —, mais elles apparaissent d’habitude dans un contexte de contestation qui permet de prendre connaissance des différentes attitudes des musulmans à leur sujet.
Sur la question des vêtements, la série présente au téléspectateur une bonne diversité de styles et d’approches : l’imam porte des vêtements occidentaux standards (des jeans et une chemise), sauf pendant la prière à la mosquée, alors que Baber, le conservateur, porte toujours un costume de style pakistanais avec une calotte. L’habillement des musulmanes va de la burqa portée par une femme inconnue dans un épisode (2.3) au hijab avec la robe de Fatima, en passant par le hijab et le jeans de Rayyan et le léger foulard que porte Sarah uniquement pour la prière.
On pourrait faire valoir que la série propose un modèle subtil de port modéré du hijab[22] — Sarah est le seul personnage principal musulman féminin à ne pas porter le hijab et elle passe pour pratiquer l’islam de manière superficielle, admettant elle-même qu’elle est une piètre musulmane. Pourtant, le sujet du hijab est présenté avec nuances. Par exemple, Baber tergiverse quand il est question que sa fille Layla porte le hijab ; le souci du bien-être de sa fille à l’école vient tempérer son intransigeance habituelle en matière de strictes pratiques islamiques (2.2). L’attirance que ressent Baber pour une femme vêtue d’une burqa remet également en question l’idée qu’une femme se voile pour se soustraire aux désirs sexuels des hommes (2.3). Il n’en demeure pas moins que, visuellement, le hijab domine la tenue vestimentaire des musulmanes de la série, bien que d’une manière très à la mode[23]. Il est tout particulièrement intéressant de noter la normalisation, dans un contexte canadien, des divers types de vêtements associés à l’islam. Cela est surtout apparent dans les scènes se déroulant au café-resto de Fatima, où les gens portant des vêtements distinctifs musulmans et ceux qui n’en portent pas, qu’ils soient musulmans ou non, se comportent d’ordinaire « normalement », sans qu’une attention particulière soit accordée à leurs tenues.
On se moque allégrement des questions vestimentaires dans l’épisode sur l’Halloween (1.4), où Layla, la fille de Baber, et Jamal, le fils de Fatima, veulent se costumer et faire la tournée des maisons en quête de friandises, comme les autres enfants. On les oblige à revêtir d’humiliants costumes d’olive et de figue, car ces fruits sont mentionnés dans le Coran. Mais c’est Baber, leur chaperon, habillé comme à l’habitude, qui se fait complimenter pour l’authenticité de son costume de « terroriste[24] ». Mais l’habillement est aussi abordé avec le plus grand sérieux. Par exemple, les femmes portant le hijab sont très déterminées à se faire couper les cheveux dans un lieu privé (2.15), et Rayyan et Amaar sont tous deux très troublés quand ce dernier voit par accident Rayyan sans son hijab (2.18). En somme, un vêtement distinctif musulman, même s’il n’est pas adopté par tous les musulmans canadiens, apparaît dans la série comme une composante normale de l’identité musulmane canadienne dans l’imaginaire canadien.
6. L’extrémisme
À part le hijab, l’extrémisme constitue l’autre grand sujet lié aux musulmans à avoir interpellé négativement les non-musulmans. Dans Little Mosque on the Prairie, Baber incarne la caricature du conservateur traditionaliste, dans une mosquée canadienne. Mais il a beau s’agiter dans tous les sens, il est en réalité plutôt inoffensif. Un extrémisme beaucoup plus explicite et potentiellement plus dangereux est dépeint et ridiculisé, dans un épisode sur un converti à l’islam (1.5), diffusé pour la première fois le 14 février 2007. Le nouveau converti, Marlon, fait du zèle à l’excès, au désarroi du reste de la communauté musulmane. Dans cet épisode, il apparaît aux antipodes de Sarah, convertie depuis longtemps quand elle a épousé Yasir, et qui a été mise au défi par sa fille plus pieuse, Rayyan, de faire les cinq prières prescrites par jour. Baber se trouve coincé entre les deux, trouvant que ses idées conservatrices se reflètent désavantageusement dans les comportements odieux de Marlon.
