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Entre le 4 et le 10 juin 2014, la ville irakienne de Mossoul — deuxième ville en importance après Bagdad — tombe aux mains de Daech[1]. À la fin du mois de février 2015, une vidéo publiée par Daech présente le saccage d’une collection de statues et de sculptures datant, pour certaines, de l’époque de l’Empire néo-assyrien (xe-viie siècles av. J.-C.)[2]. Des statues sont jetées en bas de leurs socles et détruites à coup de masse et de marteau piqueur. Un taureau ailé, divinité protectrice qui gardait autrefois la « porte de Nergal » de Ninive, l’une des anciennes capitales de l’Empire assyrien[3], est détruit avec une scie électrique. À peine une semaine plus tard, le 6 mars 2015, l’agence de presse britannique Reuters annonce avoir été informée par des sources gouvernementales et tribales irakiennes que des militants de Daech ont pillé et saccagé les vestiges de l’ancienne capitale assyrienne, Kalhu, la Calah biblique, aujourd’hui connue sous le nom de Nimrud[4]. Fondé au xiiie siècle av. J.-C. par le roi assyrien Salmanazar Ier (1274-1245 av. J.-C.), ce petit centre administratif provincial fut transformé en une immense ville fortifiée de 360 hectares par le premier grand roi de la période néo-assyrienne, Aššurnaṣirpal II (883-858 av. J.-C.). Le mois suivant, le 11 avril 2015 plus précisément, des images montrant la destruction d’une partie de la ville de Nimrud apparaissent sur les réseaux sociaux. Le palais du roi Aššurnaṣirpal II est particulièrement visé. Puis, une nouvelle vidéo fait son apparition le 7 juin 2016. Cette fois, il est question, entre autres, de la destruction de la ville de Ninive et du temple du dieu Nabû dans la ville de Nimrud[5].

Toutes ces vidéos où Daech s’attaque au passé préislamique de la région sont accompagnées de chants a capella[6], connus sous le nom d’anachîds. Daech se sert abondamment de ces poèmes ou hymnes religieux dans ses vidéos de propagande, si bien qu’ils font maintenant partie de l’identité du groupe armé. Selon Said (2012, 865), la poésie islamique contenue dans les anachîds serait une extension d’un style poétique anticolonial datant du xixe siècle, connu sous le nom de qaseeda. L’utilisation d’anachîds par des groupes djihadistes est cependant assez récente. Durant l’invasion soviétique de l’Afghanistan, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, on assiste à une militarisation du contenu des anachîds utilisés par les combattants d’Al-Qaïda (voir Said 2012, 865-869).

Une hausse importante de production d’anachîds jihadiya est observable depuis quelques années, particulièrement en raison des guerres en Syrie et en Iraq, et de l’utilisation systématique qu’en fait Daech dans sa propagande visuelle et auditive. Fait notable, Daech compose ses propres anachîds, ce qui lui permet d’adapter le contenu aux images qui les accompagnent[7]. C’est le cas, par exemple, du nachîd « Avance, avance » qui accompagnait le communiqué audio revendiquant les attentats de Paris du 13 novembre 2015. Dans le « Communiqué sur l’attaque bénie de Paris contre la France croisée », mis en ligne le lendemain des attentats de Paris, le nachîd est parfois en avant-plan, parfois en arrière-plan et alterne avec la lecture du communiqué[8]. Comme dans la plupart des anachîds, dévotion religieuse et apologie de la violence envers les ennemis du groupe armé sont combinées[9]. Comme le souligne Velasco-Pufleau (2015, 10), le but de ce nachîd est de « montrer la puissance du Califat, de terroriser l’ennemi et d’encourager les combattants de l’État islamique à poursuivre la bataille » et sert, selon le même auteur (2015, 3), à « ritualiser sa propagande […] légitimer la violence […] encourager ses combattants et […] démoraliser son ennemi. »

Bon nombre de vidéos disponibles en libre accès sur Internet et créées par Daech font la promotion de l’idéologie djihadiste-salafiste singulière du groupe armé. Différents types de violence sont exposés et, dans tous les cas, des anachîds servent à la diffusion des messages extrémistes. Certaines de ces vidéos sont axées notamment sur le recrutement de soldats de Daech[10], présentent une noyade[11], des meurtres au moyen de mines antipersonnel[12], de bombes ou par immolation[13] ou encore, le meurtre par décapitation d’un traître présumé par un enfant-soldat de Daech[14]. Dans le cadre de cet article, trois d’entre elles seront analysées. Ces vidéos accompagnées d’anachîds montrant la destruction de sites archéologiques assyriens cherchent à provoquer une réaction, autant chez les ennemis que chez les sympathisants de Daech. Or, le contenu de ces anachîds n’a fait l’objet d’aucune étude spécifique à ce jour. Mais avant de nous pencher sur ces vidéos dans lesquelles des sites et des monuments du passé assyrien sont détruits par des militants de Daech sur fond de chants religieux, nous nous attarderons au rôle de la musique dans la propagande assyrienne puisque, ironiquement, les Assyriens ont été les premiers à faire usage de musique dans leur propagande religieuse et militaire[15]. Nous insisterons principalement sur une cérémonie à connotation religieuse entourant l’érection de stèles représentant le roi et ses dieux, celles-ci laissées dans les territoires conquis ou sous domination assyrienne, et étant inaugurées au son de la musique.

