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Danse et spiritualité[Record]

  • Jean-Sébastien Viard

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  • Jean-Sébastien Viard
    Exégèse néotestamentaire, Université de Montréal (Canada)

Parmi le grand public, en Occident chrétien et postchrétien, la danse n’est pas, d’emblée, associée à la spiritualité. Au plan religieux et anthropologique, on l’associe volontiers au phénomène de la transe extatique : des procédés chamaniques aux partysrave contemporains, en passant par les bacchanales liées au culte de Dionysos. L’idée selon laquelle la danse puisse faire l’objet d’une censure, voire d’un interdit, chez les catholiques et les protestants, est également bien répandue en modernité. Toutefois, si nous faisons un rapide tour d’horizon de l’histoire des rapports entre danse et spiritualité, force est de constater qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Selon certaines traditions grecques, la danse, d’une beauté particulière à cause de ses mouvements harmonieux et rythmés, coordonnés à la musique, serait l’art qui a la plus grande capacité d’influencer l’âme et de fournir l’expressivité nécessaire pour approcher et pour révéler l’insondable. Une vision très similaire peut encore être repérée dans les premiers siècles du christianisme, encore largement sous influence de la pensée grecque. Il en est ainsi dans la Didachè, chez Clément d’Alexandrie, Jean Chrysostome et Grégoire de Naziance. Ce n’est vraiment qu’à la fin du ive siècle, notamment avec Basile et avec Augustin, que l’idée de contrôler et de discipliner les danses sacrées est mise de l’avant, afin de distinguer les danses harmonieuses qui conviennent aux festivals chrétiens des danses frivoles et indécentes (à connotation et à visée sexuelles). Au Moyen Âge, également, existe la célébration de certains événements sacrés (fêtes des saints) au moyen de la danse, mais des initiatives sont prises pour contrôler le rite. La condamnation des danses séculières se fait plus forte dans le bas Moyen Âge et la création de rituels particuliers se poursuit, afin d’encadrer la danse liturgique : certains ordres monastiques mettent en avant la valeur religieuse de la danse, comme les Cisterciens, les Franciscains et les nonnes de Villaceaux. Dans un genre particulier, du xiie au xvie siècles, les danses macabres, inspirées par les sermons des Franciscains et des Dominicains sur la mort, partent des cimetières et forment des processions avertissant les foules et les appelant au repentir. À la Renaissance, sous l’inspiration de Bonaventure et de Dante, se répand l’idée d’une danse paradisiaque qui permet la création de nouvelles danses sacrées en Angleterre, en France et en Provence, tendance aussi perceptible dans les influences picturales (mouvements angéliques et circularité, par exemple, chez Fra Angelico et Botticelli). Il semblerait qu’une rupture se soit produite ensuite, au seuil de la modernité, une éclipse qui perdurera jusqu’à Vatican II, où l’on vit resurgir un intérêt pour la danse liturgique. Du côté des arts modernes, le lien entre la danse et la spiritualité, dans son aspect corporel, est longtemps resté un sujet tabou : jusqu’à l’aube du troisième millénaire, aucun chercheur « sérieux » ne pouvait se permettre de l’explorer. Même si certaines créations artistiques avaient manifestement un thème spirituel, voire sacré, comme celles de Martha Graham, qui emprunta largement au registre biblique (Embattled Garden, Judith), la recherche universitaire en danse demeurait hermétique à ce type d’étude. Or, cette situation vient de se renverser puisque, dans les dernières années, ce sujet de recherche est en progression exponentielle, ainsi que le prouve notamment la création récente (2014) de la revue Dance, Movement and Spiritualities, parallèlement à de multiples publications d’articles et de monographies, telles que Dance, Somatics and Spiritualities (Williamson et al. 2014), regroupant vingt contributions autour des questions du corps, de l’expression corporelle, du mouvement et de la spiritualité. Il nous paraissait intéressant, dans ce contexte, d’explorer les rapports entre danse et spiritualité du …

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