Cet épisode établit des limites claires pour l’identité musulmane au Canada. Marlon personnifie des attitudes et des pratiques qui ne peuvent faire partie d’une identité musulmane canadienne ; par conséquent, il doit finalement être exclu de la communauté. Ses invectives sur la décadence occidentale et son adoption d’atours pakistanais plaisent d’abord au conservateur Baber, jusqu’à ce que Marlon remette en question l’autorité de Baber sur sa fille, Layla. De même, Marlon se montre offensant en critiquant la nourriture non halal au café-resto de Fatima et en insinuant que Rayyan serait une épouse obéissante. Bien que les questions soulevées par Marlon ne soient pas nécessairement irrecevables ou non pertinentes pour des musulmans vivant au Canada, c’est la manière rigide et arrogante qu’il a de les soulever qui est répréhensible.
En même temps, l’épisode présente une satire des tentatives dérisoires de l’autre convertie, Sarah, qui tente de devenir une meilleure musulmane en priant régulièrement. Alors que les téléspectateurs non musulmans pourraient sympathiser avec ses vains efforts effrénés pour prier comme il faut, les musulmans pratiquants vont remarquer ses erreurs, comme son oubli du wudhu, l’ablution rituelle avant la prière, et pourraient aussi se questionner sur le fait que la prière est montrée comme très accaparante. En fin de compte, le comportement de Sarah est toléré et elle peut demeurer au sein de la communauté, alors qu’on doit user d’un subterfuge pour chasser Marlon. Même Baber s’exclame : « Impossible de discuter avec un fanatique ! »
Quel message le téléspectateur peut-il en retirer ? Peut-être que pour pouvoir se dire authentiquement canadien et musulman, il faut être modéré et se situer quelque part entre les extrêmes de Marlon et de Sarah, dans ses observances religieuses. Et pourtant, malgré son laxisme et le fait qu’elle reconnaisse être une piètre musulmane, Sarah est toujours acceptée par la communauté musulmane alors que Marlon en est rejeté. Ainsi, d’après les identités musulmanes canadiennes proposées par Little Mosque on the Prairie, les musulmans qui ne pratiquent pas ou qui sont irréguliers dans leurs observances religieuses peuvent être comptés dans une identité musulmane canadienne, alors que l’extrémisme, même dans sa forme embryonnaire, n’y a pas sa place[25].
7. L’imam et la modernité
Une dernière question qui mérite d’être examinée dans Little Mosque on the Prairie est l’attitude des musulmans canadiens face à des formes occidentales modernes d’idéaux tels que la pensée critique, la responsabilité individuelle, l’égalité et la tolérance. Cette question revient souvent dans les communautés musulmanes nord-américaines, lors des débats et des difficultés entourant le choix d’un imam pour diriger la communauté. Puisque les institutions qui forment des chefs religieux musulmans n’ont été que récemment établies en Amérique du Nord, les communautés musulmanes d’ici ont dû importer des imams qui ont grandi et ont été formés dans des contextes non occidentaux. Des problèmes surgissent souvent parce que de tels imams sont incapables d’adapter leur discours à un contexte nord-américain[26]. Zarqa Nawaz a affirmé que son idée pour Little Mosque on the Prairie lui est venue quand elle a imaginé ce que pourrait être la communauté de sa mosquée à Regina, si celle-ci était dirigée par un imam élevé et éduqué au Canada (communication personnelle, 29 juillet 2009).
Alors que chaque épisode ou presque de Little Mosque on the Prairie s’intéresse aux questions touchant l’imam et la modernité, le huitième épisode de la deuxième saison : Best Intentions (en français : Les meilleures intentions), diffusé pour la première fois le 28 novembre 2007, traite explicitement du contraste entre les perspectives traditionnelle et moderne du leadership religieux. L’épisode s’ouvre sur Amaar, l’imam moderne ayant grandi au Canada, qui tente d’être d’actualité en instituant dans la mosquée ce qu’il appelle un « halaqa pour ados », ou cours coranique pour adolescents[27]. Au moment où Amaar comprend que les élèves sont là seulement parce que leurs parents les y ont forcés, Baber, représentant du traditionalisme, est horrifié, en faisant irruption dans la classe, d’y trouver des garçons et des filles ensemble. « Tu appelles cet étal mixte de viande fraîche un halaqa ! ? » s’exclame-t-il. Et au désarroi d’Amaar, il les renvoie tous à la maison (ce qu’ils acceptent sans rechigner). D’un point de vue traditionnel, le danger moral d’un mélange des sexes supplante les bienfaits potentiels d’un forum de discussion sur les questions islamiques.