Dans un premier temps, nous analyserons brièvement le contexte dans lequel ces stèles royales étaient érigées et comment leur érection s’intègre dans la stratégie assyrienne d’intimidation et de contrôle. Nous nous attarderons au message théologique et au rôle de la musique dans cette cérémonie. Dans un deuxième temps, nous analyserons les anachîds qui accompagnent les vidéos de Daech dans lesquelles les anciennes villes assyriennes de Ninive et de Nimrud et le musée de Mossoul sont saccagés, ce qui nous permettra de mieux comprendre le rôle que joue la musique dans certains discours théologiques de Daech. Pour ce faire, nous utiliserons une méthodologie fondée sur une théorie constructiviste (Charmaz 2008) qui nous permettra d’abord de tirer parti de théories existantes pour codifier les données. L’analyse des données se fera donc à partir d’un cadre théorique explicitement défini. Les résultats de notre analyse ne doivent toutefois pas être généralisés et appliqués à l’ensemble des vidéos de Daech. Ils permettent cependant de mieux comprendre comment la consommation morbide de dystopies peut être rationalisée par les consommateurs des vidéos de Daech.

Nous compléterons les analyses historiques et théologiques qui auront été présentées dans la première partie de l’article en utilisant certaines théories développées dans les domaines de la psychologie sociale, du marketing, de la culture de consommation et de la philosophie postmoderne. Celles-ci nous permettront de mieux comprendre comment la destruction de lieux appartenant au passé préislamique de l’Iraq moderne, l’hyperviolence et la consommation morbide de dystopies interagissent avec les concepts de religion, de blasphème et de politique sociale.

Cet article apporte donc une contribution novatrice dans une perspective interdisciplinaire en combinant une exploration de l’histoire, de l’analyse du discours de l’extrémisme religieux et de la musique, domaine souvent coupé du reste des intérêts des spécialistes des sciences humaines et sociales. L’attention accordée au rôle de la technologie dans la diffusion du discours de l’extrémisme, notamment à l’aide du concept d’hyperréalité, est également originale dans les domaines de l’étude du fait religieux.

1. Les « atrocités calculées » des rois assyriens

Les cruautés des rois assyriens, particulièrement à l’époque néo-assyrienne (911-609 av. J.-C.), sont bien documentées et bien connues. Les Assyriens ont été les premiers à insister dans leur propagande littéraire et visuelle sur les châtiments atroces qu’ils font subir à leurs ennemis et à se servir de cette cruauté comme un outil de propagande, terrorisant les uns et persuadant les autres à accepter leur domination. Bref, les Assyriens ont été les premiers à pratiquer une politique de terreur et à développer une tactique que l’on pourrait qualifier d’« atrocités calculées[16] », tactique qui sera reprise, à bien des égards, par Daech. Ces atrocités sont dites « calculées » puisqu’elles font partie d’une stratégie plus globale qui vise, d’une part, à intimider, à terroriser et à punir ceux qui ne respectent pas la domination assyrienne et, d’autre part, à donner un avertissement à ceux qui auraient l’intention de se rebeller contre les Assyriens. Cette stratégie, « largement […] diffusée par le texte et l’image et sans nul doute transmise de bouche à oreille » comme le souligne Roux (1995, 335), « s’avérait nécessaire pour obtenir le respect et imposer l’obéissance ». Le roi Aššurnaṣirpal II (883-858 av. J.-C.) fut le premier à autant insister sur les punitions atroces infligées à ceux qui osaient ne pas respecter sa domination. Les atrocités qu’il aurait commises envers ses ennemis sont bien illustrées sur les bas-reliefs qu’il a laissés dans son palais de Kalhu, en partie détruit par Daech en 2015[17], et dans les nombreuses inscriptions qu’il a fait rédiger à l’intérieur de temples[18] ou sur d’autres stèles et statues, comme les monolithes de Nimrud (A.0. 101.17) et de Kurkh (A.0. 101.19).

Les actes de violence et les atrocités pratiquées par le roi et ses soldats y sont représentés en détail : destruction de villes et villages, assassinats et mutilations d’hommes, de femmes et d’enfants. Combattants ennemis décapités, démembrés, mutilés, brûlés vifs, écorchés, etc. Un seul exemple suffira pour illustrer la guerre de terreur à laquelle se livre le roi assyrien : « Je brûlai beaucoup de prisonniers parmi eux. Je capturai beaucoup de soldats vivants. De certains je coupai les bras ou les mains ; d’autres, je coupai le nez, les oreilles et les extrémités. J’arrachai les yeux de nombreux soldats. Je fis une pile de vivants et une autre de têtes. Je pendis leurs têtes à des arbres autour de la cité. Je brûlai leurs adolescents, garçons et filles… » (Grayson 1976, §549).

