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Comme son titre l’indique, l’ouvrage, constitué de quinze textes réunis par Michel Ballard, porte sur la place de la traductologie à l’université et de sa relation à l’enseignement de la traduction. Y sont présentées, sous forme d’articles, les communications de seize participants au colloque tenu les 15 et 16 février 2007 à l’Université d’Artois dans le cadre des activités de recherche « Textes et Cultures ». La problématique du colloque s’articulait autour de quatre grandes questions : « Pourquoi faire de la traduction à l’université? », « Comment la traduction est-elle enseignée? », « Peut-on optimiser cet enseignement? » et « Quelles sont les finalités du cours de traduction dans l’institution universitaire? ».

Rédigés tantôt par des professeurs de traduction, tantôt par des praticiens qui enseignent la traduction, les textes parlent tous du rôle central que joue la traductologie dans les universités françaises, qu’il s’agisse de cours de traduction dite « pédagogique » (ou didactique) ou encore de traduction « professionnelle », selon la dichotomie classique. Alors que certains présentent le résultat de recherches menées dans le domaine, d’autres exposent le fruit de leur expérience en tant que praticiens enseignant la traduction. Devant l’impossibilité de faire la synthèse de tous les textes présentés, nous avons choisi d’en résumer neuf de manière à donner au lecteur un bon aperçu du contenu et de l’orientation de l’ouvrage.

Conscient qu’il ne faut certes pas assimiler l’enseignement de la grammaire à l’enseignement de la traduction et que l’opération traduisante est loin d’être une opération strictement linguistique, John Gallagher pose deux questions relatives au lien entre grammaire et traduction : « Comment peut-on enseigner la grammaire aux apprentis traducteurs? » et « Faut-il privilégier un modèle grammatical au détriment des autres? ». Exemples à l’appui, il examine six modèles grammaticaux (ou linguistiques) – grammaire de dépendance, modèle hudsonien, grammaire générative transformationnelle, grammaire fonctionnelle de Halliday, grammaire constructionnelle, pattern grammar – en illustrant, pour chacun, les possibilités d’utilisation pour la traductologie.

Corinne Wecksteen propose pour sa part une réflexion sur l’optimisation de l’enseignement de la traduction dans les universités françaises en déplorant d’emblée que, dans la plupart des écoles, cet enseignement ne repose sur aucune base méthodologique, sur aucun cadre structuré. Forte de son expérience à l’Université d’Artois, elle examine de quelle manière l’intégration de la traductologie au cursus a permis d’optimiser son enseignement. Pour ce faire, elle offre de nombreux exemples qui lui ont au fil des années permis de mettre à profit les acquis de la traductologie qui, à son sens, assoit l’enseignement de la traduction. Elle insiste sur le fait que le propre de l’enseignement universitaire – tout comme de la traductologie – est précisément d’amener les étudiants à réfléchir et à développer l’esprit critique, d’où l’importance d’accorder à la traductologie une véritable place au sein des universités.

Dans son article, Michel Ballard traite de la traductologie « comme révélateur : en tant que démarche réflexive, personnelle, collective, acceptée ou non par les diverses institutions susceptibles de l’intégrer » (p. 10). Il propose une théorisation traductologique fondée sur l’observation de la réalité de la traduction, soit les travaux des traducteurs, en insistant sur le signe, la syntagmatique, puis la construction de l’énoncé. Il montre que la traductologie révèle somme toute ce qu’est la traduction, à savoir une opération complexe qui dépasse largement la linguistique contrastive. D’où la place de premier choix qu’elle devrait selon lui occuper dans les cursus universitaires.

Delphine Chartier propose quant à elle une réflexion sur les tensions qui existent dans les universités françaises entre les deux conceptions de l’activité traduisante, soit la version (ou traduction didactique) et la traduction (ou traduction professionnelle). Du fait que les finalités de la version et de la traduction (au sens où l’entend l’auteure) ne sont pas les mêmes, chacune des opérations appelle une différente évaluation de la qualité, évaluation qui, à son tour, détermine les pratiques d’enseignement en amont. Critique de certaines pratiques qui résultent d’une conception trop étroite de la traduction, elle donne un aperçu, exemples à l’appui, des techniques dont elle se sert pour intégrer les principes traductologiques à son enseignement.

Dans son article, Lucie Gournay postule que les cours de version, dont les fonctions et objectifs sont multiples, devraient faire une plus grande place à l’examen des difficultés de l’expression écrite. Après avoir défini les trois types de problèmes rédactionnels les plus fréquemment rencontrés dans ses cours initiaux de version (lacunes en grammaire et en syntaxe, manque de reconnaissance des tournures idiomatiques en français, méconnaissance des stratégies narratives et des spécificités discursives du texte), elle présente les techniques auxquelles elle a recours pour construire ses cours, l’objectif étant de permettre aux étudiants de mieux s’affranchir du texte de départ et d’affiner leurs compétences linguistiques.

