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L’historiographie de la vie quotidienne dans les quartiers populaires du Québec s’enrichit de trois nouvelles publications. Le premier ouvrage est dirigé par l’historienne et muséologue Catherine Charlebois et par l’historien professeur à l’Université du Québec à Montréal Paul-André Linteau. Il s’intéresse à trois quartiers disparus de Montréal, le Red Light, le Faubourg à M’Lasse et Goose Village, dont la population a été expropriée dans le cadre de la modernisation urbaine des années 1950-1960. Issu de l’exposition Quartiers disparus du Centre d’histoire de Montréal (2011-2013), il témoigne de la destruction de « pans entiers du patrimoine bâti de la métropole » (p. 21) au nom du progrès, et cherche à en faire revivre la mémoire. Le recueil est composé de 121 photographies provenant des Archives de Montréal, accompagnées d’extraits d’entrevues réalisées avec des personnes ayant vécu dans ces quartiers, des intervenants et intervenantes de l’époque, ainsi que des experts et expertes. Basé sur une collection exceptionnelle de photographies prises essentiellement par les fonctionnaires de la Ville de Montréal qui devaient documenter l’opération d’expropriation et de destruction de ces quartiers, l’ouvrage met en lumière des milieux de vie marqués par la pauvreté, mais aussi par des rapports intenses avec le voisinage et les commerces de quartier. La première partie s’ouvre avec une présentation de l’ouvrage écrite par le comité de codirection du projet et une brève mise en contexte de Linteau. Un texte de l’historien et archiviste Mario Robert suit, dans lequel il explique le contexte de production du corpus photographique à la base de l’ouvrage. Elle se termine avec la contribution de Jean-François Leclerc, historien, muséologue et directeur du Centre d’histoire de Montréal, où il livre le contexte de création de l’exposition Quartiers disparus. Les trois chapitres de la seconde et principale partie portent successivement sur les trois quartiers, présentés dans l’ordre chronologique de leur disparition. Une carte de Montréal datant de 1931 permet de bien les localiser dans l’espace. Chacun des chapitres débute avec une brève introduction de Linteau, qui situe notamment les limites géographiques du quartier et traite des données démographiques de la population y habitant. Les deux chapitres suivants composent la troisième partie. « Montréal sans dessus dessous » met en lumière la lutte aux taudis par la Ville, présentée à travers les photographies de démolition et de ruines des trois quartiers populaires. Le dernier chapitre quant à lui aborde la rénovation urbaine, révélée par des photographies des différents projets d’envergure et des principaux acteurs de cette transformation urbaine (élus, urbanistes). L’ouvrage se termine par une réflexion critique sur l’expérience de l’expropriation et de démolition à des fins de modernisation urbaine, qui émerge à la fois de commentaires formulés par les principaux acteurs sociaux (anciens résidents comme spécialistes) et d’une conclusion écrite par Linteau et Charlebois. Il s’agit d’un ouvrage remarquable, très beau visuellement et bien documenté, qui permet d’éclairer les dessous de la modernisation urbaine.