Après que certaines villes ont été détruites, parfois incendiées, que les troupes assyriennes se sont livrées au pillage et que plusieurs habitants ont été massacrés ou faits prisonniers (A.0.101.1, i 43b-54a, Grayson 1991, 196), les Assyriens posaient parfois un autre geste d’intimidation : l’érection d’une stèle représentant le roi et les symboles de leurs principaux dieux. À noter que cette pratique fut particulièrement utilisée sous les règnes du roi Aššurnaṣirpal II et de son fils, Salmanazar III (858-824 av. J.-C.)[19]. Dès ses premières campagnes militaires, Aššurnaṣirpal II précise avoir fait faire une image de lui-même et y avoir fait écrire les « louanges de ma puissance » (A.0.101.1, i 58b-69a, Grayson 1991, 197-198). Dans certains cas, même si les rois ennemis se rendent ou acceptent de payer tribut, le roi assyrien fait néanmoins ériger une statue colossale de lui-même qu’il fait placer à l’intérieur de son palais. (A.0.101.1, i. 97-98, Grayson 1991, 200) En d’autres occasions, comme dans la ville de Sūru, la statue est laissée à l’intérieur de la ville (A.0.101.1, iii 24b-26a, Grayson 1991, 214). Il fait la même chose dans la ville de Tušha, dans le pays de Naïri (A.0.101.1, ii 2b-12a, Grayson 1991, 202).

Comme son père, Salmanazar III laisse souvent des stèles le représentant. Après avoir rasé, détruit et brûlé les villes de ses ennemis, il proclame :

At that time I praised the greatness of the great gods (and) made manifest the heroism of Aššur and the god Šamaš for posterity, by creating a colossal royal statue of myself (and) writing thereon about my heroic deeds and victorious actions. I erected (it) before the source of the River Saluara, at the foot of the Amanus range.

A.0.102.2, i 48-51a, Grayson 1996, 16

La même formule stéréotypée est utilisée à quelques reprises : « J’ai fait une statue colossale de moi-même (et) y ait écrit les louanges d’Aššur, le grand dieu, mon dieu, et mes conquêtes victorieuses. » (A.0.102.2, ii 43-44, Grayson 1996 20 ; 21, etc.)

Grâce aux scènes gravées sur les plaques de bronze qui ornaient jadis les portes monumentales du palais et du temple de la ville de Balawat[20], nous savons que ces stèles étaient érigées lors d’une cérémonie religieuse à laquelle participaient le roi, des prêtres et, dans certains cas, des musiciens[21]. En effet, après une victoire militaire, on voit le roi debout devant une jarre, un « brûle-encens » et un autel pour les sacrifices placés devant les étendards, eux-mêmes devant une stèle commémorative représentant le roi victorieux, protégé par les dieux. Fait à noter, le mot akkadien utilisé pour décrire les stèles royales érigées en territoire sous domination assyrienne, almu, est le même mot qui est utilisé pour décrire les statues divines. Bien que les rois assyriens n’étaient pas vénérés comme des dieux, ce genre de cérémonie avait sans doute pour objectif d’insister sur le lien unissant le roi et les grands dieux[22].

Salmanazar offre une libation aux dieux, geste traditionnel lors de l’inauguration d’une statue — royale ou divine — ou de tout autre objet cultuel (autels, temples, etc.) (Cheng 2001, 92). Derrière lui, deux prêtres qui s’apprêtent sans doute à offrir des sacrifices. On constate la présence de deux musiciens, jouant de la harpe horizontale, instrument principal dans les scènes sacrées, habituellement joué par une paire de musiciens (Cheng 2001, 94). Étant donné que les musiciens utilisent des harpes horizontales, on peut s’attendre à ce que les airs musicaux aient été semblables à ceux joués pendant une cérémonie religieuse d’inauguration. Il est probable que le tout était accompagné de chants même si, comme Cheng le souligne dans son étude sur la musique assyrienne (2001, 44), il est difficile d’identifier les chanteurs sur les images assyriennes. Il est possible que les musiciens jouant des instruments à cordes ou des percussions chantaient également — certains d’entre eux à tout le moins — mais il n’y a aucune certitude (2001, 44). De plus, si la musique était bel et bien accompagnée de chants, les paroles de ceux-ci n’ont pas été conservées. Cependant, étant donné que les premières phrases qui figurent sur les stèles royales s’apparentent aux hymnes qui étaient chantés aux dieux mésopotamiens, comme au Dieu de la Bible dans les Psaumes, nous pouvons formuler l’hypothèse que les premières lignes de l’inscription rédigée sur la stèle étaient chantées lors de son inauguration. Or, la stèle que l’on voit sur les plaques de bronze est identique aux « monolithes de Kurkh », deux stèles érigées par les rois Aššurnaṣirpal II et Salmanazar III retrouvées en 1861 dans le village kurde de Kurkh, en Turquie.