De l’avis d’Astrid Guillaume, la clé de voûte d’une Union européenne ouverte à la diversité linguistique est la traduction. Après un examen du statut de la traductologie dans les universités françaises, elle conclut à une « inadéquation du contenu de certaines formations par rapport aux objectifs visés in fine, ajoutée à un problème fondamental lié à la (non-)formation en traductologie des enseignants qui assurent les cours de traduction » (p. 152). Convaincue que la traductologie et la pratique de la traduction jouent un rôle on ne peut plus capital dans le maintien et la promotion d’une Europe plurilingue et diversifiée, elle somme les universités françaises de mettre les moyens – humains, technologiques et financiers – nécessaires pour relever ce défi.

Dans son texte, Claude Boquet commence par dresser un bilan de l’enseignement de la traduction en Europe pour ensuite décrire la rupture qui s’est opérée dans l’enseignement de la traduction dans les universités par suite de la mise sur pied d’instituts d’enseignement professionnel dans les années 1940. Il montre bien que, malgré la théorisation insuffisante et la résistance à la théorisation dans les cours pratiques de traduction dont on témoignait à l’époque, les praticiens qui enseignaient la traduction ont été obligés, par la force des choses, à synthétiser leur expérience pour la transmettre. Il s’agit là d’une situation quelque peu paradoxale en ce sens que, comme l’explique bien l’auteur, « nul n’a jamais transmis son expérience elle-même, mais tout au plus les principes qu’il en a tirés. Tirer de tels principes de son expérience, c’est le début d’une théorie, de cette théorisation que ces praticiens refusaient pourtant » (p. 175). C’est ce qui l’amène à insister sur la nécessité de la traductologie à l’université en invoquant le besoin d’une épistémologie de la traductologie et d’un enseignement de la traduction fondé sur le retour par déduction des acquis de la traductologie : « On ne pourra plus continuer à permettre aux traducteurs et traductologues de s’ignorer, chacun restant dans son domaine propre, car si à l’avenir la pratique de la traduction continue à nourrir la réflexion scientifique de la traduction, la traductologie sera appelée de plus en plus à lui fournir par le retour déductif de sa théorisation une bonne partie de ce qui sera nécessaire à la pratique et à l’enseignement de la traduction » (p. 182).

La contribution de Nicolas Froeliger a ceci de particulier qu’elle relate l’expérience d’un praticien de la traduction devenu enseignant de traduction et de traductologie, puis responsable d’un master professionnel de traduction. Froeliger s’interroge d’abord sur les barrières que l’on érige entre l’enseignement, la recherche et la pratique de la traduction et, par la suite, sur le statut des enseignants de traduction, à savoir les vacataires, les professeurs d’université et les professeurs associés. S’ensuit une réflexion sur l’enseignement de la traduction dans une optique professionnelle, enseignement qui, à son sens, doit s’appuyer sur des cours de méthodologie de la traduction, l’objectif étant de former non pas des traducteurs spécialisés, mais bien des spécialistes de la traduction qui sauront évoluer avec la discipline tout en s’adaptant aux besoins du marché de la traduction.

Le dernier article retenu, signé par Bernd Stefanink et Iona Bălăcescu, porte sur une question plus complexe, la créativité, aspect qui, comme l’affirme Ballard, « apparaît souvent comme la limite contre laquelle la théorisation et l’analyse viennent buter » (p. 16). Les auteurs exposent clairement leur approche, expérimentale et largement cognitive, en insistant sur le fait qu’il importe d’« armer » le traducteur pour qu’il puisse légitimer ses solutions créatives, ce qui ne peut se faire sans un enseignement théorique cohérent. Est encore souligné le rôle essentiel que joue la traductologie dans l’enseignement universitaire.

Parmi les autres contributions on compte celles de Jean-Christophe Jolivet, Frédéric Weinmann, Sabrina Baldo, Catherine Boquet, Mathilde Fontanet et Guillaume Jeanmaire. Il faut préciser que les articles sont suivis de la transcription de la table ronde qui a clôturé le colloque et qui a permis aux intervenants de revenir sur un certain nombre de questions.

Dans l’ensemble, ce qui ressort de cet ouvrage, c’est un désir de faire une plus large place à la traductologie dans l’enseignement universitaire et de mieux en saisir les retombées didactiques. Les interventions montrent qu’il semble y avoir un réel désir de rapprocher pratique et théorie, la théorie étant encore perçue par bien des praticiens – et certains enseignants de traduction – comme « superflue » ou encore trop « universitaire » et donc inutile. C’est ainsi que l’ouvrage saura intéresser non seulement les universitaires, c’est-à-dire ceux qui font de la recherche dans le domaine de la traduction et qui croient donc à la pertinence de la traductologie, mais également les praticiens chargés d’enseigner la traduction, c’est-à-dire les chargés de cours (ou les « vacataires ») qui, parfois réfractaires à l’intégration de principes théoriques aux cours qu’ils dispensent ou encore mal outillés pour le faire, pourraient grandement bénéficier des contributions que réunit ce volume. Cela est d’autant plus vrai que les chargés de cours, du moins dans les programmes professionnels des universités canadiennes, sont appelés à donner bon nombre de cours pratiques, tant en traduction générale et spécialisée que dans les disciplines connexes. Les témoignages présentés dans cet ouvrage servent justement à illustrer que, d’une part, la traductologie doit faire partie intégrante des cursus universitaires et, d’autre part, qu’il est possible de le faire.