La traductologie, l’université et la politique[Record]

  • Daniel Simeoni

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  • Daniel Simeoni, †

J’aimerais ajouter aujourd’hui ma voix au flot de commentaires qu’a suscité le renvoi, en juin 2002, de deux de nos collègues, Miriam Shlesinger et Gideon Toury, respectivement membres du comité éditorial et éditeur-conseil de The Translator et de Translation Studies Abstracts, deux revues des éditions St. Jerome. Ce renvoi fait partie d’une campagne lancée en réaction à la politique que le gouvernement israélien mène contre la population palestinienne dans les territoires occupés. Je suis venu pour demander que nos collègues retrouvent leurs fonctions. Je le fais en tant que participant au champ de la traductologie. Je ne suis pas le premier à formuler cette demande. Dès le mois de juin, [plusieurs collègues] ont demandé aux personnes responsables de ces renvois de reconsidérer leur geste, mais leurs voix n’ont pas été entendues. Je vais plaider la même cause aujourd’hui, après quelques mois pendant lesquels j’ai pu prendre du recul et consulter l’ensemble du dossier – comprenant les coupures de presse ainsi que la plupart des échanges entre les protagonistes – et effectué mes propres vérifications directement auprès des plus fervents défenseurs du boycottage des universités israéliennes, y compris chez les universitaires israéliens. Ce faisant, je tenterai de montrer ce qu’il risque d’arriver si on laisse les choses suivre « leur cours normal ». Je dois dire que cet exercice, bien que pénible, a aussi été utile en ce qu’il m’a aidé à clarifier ma position et, parfois même sur certains points, à la revoir. Six mois après les faits, je réitère cette position sur la base des deux arguments suivants : 1) Nos collègues ont été victimes non seulement d’un boycottage de toutes les activités culturelles et scientifiques partagées avec les institutions israéliennes (une mesure qui, à l’instar du désinvestissement de fonds universitaires américains en Israël, peut être interprétée, en raison de son impact financier direct, comme une variation sur le thème plus général du boycottage économique, et donc une stratégie qui, à ce titre, pourrait être perçue comme légitime), mais aussi d’une forme plus pernicieuse de boycottage qui recommande l’ostracisme absolu de tous les individus employés par ces institutions, sur la base de leur simple citoyenneté. Pratiquée à l’encontre de nos collègues, cette forme de boycottage n’a aucun fondement intellectuel et s’avère intenable, sur le plan tant logique que moral. Elle reflète, et demeure, une catastrophique erreur de jugement. À ce titre, elle est inadmissible. 2) Si la décision de l’éditrice est maintenue, le champ de la traductologie ne résistera peut-être pas à ce clivage que l’on observe déjà entre ceux qui appuient ce geste et ceux qui s’y opposent – sans aucune collaboration ni aucun compromis possible. Le terme Translation Studies fut cité pour la première fois en lien avec la discipline en devenir, par le poète américain, traducteur de poésie et immigrant amstellodamois James Holmes, dans une communication intitulée « The Name and Nature of Translation Studies ». Holmes cherchait à tracer le territoire de ce qu’il pressentait comme un nouveau champ de recherche doté de versants théoriques et appliqués, un champ entièrement consacré à l’étude des traductions comme textes. Depuis, le nombre de chercheurs actifs dans ce champ a régulièrement augmenté. À l’échelle mondiale, on a monté des programmes de deuxième et troisième cycles, on a soutenu des thèses et créé des revues. Les conférences se sont multipliées et les maisons d’édition ont développé des collections entièrement dédiées à l’étude de la traduction. Non seulement la traduction est-elle devenue un objet d’études spécialisées dans le monde universitaire, mais les disciplines établies ont elles aussi commencé à nourrir un intérêt renouvelé pour le sujet. Par …

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