Vers la fin de l’épisode, Baber a accepté de s’associer avec Amaar pour diriger le halaqa d’ados, ce qui a pour résultat une présentation qui oscille entre une approche traditionnelle et moderne. Les élèves peuvent maintenant poser des questions plutôt qu’être uniquement sermonnés sur les croyances et pratiques acceptables. Quand un garçon demande s’il est permis d’écouter du « gangsta rap », Baber retombe immédiatement dans un mode traditionnel, en soutenant qu’un tel comportement conduit à coup sûr en enfer. Mais sur l’insistance d’Amaar, il se reprend en expliquant gentiment et de manière conciliante que les jeunes gens devraient faire attention aux modèles de comportement qu’ils choisissent. Et lorsqu’une jeune fille se demande pourquoi elle doit faire des tâches ménagères alors que son frère en est exempté, Baber donne à nouveau une réponse toute faite : « Parce que tu es une fille et lui un garçon. » Mais il se reprend une nouvelle fois et, avec plus de pertinence, évoque la tradition selon laquelle le prophète Mahomet accomplissait des tâches ménagères. Le frère de la jeune fille devrait suivre son exemple.
Cet épisode met en opposition l’approche moderne d’Amaar — que Baber qualifie d’ « islam libéral décadent » — et l’approche traditionnelle de Baber, qu’Amaar appelle le « mufti de Mercy ». Ces deux styles ou approches rivalisent pour représenter une expression authentique de l’islam. Mais la conclusion de l’épisode suggère un compromis précaire ou un amalgame des deux perspectives, plutôt que le triomphe de l’une sur l’autre. Cet accommodement de perspectives disparates[28] est caractéristique de la manière dont l’émission façonne les identités canadiennes musulmanes[29].
8. Culture et religion
Les observations qui précèdent ont tenté de montrer que Little Mosque on the Prairie aborde plusieurs discours sur l’identité musulmane, non seulement pour refléter l’éventail des sensibilités musulmanes canadiennes, mais également pour participer activement à la fabrication d’identités musulmanes canadiennes qui puissent s’insérer dans l’imaginaire culturel d’un Canada tolérant et multiculturel. Qu’il soit musulman ou non musulman, un discours qui refuse l’inclusion des musulmans, en tant que musulmans, dans l’imaginaire canadien, sera rejeté.
Il s’agit alors de savoir si ce projet constructif s’est développé sur l’idée d’extraire l’islam comme religion des formes culturelles qu’il peut adopter. Cela ne semble pas être le cas. La canadienneté, l’islamité et l’islam sont trop inextricablement enchevêtrés et interreliés pour qu’il soit possible d’établir des distinctions aussi précises. Little Mosque on the Prairie ne dépeint pas les observances ou les principes islamiques comme séparés de la culture, mais plutôt montre l’imbrication[30] contestée d’un sentiment d’être musulman, en faisant siennes les formes et les sensibilités culturelles propres à la société canadienne[31]. Ce qui est alors à l’oeuvre dans Little Mosque on the Prairie, c’est la création d’un nouvel imaginaire culturel qui dépeint les musulmans comme des membres normaux de la société canadienne, assez confiants et à l’aise pour encaisser des flèches à leur endroit et pour pratiquer l’autodérision — bien qu’il y ait eu, cela va de soi, quelques musulmans pour prendre ombrage de la série, la trouvant offensante et inexacte. La série montre des musulmans canadiens affichant une diversité de positions et de pratiques, comme dans n’importe quel groupe, tout en trouvant un sens, une reconnaissance et une dignité à s’affirmer résolument musulmans dans un contexte canadien.
