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Le 8 avril 1874, plusieurs décennies avant l’ouverture du fleuve Saint-Laurent à la navigation hivernale, un journaliste du Constitutionnel de Trois-Rivières écrit : « Quand aurons-nous la navigation? […] C’est ce qui donne la vie à notre ville. En hiver, nous sommes relégués en quelque sorte en dehors du monde civilisé. » (p. 35) L’importance du port dans la socioéconomie trifluvienne et mauricienne, évoquée dans ces quelques mots, est mise en relief dans cette monographie signée par Martin Gauthier. Ce dernier retrace l’évolution des installations, de la structure administrative et des activités commerciales, industrielles et populaires au port de Trois-Rivières depuis la Nouvelle-France jusqu’à nos jours. Il a mis à profit pour ce faire les archives du port, les journaux locaux, la base de données en histoire régionale de la Mauricie du Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ) ainsi que les résultats d’entretiens menés avec divers intervenants et anciens employés du port.

Cet ouvrage richement illustré – son format large permet d’ailleurs une mise en valeur optimale du matériel iconographique – est destiné à un large public. Le bilan historiographique et la description des stratégies méthodologiques adoptées sont notamment absents. L’introduction prend la forme d’un premier chapitre de contenu où Gauthier, après un paragraphe portant sur les activités portuaires en Nouvelle-France, explique comment l’essor de la navigation à vapeur au début du 19e siècle a mené à la construction des premiers quais à Trois-Rivières. Cinq chapitres constitués selon une trame chronologique suivent l’introduction. En l’absence de paragraphes liminaires présentant le contenu de chacun d’entre eux, il est difficile pour le lecteur de se faire une idée précise des visées de l’auteur.

Le premier chapitre fait état des démarches visant à mettre en place une structure publique de gestion des infrastructures portuaires à partir des années 1870. La nécessité d’une intégration cohérente de celles-ci au réseau ferroviaire (Trois-Rivières est reliée par rail à Québec en 1879 et à Montréal en 1880) est notamment soulignée par les défenseurs d’une telle structure. La création de la Commission du havre de Trois-Rivières par le gouvernement fédéral en 1882 mène à de rapides travaux d’amélioration et d’agrandissement, que Gauthier décrit aux premier et deuxième chapitres. Ce second chapitre présente également l’éventail des activités populaires prenant place sur les quais aux 19e et 20e siècles : promenades, cirques, marché aux poissons, puisage d’eau, rejet des déchets dans le fleuve, etc. Gauthier relate l’évolution des services de traversée (pont de glace, traversiers, etc.) permettant la circulation des personnes et des biens de part et d’autre du Saint-Laurent. Il se penche par la suite sur l’exportation du bois et l’importation de charbon, les deux principaux domaines d’activité industrielle au port au 19e siècle.

L’extension du réseau ferroviaire, l’émergence de l’industrie lourde mauricienne (pâtes et papiers, électrochimie, etc.) de même que le déploiement des infrastructures de transport d’électricité à haute tension stimulent considérablement le développement de Trois-Rivières et de son port au tournant du 20e siècle. Cet essor est au coeur du troisième chapitre. Au cours des années 1920, Trois-Rivières devient la capitale mondiale du papier journal. Le port est alors l’un des principaux lieux de transit du papier en Amérique du Nord ; son trafic global supplante même momentanément celui du port de Québec au 2e rang québécois. L’expansion des infrastructures portuaires se poursuit; les travaux menés entre 1882 et 1935 font au total passer la longueur des quais de 183 à 2568 mètres. La lecture de L’histoire du port de Trois-Rivières soulève à ce titre l’intérêt d’examiner plus en profondeur l’impact de l’expansion des infrastructures portuaires sur la physionomie des villes de même que la cohabitation des activités portuaires et des populations locales dans une perspective d’histoire environnementale. Par ailleurs, Gauthier fait état dans le troisième chapitre de la réforme des ports canadiens de 1936, marquée par une diminution des pouvoirs décisionnels des autorités portuaires locales. Il fait le suivi des transformations de cette structure administrative dans les chapitres suivants. Il est à noter que l’auteur semble faire preuve d’une certaine complaisance au sujet des gestionnaires du port, soulignant à divers endroits la qualité de leur travail sans en faire l’analyse critique. La présence d’une préface signée par des représentants de l’Administration portuaire de Trois-Rivières n’est peut-être pas étrangère à ce fait.

Le quatrième chapitre lève le voile sur l’essor de l’« ère » (p. 89) du grain au port de Trois-Rivières durant les années 1930. Cette ère est notamment marquée par l’ouverture de la Voie maritime du Saint-Laurent en 1959, qui stimule les activités du port en la matière. Gauthier relate dans ce même chapitre l’effritement des activités populaires au port à partir des années 1960 dans un contexte de forte présence de l’industrie lourde, d’utilisation grandissante de l’automobile et de multiplication des lieux de divertissement et de consommation en périphérie du centre-ville. Il décrit également les efforts visant à refaire du port un espace public fréquenté et apprécié par les Trifluviens à la fin des années 1980. Enfin, le dernier chapitre porte sur l’impact des difficultés des secteurs des pâtes et papiers et du grain sur les activités du port au cours des années 1980 et 1990, ainsi que sur les travaux de conversion et d’amélioration des installations visant à s’adapter aux nouvelles réalités des marchés.

Gauthier montre bien à quel point le port fut intimement lié au développement de Trois-Rivières et de la Mauricie. Si la présence d’installations portuaires d’envergure alimenta l’industrialisation de la ville et de la région, la diversification et l’intensification des activités commerciales et industrielles trifluviennes et mauriciennes stimulèrent en retour la croissance du port. Il aurait été pertinent à ce titre d’accroître la perspective comparative avec les ports de Québec, de Montréal ou de villes québécoises et canadiennes de taille comparable et de mieux préciser l’impact de la croissance du réseau ferroviaire et du transport par camion sur les activités portuaires. Gauthier contribue néanmoins par cet ouvrage à l’amélioration de la compréhension des rapports entre infrastructures de transport, croissance urbaine et vie urbaine.