2. Les « monolithes de Kurkh »

Sur l’imposante stèle d’Aššurnaṣirpal II[23], on retrouve une description de sa campagne dans le pays de Naïri lors de la 5e année de son règne. La stèle de Salmanazar III, tout aussi imposante[24], contient une description des six premières années de règne du roi. Dans les deux cas, le message théologique est véhiculé par le texte et l’image. Visuellement, on voit le roi pointant de sa main droite vers les symboles des grands dieux vénérés par les Assyriens : Aššur, Adad, Sin, Shamash et Ishtar. La signification exacte de ce geste est inconnue, mais comme le souligne Porter (2003, 182), ce geste traditionnel exprime « a power-charged communication between man and god », et établit un lien entre le roi et les dieux[25]. Le roi a une relation particulière avec les dieux ; il a une mission divine, ce qui est évoqué dans le texte. Il est par ailleurs clair que l’initiative vient des dieux, du dieu national des Assyriens, Aššur, notamment.

Le texte débute par l’invocation des cinq divinités que l’on retrouve en haut de la stèle, « les grands dieux qui marchent à la tête de mes troupes », selon Aššurnaṣirpal II. Sur son monolithe, gravé vers 853-852 av. J.-C., Salmanazar III invoque aussi les grands dieux : Aššur, le « roi de tous les dieux » ; Anu, le « seigneur des pays » ; Enlil, le « père des dieux » ; Éa, « le sage » ; Sîn, « la lumière des cieux et du monde souterrain » ; Shamash, « le juge des quatre coins (du monde) » ; et la déesse Ishtar, « maîtresse de la guerre et de la bataille » (A.0.102.2, i 1-4, Grayson 1996, 13). Viennent ensuite le nom du roi et sa titulature. Sur sa stèle, Aššurnaṣirpal II est le « grand roi », « puissant roi », qui agit avec le support des dieux Aššur et Shamash, qui est « sans rival parmi les princes », « intrépide au combat », « qui brise les forces des rebelles », « qui piétine le cou des princes insoumis », « attise bataille et conflit », qui « détruit les fortifications de ses ennemis », etc. (A.0.101.19, i 10-19, Grayson 1991, 257) La titulature de Salmanazar est semblable, bien que la dimension religieuse soit plus présente :

Shalmaneser, king of all people, prince, vice-regent of Aššur, strong king, king of Assyria, king of all the four quarters, sun (god) of all people, ruler of all lands, the king (who is the) desired object of the gods, chosen of the god Enlil, trustworthy appointee of Aššur […] strong male who acts with the support of Aššur (and) the god Šamaš, the gods his allies, and has no rival among the princes of the four quarters […].

A.0.102.2, i 5-10, Grayson 1996, 13

Dans les deux cas, le lien entre les conquêtes et la volonté du dieu Aššur est clairement établi. Selon Aššurnaṣirpal II, c’est le dieu Aššur qui lui a commandé de se mettre en route (A.0.101.19, i 10-19, Grayson 1991, 258), alors que son fils soutient que le grand dieu Aššur l’a choisi et nommé pour être le « berger » de l’Assyrie et soumettre les pays qui refusent la domination assyrienne (A.0.102.2, i 12b-14a, Grayson 1996, 13). Tous gestes posés par le roi, toute violence, toutes conquêtes, etc., étaient donc justifiés parce que demandés par les dieux. La cérémonie d’inauguration qui accompagnait l’érection de la stèle royale avait sans doute pour objectif d’insister sur ce lien qui unissait le roi et les grands dieux. Le roi n’est pas seul : les grands dieux sont avec lui, et les stèles étaient là pour le rappeler.

2.1 Le message théologique

Lors de la cérémonie d’inauguration d’une stèle royale en territoire étranger, des musiciens jouant de la harpe horizontale étaient présents, comme c’était habituellement le cas lors de cérémonies religieuses importantes. La présence de ce duo de musiciens confirme le caractère religieux de la musique. De plus, l’utilisation de la harpe horizontale, qui était l’instrument national de l’État néo-assyrien[26] et qui était possiblement utilisé, selon Cheng (2001, 114), pour jouer un style de musique typiquement assyrien[27] donnait ainsi un caractère particulier à la cérémonie. Si tel était le cas, le son distinctif de ces harpes pourrait être comparé aux anachîds utilisés par Daech.

Par ailleurs, que les airs joués par les musiciens aient été accompagnés ou non de chants inspirés des premières lignes des stèles royales, où l’on chante la gloire des grands dieux et du roi, ne change rien au message théologique : le roi assyrien est tout puissant et doit être obéi non seulement parce qu’il a l’approbation des grands dieux, mais aussi parce qu’il agit sur leur ordre — notamment celui d’Aššur. Il faut cependant souligner que le message était ambivalent, en ce sens qu’il pouvait être perçu différemment, d’une part par les vassaux qui acceptaient la domination assyrienne et, d’autre part, par ceux qui s’étaient rebellés ou qui étaient tentés de le faire. Somme toute, ces stèles laissées près des villes conquises ou à l’intérieur de villes acceptant la domination assyrienne représentaient un témoignage visible des succès militaires du roi assyrien, un rappel de la puissance assyrienne et un incitatif à respecter la suprématie du roi assyrien et de ses dieux.