Bien entendu, la communauté musulmane canadienne présentée dans la série est imaginaire et ne se veut nullement un reflet de la réalité[32]. Ce que l’émission omet d’aborder est d’ailleurs aussi important que ce qu’elle dépeint. La série ne laisse pas soupçonner le grand nombre de musulmans chiites au Canada, pour ne rien dire des ahmadis ou des ismaéliens[33]. En tant que comédie, toutes les tensions sont ultimement dissipées et rien ne persiste qui pourrait perturber une utopie multiculturelle imaginée. On y trace les limites de l’acceptable, des limites qui pourraient sembler assez élastiques pour les musulmans conservateurs du Canada, mais qui rassurent les téléspectateurs canadiens non musulmans du fait que les musulmans du Canada, même s’ils présentent des différences, sont au fond accessibles, intégrés et, oui, peuvent même être bons au curling. Si le message arrive à passer, c’est qu’il ne sépare pas l’islam de la culture, mais réussit à inculturer l’expérience d’être musulman dans un cadre canadien[34].
Appendices
Note biographique
Franz Volker Greifenhagen est le doyen des Études religieuses au Luther College, University of Regina (Saskatchewan, Canada). Ses recherches actuelles portent sur l’islam et la Bible hébraïque, avec un intérêt particulier pour les musulmans contemporains au Canada et l’intertextualité coranique/biblique. Il a publié de nombreux articles sur la 12e sourate du Coran, sur les polémiques Internet qui utilisent le Coran et la Bible et sur la comédie télévisée canadienne Little Mosque on the Prairie. Il a codirigé (2008) An Introduction to the Hebrew Bible : A Thematic Approach, Louisville/London, Westminster/John Knox.
Notes
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[1]
NDT : Le titre de cette émission, qui se traduit par La petite mosquée dans la prairie, fait référence à la série américaine Little House on the Prairie (La petite maison dans la prairie), originalement diffusée sur le réseau NBC, de 1974 à 1982. En traduction française, la première saison seulement (huit émissions) de La petite mosquée dans la prairie a été diffusée sur Radio-Canada, du 12 juin au 31 juillet 2008. Plusieurs émissions ont été diffusées sur des chaînes en France, en Belgique et en Suisse. Seules les deux premières saisons en français sont disponibles sur DVD (StudioCanal). On ne trouve que quelques épisodes en français sur Internet (en particulier sur YouTube).
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[2]
Traduit par Jacques-André Houle.
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[3]
D’autres séries télévisées telles que Oz (1997-2003) et Sleeper Cell (2005-2006) mettaient en scène des musulmans, mais relégués à l’intrigue secondaire et non comme sujet principal. Après le début de Little Mosque on the Prairie, la comédie de situation Alien in America (2007-2008) a été lancée aux Etats-Unis, en octobre 2007, mettant en scène un jeune étudiant étranger musulman du Pakistan, vivant dans une famille américaine « typique ».
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[4]
Ramji (2003) recense les représentations négatives des musulmans dans les films d’Hollywood.
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[5]
Les références subséquentes aux épisodes de Little Mosque on the Prairie seront indiquées par un premier chiffre désignant la saison, suivi d’un point et d’un second chiffre désignant l’épisode. Ainsi, 2.12 indique le 12e épisode de la deuxième saison. La première saison a été diffusée de janvier à mars 2007, la deuxième d’octobre 2007 à mars 2008 et la troisième, d’octobre 2008 à mars 2009. Plusieurs épisodes sont disponibles sur Internet. NDT : Notamment, en date du18 septembre 2013, la totalité des saisons est disponible en version originale sur le site Internet de la CBC à : <http://www.cbc.ca/player/Shows/Shows/Little+Mosque+on+the+Prairie>.
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[6]
Le sport amateur est l’espace culturel le plus communément partagé par les Canadiens (Habacon 2008, 153).
