Comptes rendus

Tania Demetriou and Rowan Tomlinson, eds. The Culture of Translation in Early Modern England and France, 1500-1660. London, Palgrave Macmillan, 2015, xii, 231 p.[Record]

  • Marie-Alice Belle

…more information

  • Marie-Alice Belle
    Université de Montréal

Depuis les travaux fondateurs de Susan Bassnett et André Lefevere dans les années 1990, les études de la Renaissance ont graduellement incorporé l’idée d’une approche « culturelle » du phénomène de la traduction, c’est-à-dire s’étendant au-delà d’une considération purement linguistique du traduire pour mettre en valeur les éléments de contexte politique, idéologique, social ou matériel qui motivent et conditionnent les activités des traducteurs dans un système d’accueil donné (voir Bassnett et Lefevere, 1998; Burke, 2007). Plus récemment, cette attention renouvelée envers les aspects « culturels » de la traduction a inspiré plusieurs chercheurs à dépasser les frontières nationales traditionnellement assignées à leur domaine d’étude et à considérer les activités de traduction à la Renaissance dans un contexte d’échanges et de transferts culturels transnationaux (voir en particulier Coldiron, 2015 et Boutcher, 2016). C’est dans cette double perspective que s’inscrit le collectif dirigé par Tania Demetriou et Rowan Tomlinson, The Culture of Translation in Early Modern England and France, 1500-1660. Ces objectifs sont clairement établis dès l’introduction, où les directrices du volume soulignent que les « interactions » entre les cultures françaises et anglaises de la traduction ont été étonnamment peu explorées. Alors que les deux pays sont marqués par des traditions littéraires et traductologiques distinctes, ils partagent aussi un certain nombre de préoccupations communes, et sont liés tout au long de la période par des liens politiques, commerciaux, intellectuels et religieux privilégiés – liens que les mouvements de traduction entre la France et l’Angleterre mettent singulièrement en lumière. La structure de l’ouvrage, où alternent les essais sur chacun des pays, permet de prolonger la comparaison esquissée dans l’introduction; elle invite aussi à l’exploration des échanges textuels et intellectuels qui marquent le passage outre-Manche de textes-clés de l’humanisme français, tels le Tiers-Livre de Rabelais, les traités de Philippe de Mornay et les tragédies de Robert Garnier, les dictionnaires d’Henri Estienne ou encore les Essais de Montaigne. Le premier chapitre, par Warren Boutcher, explore les soubassements théoriques d’une approche « culturelle » de la traduction, en insistant en particulier sur la nécessité de combiner analyse textuelle comparative et recherche contextuelle, et de se pencher sur les domaines non littéraires traditionnellement négligés par la critique. Il propose aussi d’élargir l’étude des transferts culturels associés à la traduction pour y inclure, non seulement les modalités écrites de la traduction, mais aussi les questions reliées à la circulation matérielle des textes et aux relations de sociabilité et de mécénat qui jouent un rôle déterminant dans la « culture de la traduction » (culture of translation) de la Renaissance. Les enjeux idéologiques et politiques de l’acte de traduction sont au coeur de l’article de Glynn P. Norton, qui retrace les méandres du procès intenté en 1530 par la Faculté de Théologie de la Sorbonne contre les « lecteurs royaux » nommés par François Ier pour enseigner le grec et l’hébreu bibliques. À travers l’opposition idéologique et institutionnelle ouvertement manifestée par la Faculté se révèle une insécurité fondamentale envers la multiplicité des lectures et des interprétations impliquées par la répétition, dans un contexte pédagogique officiel, de l’acte interprétatif. Ainsi se voit soulignée la dimension potentiellement subversive de l’acte de traduction, qui vient remettre en cause une conception unitaire de la langue, du texte, et de l’autorité politique et religieuse. Le pouvoir de régénération de la traduction est aussi souligné par Neil Rhodes, qui s’intéresse à son tour à l’étude du grec, mais cette fois chez les humanistes anglais. En soulignant la place du grec – et en particulier des dialogues de Lucien – dans la culture pédagogique humaniste, il montre comment, à travers des projets …

Appendices