Comptes rendus

Michelle Woods. Censoring Translation: Censorship, Theatre, and the Politics of Translation. Londres et New York, Continuum, 2012, 175 p.[Record]

  • Nicole Nolette

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  • Nicole Nolette
    Université McGill

Woods file un argument tout en nuances autour de la censure et de l’oeuvre théâtrale de Havel, en commençant par l’inscription de la censure à même l’écriture de cet auteur dramatique. Selon elle, cette écriture déploie une interrogation existentielle sur la censure, une réaction artistique à celle-ci plutôt qu’une attaque politique directe. Les pièces de Havel interpellent les spectateurs par une poétique particulière alliant style prolixe, répétitions et absurdismes, une poétique qui ne vise pas l’allégorie du style de communication du régime communiste, mais qui critique la construction de toute réalité par le langage. Woods, suivant la traductologue autrichienne Mandana Taban, nomme « analogical translation » cette réaction artistique aux conditions de la censure, « a mode of translation that is not an encoding of secret political messages as subtext but that secretly translates the conditions of censorship into an artistic text in order to investigate and explore the modality of censorship » (p. 41). Elle continue son exploration de la censure en étudiant ce qu’on a le plus souvent tendance à associer à cette dernière, c’est-à-dire les pratiques d’un régime totalitaire. En Tchécoslovaquie, ces pratiques, assurées par une agence d’État littéraire et théâtrale, Divadelní, literární, audovizuální agentura (DILIA), se dirigeaient non pas vers l’interférence textuelle, comme on aurait pu s’y attendre, mais vers la diffusion des textes (contrats et salaires révoqués, retards dans la bureaucratie). Woods éclaire admirablement l’ambivalence autour de ces pratiques : d’un côté, l’agence compliquait la libre circulation de l’oeuvre de Havel; de l’autre, elle souhaitait ardemment faire rayonner les traductions vers l’anglais au Royaume-Uni et aux États-Unis afin d’augmenter le prestige et le revenu du régime. Autre paradoxe : la DILIA n’interférait pas dans les textes de Havel (même si elle y interdisait l’accès en Tchécoslovaquie), alors que les intervenants des milieux théâtraux au Royaume-Uni et aux États-Unis exerçaient constamment des pressions pour que les traductions de ces textes soient retranchées ou adaptées. Le récit que construit Woods autour des traductions de l’oeuvre de Havel pour les scènes anglophones renverse habilement l’idée reçue qui situe la censure dans les pays de l’Est en lui opposant la liberté d’expression des pays de l’Ouest. Elle place ainsi l’Ouest devant ses propres mécanismes de « covert censorship » (p. 41) et de « market censorship » (p. 124). La critique de Woods à l’égard de l’Ouest est sévère : on s’est approprié l’oeuvre théâtrale de Havel en la réduisant à un objet politique pour lequel on pourrait vendre des billets de théâtre. En outre, les productions américaines du théâtre de Havel misaient sur celui-ci comme objet de censure en Tchécoslovaquie pour entériner la dichotomie simpliste faisant de l’Ouest le lieu de la liberté et l’Est celui de la répression. De surcroît, en conformité avec les lois du marché, la censure tacite du monde anglo-américain s’est effectuée à des fins économiques plutôt qu’idéologiques : « censored theatre, seditious elsewhere, is sexy and it sells » (p. 131). Woods déplie toutes les couches de cette marchandisation de l’Est censuré dans les spectacles de Havel en traduction en citant des programmes de spectacles, des témoignages de metteurs en scène et de producteurs de théâtre, des critiques américains et une correspondance abondante entre Havel et sa traductrice, Vera Blackwell. On voit bien l’incompréhension entre, d’un côté, l’auteur et la traductrice tchèques, et de l’autre, les producteurs de théâtre, metteurs en scène et critiques anglo-américains. Les premiers tentaient de faire comprendre aux derniers que plus on insistait sur le courage politique de Havel (ce qui vendait des billets de théâtre dans l’Ouest, mais qui ne transparaît pas dans le style de l’auteur), plus …