-
[7]
Bakht (2008) décrit ces affaires survenues lors de compétitions de soccer et de taekwondo. Elle y voit une transformation du discours stéréotypé sur le voile musulman en Occident. Quittant le but de protéger les femmes voilées de l’oppression de leurs hommes / culture / religion, le discours s’est déplacé vers la nécessité de les protéger des risques physiques du voile lui-même (en l’absence pourtant de données fiables montrant qu’un hijab ait déjà causé des blessures au sport).
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[8]
Le concept d’ « imaginaire culturel » nous vient de la notion historiographique française de l’imaginaire, qui désigne une série de sens et de représentations entrelacés, occupant une position intermédiaire entre mentalités sociétales et subjectivités individuelles et de réelles circonstances matérielles.
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[9]
Un sport canadien encore plus emblématique, le hockey, est présent dans l’épisode 1.2. Dans cet épisode du tout début, Baber essaie d’ériger une cloison entre les hommes et les femmes dans la salle de prière musulmane, en recyclant de vieilles bandes de la patinoire de l’aréna, en lançant : « Rien ne divise les hommes et les femmes comme La soirée du hockey ! » Dans ce cas, il est possible de nommer des musulmans canadiens qui jouent ou ont joué pour la Ligue nationale, tels Nazem Kadri et Ramzi Abid.
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[10]
Ramadan se bat contre une tendance qu’il observe surtout dans certains milieux musulmans d’Europe, où l’on essaie de s’isoler des sociétés d’accueil, une tendance qui, selon lui, amoindrit et appauvrit l’universalité du message islamique. Ramadan plaide plutôt en faveur d’une approche musulmane qui témoigne d’un discernement critique face à la société et la culture occidentales, une approche où les musulmans ne seraient pas des consommateurs passifs et dociles, mais faisant preuve d’esprit critique en s’appuyant sur de profonds principes éthiques islamiques. (Ramadan 2003, 365-66)
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[11]
Roy (2004, 5-6) parle de la prédominance moderne de la religiosité (« l’auto-formulation et l’auto-expression d’une foi personnelle ») sur la religion (« un corpus cohérent de croyances et de dogmes encadré collectivement par des dépositaires légitimes de la connaissance »).
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[12]
Roy (2004, 31-32) suggère ainsi que les musulmans ont adopté une syntaxe occidentale pour exprimer leur propre structure ou morphologie théologique islamique.
-
[13]
L’« inculturation » diffère donc de l’« acculturation », qui implique un glissement vers la culture dominante plutôt qu’un échange de styles culturels. La manière dont les jeunes musulmanes britanniques ont harmonisé les tenues occidentales avec leurs propres ensembles vestimentaires ethniques ou, alors, l’évidente hybridation de la musique britannico-asiatique d’aujourd’hui, sont de bons exemples de l’inculturation (Ansari 2004, 250).
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[14]
Alors que toutes les saisons en langue anglaise sont maintenant disponibles sur DVD, seules les deux premières saisons l’étaient en 2009, au moment de la rédaction de la majeure partie de cette analyse. Tous les épisodes sont également accessibles sur Internet, en version originale, où elles jouissent d’une popularité appréciable auprès des adolescents (Zarqa Nawaz, communication personnelle, 29 juillet 2009). Une analyse plus approfondie de l’oeuvre de Nawaz devrait également inclure ses comédies filmiques antérieures : les courts métrages BBQ Muslims, Death Threat, Fred’s Burqa et Checkpoint. On peut y déceler des antécédents à Little Mosque, en particulier dans la parodie des peurs exagérées face au « péril » musulman ainsi que dans l’illustration des petits travers de la communauté musulmane au Canada.
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[15]
« Mon voeu le plus cher est qu’elle soit vue comme une comédie, comme n’importe quelle autre comédie [...] une comédie qui peut être regardée par toutes sortes de gens peu importe leur âge, leur religion ou leur milieu de vie [...] Nous voulons qu’ils la regardent parce que c’est une émission drôle et divertissante qui, incidemment, met en scène des musulmans. Nous espérons que les téléspectateurs s’identifieront aux personnages et aux situations pour ce qu’ils ont d’universel. » (cité dans DeDekker 2007)
-
[16]
Eid et Khan (2011, 191) et Dakroury (2008, 43) ont aussi spécifiquement noté l’effet obtenu par la série, en montrant les musulmans comme composante pleine et entière du Canada.