3. Analyse des anachîds anti-assyriennes

Dans cette section, nous utiliserons les cadres théoriques accélérationnistes (Srnicek et Williams 2016 ; Wallin et Venkatesh (sous presse)) qui incarnent les messages véhiculés dans les vidéos diffusées par Daech dans les médias sociaux d’aujourd’hui. Avant d’analyser le contenu de ces vidéos, il importe d’abord de réfléchir quant au rôle que joue la technologie elle-même, particulièrement les médias mobiles et numériques propagés en ligne sur Internet. Les philosophies accélérationnistes proposent de réorienter et d’imaginer autrement la façon dont la société s’élance vers un avenir post-capitaliste — où les marchés financiers, les entités politiques et les objets socioculturels sont incapables de composer avec une consommation incessante, et où la valeur des identités individuelles et collectives est érodée par la surconsommation, non seulement des commodités de tous les jours, mais aussi de l’information, tant vérifiée que « fabriquée ». À l’ère du post-Web 2.0, les médias sociaux encouragent l’indignation narcissique et créent des chambres d’écho, où les sources ne sont généralement pas remises en question et où les dialogues pluralistes et les points de vue opposés sont réprimés ou sous-représentés. Le manque de points de vue dissidents favorise un affrontement entre une vision solipsiste, selon laquelle l’interprétation de l’individu est la seule réalité possible, et une autre qui se réclame de la justice sociale autour de laquelle se rassemblent des communautés qui délimitent avec virulence la discussion sur un sujet donné et découragent le débat (Venkatesh et al. 2014 ; 2015 ; 2016). Les vidéos de Daech sont le reflet des horreurs de telles chambres d’écho. En effet, elles décrivent avec cruauté des actes de violence perpétrés contre des personnes et des lieux en les accompagnant d’une trame narrative qui justifie la violence par une interprétation sélective des textes religieux. Cette trame comprend des scénarios persuasifs qui décrivent les injustices perçues, ainsi que des citations tirées des Écritures.

Bref, les chambres d’écho des médias sociaux contribuent à promouvoir les messages de haine de Daech dans la mesure où les philosophies solipsistes qui cautionnent cette violence ne font pas l’objet d’un véritable jugement critique. Les partisans de Daech peuvent partager ces vidéos violentes sur des forums où elles ne seront pas remises en question, alors que les détracteurs de Daech propageront un contre-discours dans leurs propres chambres d’écho. L’absence de convergence entre ces messages sur les médias sociaux contribue à leur isolation.

Bien que les vidéos du groupe État islamique auxquelles nous faisons référence dans notre analyse soient diffusées en libre accès sur Internet, il importe de prendre en considération leur réception par divers auditoires, particulièrement en ce qui a trait au sens que les auteurs souhaitent conférer à la violence qu’elles décrivent (Zillman 1998). La conception que fait Baudrillard (1981) de l’hyperréalité[28] s’applique ici, ne serait-ce uniquement parce que la virtualité du moyen de communication peut facilement s’assimiler à l’envergure de la violence décrite (Podoshen et al. 2014 ; 2015a ; 2015b). La transmission de la violence par l’intermédiaire des médias et les moyens utilisés pour transmettre le récit — notamment la narration léchée, la postproduction et le montage, ainsi que la composition d’anachîds adaptés aux différents contextes — incitent l’auditoire à reconsidérer la manière avec laquelle un moyen de communication en ligne arrive à décrire des actes violents dans le cadre d’une trame narrative religieuse plus large.

Dans de nombreuses vidéos qui décrivent la profanation de lieux sacrés, le meurtre de traîtres présumés et la violence extrême à laquelle s’adonnent les membres de Daech, on remarque un recours systématique à une narration dont le rôle central est de décrier les croyances religieuses polythéistes, d’incarner le djihadisme-salafiste et de justifier le recours à la violence et parfois au meurtre pour éliminer les traîtres et éradiquer tout signe matériel de ces religions[29]. Cette narration est mise en parallèle de façon brutale à l’enregistrement virtuel — ou, dans ce cas-ci, numérique — d’assassinats ou de destruction d’infrastructures. L’hyperréalité nous permet de tracer un parallèle entre l’utilisation de la technologie moderne par Daech pour documenter concrètement la destruction de vestiges archéologiques, de lieux de culte, de musées, etc., et les actes de violence infligés à des individus à travers sa représentation virtuelle sous forme d’enregistrements vidéo. La création d’une représentation numérique de la destruction perpétrée par les soldats de Daech se reflète de façon ironique dans la pratique néo-assyrienne consistant à ériger des stèles pour décrire la trame narrative qui justifie les actes violents et militants. Le recours aux anachîds comme principal véhicule musical pour accompagner les images de destruction qui illustrent la trame narrative se reflète dans l’usage des stèles assyriennes. Elles représentaient à la fois les conquêtes et les célébrations musicales auxquelles s’adonnaient autrefois les conquérants assyriens.

