Comptes rendus

Sergey Tyulenev. Applying Luhmann to Translation Studies. London and New York, Routledge, « Routledge Advances in Translation Studies », 2012, 235 p.[Record]

  • Hélène Buzelin

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  • Hélène Buzelin
    Université de Montréal

Depuis une vingtaine d’années, les études descriptives (DTS) n’ont cessé d’emprunter à la sociologie. Parallèlement à celles de Pierre Bourdieu, d’Anthony Giddens et de Bruno Latour (pour ne citer que quelques noms), les idées de Niklas Luhmann se sont taillé une place grâce aux travaux d’Andreas Poltermann, de Theo Hermans, de Hans Vermeer et, plus récemment, de Sergey Tyulenev. L’objectif du présent ouvrage consiste à appliquer le modèle de Luhmann à la traduction de la façon la plus « exhaustive » et la plus « satisfaisante » qui soit (p. 1), les tentatives précédentes ayant été, selon l’auteur, fragmentaires ou déficientes, car souvent basées sur une mauvaise compréhension de ce modèle. La démonstration ne vise pas uniquement les phénomènes de traduction interlinguistique, mais les trois types de traduction définis par Jakobson, ce qui rend l’entreprise d’autant originale, intéressante et audacieuse. « Luhmann replaces subject-centered reason with systems rationality » (p. 5). En un mot, la théorie des systèmes sociaux (TSS) développée par Luhmann a pour particularité d’envisager le monde social comme un ensemble de systèmes autopoiétiques. Dès l’introduction, l’auteur nous met en garde. La TSS est complexe. Pour autant, cet ouvrage ne cherche pas à la vulgariser ni même à la présenter. Il comprend cependant un glossaire très bien fait des notions clés de cette théorie. Ceux qui ne la connaîtraient pas sont donc invités (et auront intérêt) à consulter au préalable d’autres références. L’essai se compose de deux parties qui s’articulent autour de la notion de système. La première partie pose les jalons. On y explore comment la traduction peut être considérée comme un système social à part entière (c’est-à-dire un système de communication) au même titre que la médecine, le droit, la politique ou l’économie. Selon l’auteur, « there is no doubt, that the history of translation over time is an evolution from a lower degree of organization to a higher degree of organization. Moreover, this evolution is a development from a lower degree of self-organization to a higher degree of self-organization » (p. 36). Dans la foulée, la professionnalisation de la traduction est évoquée comme un signe (parmi d’autres) que la traduction peut être considérée comme un système ou un champ au sens bourdieusien. Après avoir rappelé les arguments opposés, Tyulenev conclut qu’aucun ne pose un obstacle dans la mesure où « translation can be considered as a systemic social phenomenon based on its intrinsic properties […] » (p. 38). Autrement dit, le système renvoyant à lui-même (autoréférentialité) doit être défini en ses propres termes : « The possibility to describe translation as a system means that it is a system. If it were not, it would be impossible to construct translation as a system » (p. 80). Cette première partie s’attache donc à déterminer les particularités dudit système : sa nature, sa fonction, ses propriétés, son code, etc. Ainsi, l’existence d’une réflexion sur la traduction, ou le fait que la traduction soit non seulement une pratique (observation de premier degré), mais aussi un discours sur la pratique (observation de deuxième degré) fournit une preuve qu’elle est bien un système. Ce système serait, par nature, un système de médiation ayant pour fonction d’assurer l’interaction entre chaque système et son environnement ainsi qu’entre les systèmes. Il s’agirait donc d’un « phénomène frontière ». Cette fonction est ce qui différentierait la traduction de tous les autres systèmes sociaux. Par ailleurs, comme tout système social, celui de la traduction se composerait d’événements de communication, mais ceux-ci auraient pour spécificité de faire intervenir non pas deux, mais trois parties. Autre propriété importante : la traduction requerrait deux côtés de valeur égale. …

Appendices