-
[17]
Le nom de la ville (en français : « miséricorde » ou « clémence ») pourrait être interprété comme une allusion à l’un des principaux attributs de Dieu (en arabe, rahma) selon l’islam, l’autre étant la colère de Dieu. Un célèbre hadith qudsi fait dire à Dieu : « Ma miséricorde l’emporte sur ma colère. » En tant que comédie, il semble indiqué que la série souligne la miséricorde, alors qu’une tragédie pourrait s’attarder davantage à la colère ou au jugement. Il se pourrait également que la série vise délibérément à dépeindre la vie d’une communauté minoritaire musulmane dans un contexte canadien comme une manifestation de miséricorde.
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[18]
Eid et Kahn (2011), qui s’intéressent à l’élaboration d’identités de musulmanes dans Little Mosque on the Prairie, font référence à ce processus, à travers le concept de « Troisième espace », proposé par Homi Bhaba, espace dans lequel sont constituées de nouvelles identités individuelles hybrides par le mélange de plusieurs cultures.
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[19]
L’image de musulmans pratiquant dans un lieu chrétien n’est pas juste une métaphore, mais reflète également la réalité de nombreuses communautés musulmanes au Canada. Zarqa Nawaz a elle-même fréquenté la mosquée Jami de Toronto, jadis une église presbytérienne, et sa mosquée de Regina était autrefois une église luthérienne. Notez, toutefois, que l’autre lieu public important du tournage est le café-resto de Fatima, possiblement une métaphore d’un espace public où musulmans et non-musulmans peuvent converger et échanger librement.
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[20]
Eid et Khan (2011, 193) et Dakroury (2008, 44) délimitent également des typologies similaires des différents personnages de Little Mosque on the Prairie, sans reconnaître toutefois les glissements dont ceux-ci sont capables ni des homologies entre les personnages musulmans et non musulmans.
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[21]
On pourrait tirer plus ou moins la même conclusion à propos de n’importe quelle identité. Il en ressort ici que l’identité de ceux que la population dominante considère comme « autres » ou « étrangers » est souvent caricaturée comme étant univoque et stable, un stéréotype que la série tente de dissiper par sa manière de dépeindre les musulmans.
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[22]
Par contraste, d’après Ba-Yunus et Kone (2006, 142-43), il y a probablement une plus grande proportion d’Américaines musulmanes qui ne portent pas le hijab, bien qu’elles puissent quand même s’habiller avec modestie. Ils observent cependant une augmentation aux États-Unis du port volontaire du hijab, une tendance qui s’étend sans doute au Canada. Eid et Khan (2011, 199) font remarquer que la série ne dément pas le stéréotype selon lequel le simple port du hijab et le type de hijab porté sont un indicateur fiable du niveau de religiosité, quand, en fait, « le hijab d’une femme ne reflète pas nécessairement sa religiosité ».
-
[23]
Les tenues avec hijab de Rayyan, tout spécialement, ont provoqué l’admiration et l’imitation ; par exemple, ses tenues ont souvent été commentées sur le blogue Hijab Chique : <http://hijabchique.blogspot.com>.
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[24]
Que Baber, le conservateur, ait permis à sa fille de passer l’Halloween est déjà toute une observation sur les possibles identités musulmanes au Canada. L’épisode sur l’Aïd et Noël (2.10) montre un intéressant mélange de l’esprit de ces deux fêtes.
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[25]
La série exclut ainsi les musulmans qui rejettent fermement la société occidentale où ils vivent, en l’appréhendant selon le paradigme de la résistance. Les musulmans qui appréhendent leur situation selon les trois autres paradigmes relevés par Mattson (2003) parmi les immigrants musulmans — adhésion, engagement sélectif et engagement sans compromis — seraient inclus. Il n’est pas clair que Little Mosque on the Prairie inclurait les salafistes — identifiés par Ramji (2008) comme l’une des catégories de la jeunesse musulmane au Canada — dans sa formation d’identités musulmanes canadiennes, même si ce groupe, très critique de plusieurs aspects de la société canadienne, se sent toujours à l’aise au Canada. Par contre, les convertis qui sont attirés par la frange musulmane extrémiste et violente et s’y associent — comme l’agent d’Al-Qaïda Adam Gadahn, un Américain converti à l’islam — sont nettement inacceptables.