Dans une vidéo de près de 10 minutes intitulée « La hache d’Abraham, l’ami intime d’Allah[30] », où le temple de Nabû de l’ancienne ville de Nimrud est détruit et où l’on prône également la destruction des pyramides d’Égypte, le nachîd qui est chanté et utilisé à deux reprises contient les paroles suivantes :

Tu peux choisir de mener la vie que tu veux […] choisir la lumière que tu veux […] j’ai choisi Daech parce qu’il me guide vers la lumière […] Daech m’incite à croire à UN SEUL dieu […] et à détruire le mal, ainsi que toutes les autres religions et tous les autres dieux […] J’ai choisi Daech […] parce que je ne veux pas l’obscurité […] je veux la lumière.

Dans la vidéo du saccage du musée de Mossoul, on voit d’abord un militant, devant un lamassu[31], qui explique pourquoi ces objets, appartenant au passé préislamique de l’Iraq, doivent être détruits[32] :

Le prophète, paix soit sur lui, nous a ordonné de supprimer et de détruire les statues. Comme ses compagnons l’ont fait, après lui, lorsqu’ils conquéraient des pays […] Musulmans, les reliques que vous voyez derrière moi sont des idoles qui étaient vénérées à la place de Dieu dans les siècles passés. Les Assyriens, les Akkadiens et autres vénéraient des dieux de la pluie, des dieux agraires et guerriers autres que Dieu et leur faisaient toute sorte d’offrandes.

Les paroles du nachîd correspondent aux images. En voici quelques extraits :

Le temps est venu de détruire toutes les sculptures […] elles doivent disparaître […] tout comme l’Amérique et ses alliés doivent mourir […] car ce sont des mécréants […] leurs mensonges aussi doivent disparaître […] le temps est venu de nous élever et de surmonter notre douleur, notre colère et nos vies d’opprimés […] Dieu est le plus vertueux de tous […] Dieu est la vérité […] ces sculptures et ces fauteurs de mal méritent l’enfer […] nous devons arrêter le mensonge […] subissez aujourd’hui l’enfer que nous vous montrons […] votre jour est arrivé […].

Une autre vidéo[33], qui montre la destruction du palais d’Aššurnaṣirpal II, débute par un nachîd. Il s’agit en fait d’un hadith chanté : « Dieu qui rend les choses vivantes (qui donne vie) et peut les déposer. Dieu peut créer et peut détruire. Dieu peut tuer ceux qui doivent mourir. Dieu fait et Dieu prend. » Par la suite, un djihadiste explique pourquoi ils vont détruire le palais, où l’on retrouve des représentations de divinités assyriennes. Son discours est sous-titré en anglais : « God has honoured us here in the Islamic State and helped us to destroy anything that used to be worshipped besides God in ancient days. Look at us here, all praise be to God, we are destroying all statues and monuments[34]. » On constate dans les exemples cités ci-dessus que la destruction des statues est un thème récurrent dans les vidéos où Daech s’en prend au patrimoine assyrien. La destruction de ces vestiges du passé préislamique de la région est aussi mise en parallèle avec l’anéantissement souhaité des ennemis de Daech.

Les mécanismes hyperréalistes qui fonctionnent dans ces cas-ci font la lumière sur les tensions entre la véritable horreur vécue par les habitants de la région et l’obstination de Daech à vouloir éliminer physiquement des objets et des lieux préislamiques. Les auditoires virtuels de ces vidéos, notamment les agences gouvernementales — tant en Occident qu’au Moyen-Orient — qui livrent une guerre contre Daech, obtiennent par conséquent un regard unique sur les motifs qui sous-tendent sa philosophie belliciste, ainsi qu’un compte rendu de la destruction infligée.

Grâce à une théorie de la consommation dystopique d’artéfacts culturels associés à la scène musicale métal extrême élaborée par Podoshen et Venkatesh (Podoshen et al. 2014), il est possible d’envisager sous un angle différent la relation entre les producteurs des vidéos de Daech et leurs auditoires, à la lumière de divers facteurs qui influencent les structures narratives et la trame musicale qui les accompagnent. Le concept de dystopie fait référence à l’effondrement des structures sociétales, où le destin ultime des membres est nécessairement sombre. Dans les dystopies, les hiérarchies qui définissent le capital politique, économique ou culturel n’existent plus, et les sociétés y connaissent la plupart du temps une fin désastreuse (Wolin 2006 ; Zaki 1990). Les dystopies sont normalement élaborées à l’opposé des utopies. Les deux constructions, qui résident dans l’imaginaire postmoderne en tant qu’exemples idéalistes de comportements collectifs, améliorent et entravent à la fois le fonctionnement de la société. La notion de dystopie est constamment mise de l’avant par les narrateurs des vidéos du groupe armé, dans la perspective selon laquelle Daech pourra renverser la vapeur et corriger les erreurs par l’entremise d’une guerre sainte qui prône la violence et l’extermination de l’ennemi, musulman ou autre. C’est le cas dans la vidéo « La hache d’Abraham, l’ami intime d’Allah » : « […] ces sculptures ne sont que des rappels de la façon dont [les musulmans] tournent le dos à l’islam [et] partent à la dérive sous l’influence des puissances du mal » ; dans la vidéo de la destruction des artéfacts de Nimrud :

