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Pour une culture palliative ?Fragilités et vulnérabilité[Record]

  • Jean-Marc Barreau

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  • Jean-Marc Barreau
    Institut d’études religieuses, Université de Montréal (Canada)

« Le Mouvement moderne des Hospices » (Lamau 2014) a pour genèse l’ouverture du St Christopher’s Hospice, à Sydenham, au sud-est de Londres. Un mouvement qui se démarque par sa rapide croissance ainsi que par son enracinement dans une longue tradition des soins hospitaliers. En effet, en janvier 1975, « le Dr Balfour Mount ouvrait une Unité de Soins palliatifs au Royal VictoriaHospital de Montréal, Québec » quand un premier groupe de professionnels de la santé « fondait à New Haven l’HospiceIncorporatel of Connecticut » (Lamau 2014). Et si en juin 1980, 17 pays participent à l’International Hospice Conference à Londres, au décès de Cicely Saunder, en 2005, les soins palliatifs sont alors pratiqués dans plus de 120 pays (Lamau 2014). Cette rapide expansion doit son succès — deuxième point — à une longue tradition des soins hospitaliers où la réalité qu’ils désignent est antérieure à une dénomination précise (Ricot 2016). C’est le cas par exemple pour la France, où la tradition palliative précède largement la création officielle des soins palliatifs en 1986 par la promulgation d’une circulaire ministérielle (Lamau 2014). Une antériorité qui s’explique notamment par la culture hospitalière que les institutions religieuses ont soigneusement entretenue. De fait, « [leur] souci ne se réduisait pas à préparer les moribonds à une mort chrétienne, mais visait aussi à adoucir les vies des personnes vulnérables et pas nécessairement en fin de vie. On songe ici au rôle de pionnier joué au XIXe siècle [en France] par l’institution Jeanne Garnier » (Ricot 2016, 49). Veuve à l’âge de 24 ans, cette jeune femme fondera l’Oeuvre du Calvaire qui aura pour vocation d’accueillir les déboutés des hôpitaux, parce qu’incurables. Difficile de ne pas voir dans cette tradition un point commun avec la Société Notre-Dame de Montréal que Monsieur Jérôme le Royer de la Dauversière fondait deux siècles auparavant, accréditant une Jeanne Mance jusqu’en Nouvelle-France. Si cet exorde nous rend sensibles à la rapide croissance des soins palliatifs et de « la science palliative » (Barreau 2017), il désigne l’enracinement historique de la culture palliative comme l’une des causes de cette célérité. Distinguée par sa capacité à transcender la dualité entre la sphère séculière et le monde religieux — Jeanne Garnier n’a jamais fondé de congrégation religieuse et Jeanne Mance non plus —, cette culture se démarque surtout par sa capacité à définir une épistémologie de soins très spécifique. Ces soins qui « n’ont pas comme vocation première la guérison d’une pathologie grave risquant d’emporter le malade » (Ricot 2016, 50) se démarquent par un accompagnement holistique de la personne dans toutes ses fragilités. Ceci étant convenu, nous pouvons maintenant indiquer au lecteur quelles perspectives ce numéro de Théologiques annonce par son titre et par son sous-titre. Au risque d’étonner, bien que l’article de Barreau et Cara offre une analyse rigoureuse de ce qu’est la science palliative, « Pour une culture palliative ? » n’a jamais prétendu constituer un traité scientifique ou une synthèse historique précisant ce qu’est la science palliative, ni non plus définir ce qu’est la médecine palliative. La visée de ce numéro de Théologiques est plutôt de mettre à jour la spécificité de la culture palliative, nourricière par capillarité axiologique de l’épistémologie des soins palliatifs. N’est-ce pas là d’ailleurs l’une des constantes incombant à toute démarche scientifique que de nommer et circonscrire chacun des soubassements sémantiques de l’objet analysé ? Ici, nous pensons que cette culture palliative se distingue dans sa capacité à visiter les fragilités humaines jusqu’à les assumer : « Fragilités et vulnérabilité » tel est bien notre sous-titre. C’est donc bien cette …

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