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Montréal est connue comme ville où l’eau a depuis toujours joué un rôle central. Plusieurs travaux, notamment des historiens et géographes, ont signalé l’importance de l’hydrologie montréalaise depuis le XIXe siècle. Dans cet ouvrage, Michèle Dagenais réussit à nous présenter bien plus que l’histoire environnementale de l’eau à Montréal, comme nous annonce le titre. L’auteure nous explique comment l’eau a influencé le processus d’urbanisation de Montréal et comment les rapports entre les Montréalais et l’eau ont évolué au cours des deux cents dernières années. Dagenais prend pour objet d’étude la dimension environnementale soit hydrologique pour nous raconter l’histoire urbaine de cette ville insulaire. En effet, c’est la transformation de la ville, de la région et du paysage de Montréal qui sont au coeur de ce livre très bien documenté. L’ouvrage analyse l’histoire de l’aménagement des eaux, spécialement du fleuve Saint-Laurent et de la rivière des Prairies, pour nous raconter une histoire d’urbanisation.

Michèle Dagenais utilise l’angle d’analyse historique qui nous est présenté à partir d’une structure quasi-chronologique divisée en sept chapitres. Chacun des chapitres s’ouvre sur un bref résumé qui synthétise les objectifs et les conclusions majeurs, ce qui rend les liens temporels plus faciles à suivre. Le premier chapitre couvre les grands travaux historiques et géographiques publiés sur Montréal aux XIXe et XXe siècles. Ce chapitre est structuré en cinq périodes historiques: le début et la fin du XIXe siècle, les années 1920-1940, les années 1960-1990 et la fin du XXe siècle. Il nous présente des références scientifiques remarquables sur la centralité des cours d’eau dans la formation du territoire urbain montréalais en examinant l’évolution de Montréal comme espace urbain et insulaire. Le deuxième chapitre suit cette dynamique analytique pour examiner la redéfinition des frontières de la ville et ses rapports avec les eaux. Au XIXe siècle, l’eau est un élément quelques fois négatif puisqu’elle est insalubre et elle devient donc une menace à la santé de la population, mais également positif puisqu’elle est une ressource essentielle à la circulation et au développement socioéconomique de la ville.

Du troisième au sixième chapitre, l’histoire des eaux montréalaises reprend d’avantage l’histoire du Saint-Laurent. En effet, le fleuve nous est présenté comme l’acteur principal des transformations urbaines. Il est vu parfois comme instrument du développement économique, parfois comme ressource naturelle essentielle à la santé humaine. La construction de la ville portuaire s’est faite grâce à la circulation des marchandises, des capitaux et des travailleurs à travers le Saint-Laurent. Le fleuve devient donc un instrument qui favorise l’industrialisation et l’urbanisation de Montréal. La vision de la ville sanitaire émerge dans cette période de forte urbanisation guidée, au XIXe siècle, par les ingénieurs et, au début du XXe siècle, par les médecins. Le développement urbain intensif apporte des problèmes environnementaux tels que l’inondation des berges et la pollution hydrique par le manque d’assainissement, problèmes qui deviennent objet de stratégies de santé publique. Le changement du rapport à l’eau se fait au moment où l’eau est perçue et utilisée comme ressource essentielle à la vie humaine et au développement socioéconomique de la ville de Montréal. C’est pourquoi, l’ordre du jour devient l’approvisionnement en eau potable ainsi que l’expansion de la couverture des services d’assainissement. L’expansion urbaine de Montréal depuis la fin du XIXe siècle s’est faite grâce à l’extension du réseau hydrique ainsi qu’à l’augmentation de la capacité énergétique. L’ouvrage développe également les questions liées à l’intégration de la rivière des Prairies au réseau maritime du Saint-Laurent et aux conflits socio-environnementaux concernant la construction de barrages hydroélectrique sur le réseau. Après la Deuxième Guerre mondiale, la densification résidentielle de la ville transforme le territoire et produit une nouvelle échelle géographique : la région de Montréal. L’expansion des frontières se fait sentir aussi par l’intensification des échanges commerciaux notamment entre le Canada et les États-Unis à travers le Saint-Laurent. En effet, on assiste à la deuxième transformation du fleuve. Si auparavant le Saint-Laurent était un instrument du développement socioéconomique de Montréal, il est devenu un instrument du développement économique à l’échelle nationale. Au cours des années 1970, on assiste à la naissance des enquêtes sur l’état des eaux du Saint-Laurent ainsi qu’à celle des mouvements pour sa reconstruction écologique. Les eaux sont vues comme ressources naturelles à protéger. C’est pourquoi le gouvernement s’attaque à la mitigation des problèmes environnementaux en faveur de la construction d’une « culture de l’eau » qui va au delà de l’approvisionnement en eau potable et de la commercialisation de la voie maritime. Cette période, qui va jusqu’aux années 2000, est marquée par la tentative de réhabiliter le caractère récréatif du Saint-Laurent. Pour terminer, l’auteure souligne l’originalité de cette étude qui a exploré les changements dans les « formes qu’a prise la présence de l’eau dans le paysage montréalais » au fil du temps (p. 230).

Cet ouvrage constitue une référence incontournable pour mieux saisir la place de l’eau dans l’évolution du paysage à Montréal d’hier à aujourd’hui, en nous donnant des pistes pour les transformations à venir. Même si la dimension épistémologique des représentations et de l’imaginaire social sur les eaux urbaines n’est pas clairement abordée, Michèle Dagenais nous indique des pistes pour de futures études. Le livre est très agréable à lire. On y trouve plusieurs photos et cartes historiques, une bibliographie bien organisée par type et un index. Cet ouvrage permet donc au lecteur de mieux comprendre les liens intrinsèques entre l’eau et l’urbanisation dans le cadre montréalais.