[…] ces gens qui croyaient pouvoir être leaders […] qui s’en sont allés [au loin] pour [parfaire] leur éducation […] pour devenir soi-disant plus civilisés […] aujourd’hui, ils préservent des sculptures qui n’ont d’utilité que de nous montrer le mauvais chemin […] ils sont désormais tous corrompus […] il est temps de suivre la bonne voie […] il est temps de venger ces musulmans et leurs descendants qui se meurent […] il est temps pour nous de revendiquer la victoire ;

et enfin, dans le nachîd accompagnant la vidéo de recrutement des soldats de Daech : « nous allons tomber sur vous tel un ouragan, car nous sommes désormais en colère et réclamons vengeance […] plus jamais nous ne perdrons notre dignité […] ».

Le recours aux médias sociaux et à l’Internet en libre accès pour propager les idéologies de Daech fait en sorte qu’il est possible pour les consommateurs de ces vidéos d’interagir directement avec les producteurs. De fait, dans de nombreux cas d’interaction par l’intermédiaire des médias sociaux, les frontières entre le public consommateur et les personnalités sont généralement floues, que ce soit en politique, dans le domaine du divertissement et dans bien d’autres sphères. En effet, les gens peuvent intervenir, commenter et afficher des réponses dans plusieurs médias en réaction au contenu qu’ils consomment. Dans de nombreux cas, la trame narrative des vidéos se lit comme un fil de conversation entre les soldats de Daech et la population qu’ils disent vouloir protéger, souvent se qualifiant eux-mêmes de « combattants de la liberté ». La trame narrative s’amorce presque tout le temps par une description d’une injustice dont a été victime Daech, puis s’ensuit une justification des actes violents qui ont été posés, illustrés par l’image, avec force détails.

Reportons-nous au modèle de Podoshen et al. (2014). Il existe une variété de processus et de conditions qui contribuent à la consommation des dystopies mises de l’avant par le groupe armé État islamique. Les performances des soldats de Daech qui apparaissent dans les vidéos sont mises en scène et les anachîds sont composés, dans la plupart des cas, expressément pour la vidéo en question ; les producteurs laissent très peu de place à l’improvisation. Les auteurs des tortures, des meurtres et des destructions revêtent l’identité de soldats de Daech. Ils portent souvent des uniformes militaires précis, arborent des drapeaux qui représentent l’État islamique en Iraq et au Levant, et brandissent parfois des armes militaires. Nous postulons que ces identités sont hyperréelles dans la mesure où elles représentent une forme de jeu de rôle indistinct et intemporel, fondé sur des interprétations de textes religieux classiques, accompagné d’une musique de style ancien, mais planté dans un décor assorti de pièces d’équipement militaire moderne. En effet, la violence qui est exercée dans les vidéos est physiquement incarnée par la destruction de sites jugés offensants sur le plan religieux. Un des processus les plus évidents du modèle de Podoshen pouvant être appliqué à la dystopie de Daech est le blasphème. Dans ce cas-ci, les interprétations des textes religieux servent à justifier des gestes violents considérés comme une vengeance à la suite d’actes de guerre infligés à la population. Dans la vidéo où Daech détruit le temple de Nabû et menace de raser les pyramides d’Égypte, la narration débute ainsi :

C’est au moment où les musulmans se sont éloignés de la vraie religion qu’ils ont commencé à se perdre […] Ils se disent civilisés et protecteurs de l’histoire […] ce n’est pas vrai […] ces choses et ces sculptures ne sont que des rappels de la façon dont [les musulmans] tournent le dos à la religion […] à l’islam […] [et] partent à la dérive sous l’influence des puissances du mal […] de ceux qui agissent contre Dieu […] ce qu’ils doivent faire, c’est simplement revenir à Dieu, à la religion […] et à la parole de Dieu.