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[26]
Karim (2008) a trouvé que les musulmans au Canada, de même qu’au Royaume-Uni et aux États-Unis, sont insatisfaits des chefs religieux traditionnels et qu’ils désirent que leurs imams puissent parler couramment l’anglais ou le français, être familiers avec le contexte occidental, s’occuper de questions pratiques au-delà de la théologie et adopter une attitude critique envers les sources traditionnelles musulmanes. De plus, Ba-Yanus et Kone (2006, 8-81) décrivent comment des imams en Amérique du Nord sont de plus en plus appelés à assumer des responsabilités comme le counseling et l’administration de la mosquée, en plus de leurs rôles traditionnels, et soulèvent aussi la nature souvent précaire de leur position et de leur autorité.
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[27]
Le mot halaqa, en arabe, signifie littéralement « un cercle » et désigne une petite réunion religieuse où un maître est assis entouré d’un petit groupe d’élèves.
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[28]
Il existe tout de même des limites à certaines perspectives, comme le montre clairement l’épisode sur le converti (1.5). Voir la discussion plus haut.
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[29]
Chose intéressante, le même épisode touche à l’anxiété de Baber qui croit qu’Amaar lui a infligé le « mauvais oeil ». Le statut de la croyance au mauvais oeil comme authentique dans l’islam demeure ambigu dans l’épisode.
-
[30]
Par imbrication, l’on entend un enchevêtrement serré qui formerait un motif régulier et complexe. Les éléments du motif ne sont pas fusionnés, mais sont si intimement reliés que le motif n’existerait pas autrement.
-
[31]
La culture n’est pas enchâssée comme une espèce de composante essentielle et immuable de l’identité d’un groupe, pas plus qu’elle n’est un buffet dans lequel les individus peuvent à tout moment choisir ce qu’il leur plaît. Elle est plutôt une création imaginative collective en continu, à laquelle les individus participent à divers degrés et à divers niveaux. Cette création imaginative comprend des éléments qui sont étiquetés comme « religieux ».
-
[32]
Zarqa Nawaz admet que la série reflète sa nostalgie de la mosquée de son enfance où, d’après ses souvenirs, la communauté était plus petite, plus simple et plus diversifiée et inclusive que celles des mosquées qu’elle a fréquentées par la suite (communication personnelle, 29 juillet 2009).
-
[33]
Halim (2006) fait ressortir deux questions importantes pour les musulmans américains : 1) comment se situer par rapport à la société américaine ? 2) comment réconcilier les différences parmi les musulmans ? Alors que Little Mosque on the Prairie, dans un contexte canadien, aborde la première question de front, l’émission ne fait qu’effleurer la seconde.
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[34]
La séparation de l’islam et de la culture est une démarche théorique utile pour appuyer la possibilité de fabriquer des identités musulmanes acceptables dans des contextes non musulmans, mais ses prémices idéalistes sur la religion en tant que catégorie désincarnée ne sont pas viables en pratique. Écrivant au sujet de débats chrétiens sur l’existence d’un « coeur [ou noyau] irréductible de vérité chrétienne qui soit universel dans son application quel que soit le contexte ou la culture », Stanley (2007, 24-25) soutient que « le conditionnement culturel partagé par tous les chrétiens, simplement en raison de notre humanité, implique que l’idée d’un “étalon d’or” éternel, universel et supraculturel qui puisse définir le noyau ne pourra jamais être atteinte. Même si nous essayons de verbaliser ce qu’est ce noyau, nous ne pouvons éviter l’influence de notre culture sur le langage que nous employons ». Le même argument peut s’appliquer, mutatis mutandis, au sujet du lien entre culture et un coeur ou noyau de croyances et de pratiques islamiques.
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