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Le deuxième ouvrage recensé est écrit par l’architecte, historien et spécialiste des quartiers ouvriers montréalais Gilles Lauzon. Il aborde l’histoire de Pointe-Saint-Charles à l’heure de l’industrialisation et de l’urbanisation (1840-1930), en suivant les trajectoires de trois familles y ayant vécu. L’auteur cherche à mettre en lumière « cette histoire complexe et fascinante en abordant le point de vue de ceux qui l’ont vécue au jour le jour » (p. 8). Très bien situé dans son contexte historiographique, cet ouvrage représente un nouvel apport en histoire ouvrière montréalaise, un croisement inédit de l’histoire sociale, urbaine et architecturale avec des parcours familiaux. En effet, trois familles de Pointe-Saint-Charles issues des principaux groupes culturels du quartier (presbytériens d’origine écossaise, catholiques d’origine irlandaise et catholiques canadiens-français) sont suivies sur deux générations par l’auteur, ce qui constitue l’originalité principale de cet ouvrage. L’analyse est basée sur un ensemble de sources diverses, croisées afin de dresser un portrait détaillé de l’histoire du quartier. Des cartes anciennes, des photographies, des recensements ou encore des rôles d’évaluation sont ainsi mis à profit. Cette étude est d’abord issue d’un rapport demandé au début des années 1990 par la compagnie ferroviaire du Canadien National (CN) afin de couvrir un aspect de son histoire et de celle du Grand Tronc l’ayant précédé. Un peu tombé dans l’oubli après l’abandon du projet par le CN, le manuscrit est remis à jour dans le but de le publier au début des années 2000, à l’instigation de la Société d’histoire de Pointe-Saint-Charles. L’origine de l’ouvrage explique ainsi la présentation rigoureuse de l’apport du monde ferroviaire au développement urbain et résidentiel du quartier. Il est divisé en cinq chapitres, dont les trois premiers relatent, chronologiquement, le développement de la Pointe, et les deux derniers retracent le parcours des trois familles retenues dans le cadre de l’analyse. Les deux derniers chapitres sont consacrés à l’évolution socioculturelle du quartier. L’auteur traite de l’apport de l’immigration et de l’exode rural des Canadiens français dans la composition du quartier, tout en soulignant les inégalités sociales entre les différentes communautés culturelles. L’analyse s’affine lorsqu’il s’agit de retracer les parcours des familles Galarneau, Mullins et Turnbull, et permet d’appréhender plus précisément la diversité des conditions de vie des familles ouvrières. Enfin, l’ouvrage, très bien illustré, permet de bien saisir l’empreinte du passé dans le tissu urbain actuel de Pointe-Saint-Charles.

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Historien, chroniqueur et ancien conseiller municipal à Québec, Réjean Lemoine est l’auteur du dernier ouvrage recensé, qui se veut une sorte de synthèse en images de l’histoire du quartier Limoilou. Près de 200 photographies tirées de divers fonds d’archives publics et privés sont traitées, accompagnées de courts commentaires. L’ouvrage a été réalisé avec la collaboration de la Société historique de Limoilou, dont l’auteur est membre, et le concours financier de la Caisse Populaire de Limoilou. Écartant l’idée de faire une présentation chronologique, l’auteur a plutôt choisi une structure thématique pour son livre. Ainsi, après une courte introduction qui situe bien le contexte d’émergence et de développement de Limoilou, l’ouvrage est divisé en quatre chapitres. Plusieurs dimensions de la vie quotidienne sont abordées tout au long du livre, du développement urbain à la vie sociale et religieuse, en passant par la mise en place des institutions scolaires, des commerces de proximité et des usines qui ont marqué et marquent toujours le paysage de Limoilou. Il aurait été intéressant pour chaque chapitre thématique de procéder chronologiquement, offrant ainsi une progression dans la narration de l’histoire du quartier. Des indications géographiques plus précises sous les photographies ainsi qu’une carte du quartier auraient été les bienvenues, ce qui aurait permis à l’ouvrage de devenir un véritable outil d’exploration du quartier.

Les ouvrages recensés ici représentent trois projets spécifiques, portés par des acteurs sociaux comme les sociétés historiques et le Centre d’histoire de Montréal, ce qui témoigne d’une histoire bien ancrée dans les communautés locales. Si la thématique des quartiers populaires lie les trois ouvrages, ils se distinguent surtout par le traitement de la question, notamment à travers l’utilisation des images. Parfois directement au coeur du propos, elles ne servent pas simplement à illustrer la question, mais véhiculent un message tout autant que les mots. Elles permettent de rejoindre des sensibilités différentes et de toucher un public plus diversifié. Il s’agit enfin de nouvelles contributions originales, qui témoignent d’un certain engouement actuel pour la vie quotidienne en quartier populaire.