Comptes rendus de lecture

Lavoie, Judith. Mark Twain et la parole noire, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2002, 221 p.[Record]

  • Savoyane Henri-Lepage

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  • Savoyane Henri-Lepage
    Université McGill

Dans cet ouvrage qui a obtenu le Prix du Gouverneur Général en 2002, Judith Lavoie se penche sur les multiples traductions françaises du roman de Mark Twain, Adventures of Huckleberry Finn, publié aux États-Unis en 1885. La première traduction, par William-Little Hughes, sera publiée un an plus tard en France. Il faudra ensuite attendre 1948 pour lire la première retraduction, par Suzanne Nétillard, qui sera suivie de six retraductions. Dans sa thèse de doctorat, Lavoie étudiait toutes les traductions françaises, mais dans cet ouvrage, elle se concentre sur les traductions de Hughes et de Nétillard, tout en dressant de brefs parallèles avec celles de Yolande et René Surleau (1950), d’André Bay (1961), de Lucienne Molitor (1963), de Jean La Gravière (1979), et enfin de Claire Laury (1979). La tâche de Lavoie sera ici de dégager les projets de traduction, qu’elle définit comme un système de choix de traduction actualisés dans le texte, de Hughes et de Nétillard respectivement, après avoir mis au jour les visées mêmes de Twain dans le roman. Le premier des quatre chapitres qui composent cet ouvrage s’intitule « Adventures of Huckleberry Finn : l’ironie comme outil dénonciateur » et propose une lecture du roman de Twain. Pour Lavoie, la principale visée de Twain serait de « dénoncer ou remettre en question la société blanche (esclavagiste) du Sud des États-Unis de la période pré- et post-guerre de Sécession » (p. 19) et son outil de prédilection pour y parvenir résiderait dans l’ironie. La représentation particulière de la parole du personnage de Jim – l’esclave de Miss Watson en fuite avec Huck – est un procédé contribuant à la dénonciation du système esclavagiste. Peu de critiques ayant traité de la parole de Jim, Judith Lavoie tente d’en faire ressortir la double visée : donner un statut littéraire à la parole noire et revendiquer l’humanité de Jim. En effet, son étude met au jour le caractère complexe, multidimensionnel et autonome de Jim en insistant toujours sur son humanité. Le deuxième chapitre, le plus substantiel, s’intitule « William-Little Hughes et Huckleberry Finn : traduire pour aseptiser ». Grâce à un choix judicieux d’exemples, Lavoie démontre que le projet de traduction de Hughes dénote une position idéologique contraire à celle de Twain : « là où l’anglais déstabilisait les idées reçues, le texte français les maintient et les renforce. » (p. 61) Ce nouveau texte résulte d’une série de transformations qui touchent à la narration, à la description et à la composante dialogale. C’est surtout à travers les transformations que Hughes fait subir au personnage de Jim, autant à sa parole, à ses actions qu’à la description qu’en fait le narrateur, que la visée du texte se trouve renversée. En effet, Hughes, au moyen d’ajouts, d’omissions et de déplacements, transforme Jim en un personnage unidimensionnel, soumis, paresseux et incapable de complexité émotive ou d’autonomie, alors que Huck devient un bon petit garçon qui se comporte de façon autoritaire et paternaliste avec Jim. En somme, Lavoie démontre clairement comment le système de choix opéré par William-Little Hughes dans sa traduction contribue à effacer l’humanité de Jim. De plus, les passages traitant de Miss Watson et pap Finn, représentants de la société blanche dans le roman, subissent des transformations significatives. Là où ils étaient dépeints comme hypocrites et violents dans le texte anglais, ils deviennent inoffensifs, voire gentils et moraux dans la traduction. Pour Lavoie, tous ces déplacements sont loin d’être le fruit du hasard, ils forment plutôt un réseau organisé de choix esthétiques et idéologiques : « des morceaux signifiants tombent en place pour former une réelle mosaïque traductive, c’est-à-dire un …