La notion de signification, qui fait référence à la création ou à l’utilisation de représentations physiques pour promouvoir une idéologie (voir Venkatesh et al. 2015a), est en outre incarnée dans la récupération d’une variété d’objets physiques qui sont utilisés dans la destruction des sites archéologiques, y compris des outils modernes comme des marteaux pneumatiques et des perceuses. Ici encore, les effectifs de Daech révèlent leur affinité avec les technologies de destruction modernes et, du même coup, décident de rendre leurs messages évocateurs d’anciennes formes de châtiment. Quant à la xénophobie — qui compte aussi parmi les processus et les états dystopiques évoqués par Podoshen et al. (2015a) —, elle est considérée comme une peur irrationnelle d’autrui. Les vidéos produites par Daech comportent une certaine trace de ce sentiment, notamment dans leurs prises de position philosophiques, qui se distinguent de celles des puissances militaires occidentales et de celles de plusieurs états musulmans, comme la Jordanie. On pourrait faire valoir, cependant, que les prétentions de Daech à titre de forme « corrective » de salafisme sunnite — où l’on cherche à se réapproprier une version polythéiste à la fois ancienne et modernisée de l’islam et de ses antécédents religieux — fournissent suffisamment de munitions pour générer les conditions dystopiques nécessaires à la création du scénario apocalyptique imaginaire auquel on fait allusion dans ces vidéos[35]. Parmi les principales conditions qui influent sur les processus dystopiques, on trouve les tensions religieuses entre les adeptes des mouvements djihadistes-salafistes d’origine sunnite, en l’occurrence Daech, et leurs contreparties non extrémistes, ou moins extrémistes des dénominations tant sunnites que chiites de l’islam. Comme le décrit la trame narrative et lyrique du nachîd composé pour la vidéo sur la destruction du musée de Mossoul :

Ces sculptures existaient avant l’avènement de l’islam […] avant que l’islam [nous] montre le droit chemin. Ces sculptures ne font que rappeler au peuple l’existence des mécréants. Après tout, ce sont les mécréants qui ont érigé ces sculptures […] et lorsque le messager de Dieu, Mohammed, est venu et a révélé l’existence de l’islam au monde entier […] à ce moment-là, toutes les sculptures ont été détruites. Afin que le peuple suive [les règles de] l’islam. C’est pourquoi […] nous devons les détruire […] Nous devons nous concentrer sur l’islam pour atteindre la lumière et le paradis. Et non sur les déviations du passé.

Conclusion

Même si l’Empire assyrien et Daech ont des objectifs différents, ils utilisent des techniques et des tactiques semblables, voire similaires, dans bien des cas. Dans les deux cas, des gestes violents sont d’abord posés concrètement — destruction de villes (dans le cas des Assyriens), de lieux de cultes, de vestiges archéologiques (dans le cas de Daech), assassinats de masse, ennemis décapités, brûlés vifs, etc. — puis médiatisés, que ce soit par la création de stèles sculptées, de bas-reliefs, ou encore, dans le cas de Daech, de vidéos diffusées sur Internet. La musique et les paroles qui l’accompagnent jouent en effet un rôle dans la médiatisation de la propagande des rois assyriens et celle de Daech. Elle sert à diffuser, à communiquer, à accompagner un message et contribue à instaurer un climat de peur, de terreur, mais aussi à glorifier leurs dieux respectifs. Évidemment, le rôle de la musique et des paroles qui l’accompagnent est ambivalent, en ce sens qu’elles ne sont pas perçues de la même manière dans le camp des vainqueurs que dans celui des vaincus ou des opposants en général. Le message est destiné à différents auditoires en même temps. Les violences et les atrocités commises ont pour but d’intimider, de terroriser, mais aussi de persuader (et de recruter dans le cas de Daech).

En tenant compte des théories associées au thème de la culture de consommation, notre étude démontre qu’en utilisant du matériel multimédia accessible en ligne, Daech brouille les frontières entre producteurs et consommateurs de contenus hyperviolents. Les anachîds — qui, dans la tradition, sont destinés à louanger la religion en misant sur une forme de chant choral singulièrement évocateur — sont récupérés par Daech avec une élégance désarmante pour diffuser une idéologie corrompue axée sur la haine. Notre analyse fait en outre référence à des théories existantes sur la consommation de discours dystopiques et de thèmes apparentés — comme la mort, la destruction et les actes de violence contre d’autres humains — pour montrer comment Daech arrive à justifier, au moyen de représentations visuelles saisissantes, des actes meurtriers, de terreur et de vandalisme. Les thèmes particuliers du blasphème et de la xénophobie sont exploités à fond par les membres de Daech dans leurs campagnes multimédias, alors qu’ils ciblent chez leurs ennemis les croyances religieuses qui, à leur avis, vont à l’encontre de son interprétation salafiste de l’islam. Au lieu de se servir de leurs propres médias sociaux et d’autres campagnes virtuelles pour simplement verbaliser leurs menaces envers ceux et celles qui refusent d’endosser leur idéologie salafiste, les adeptes de Daech choisissent d’utiliser une approche multimédia pour décrire les horreurs de la mort et des actes meurtriers en haute définition, et avec force détails. La production de telles vidéos, où les images sont accompagnées d’anachîds qui donnent l’impression que la consommation de ce type de média est sanctionnée par une autorité religieuse, a vraisemblablement pour effet de susciter un sentiment de puissance chez les terroristes de Daech. Ces vidéos de Daech, avec leur trame musicale parfaitement réalisée, créent un cadre de consommation laissant présager la belligérance et l’évacuation brutale des idéaux humanistes, de sorte à laisser toute la place à une image réifiée et durable de l’horreur, baignée de terreur et de violence.