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«Plus peut-être que toute autre ville, à l’exception de Paris ou de La Nouvelle-Orléans, New York est un lieu de mouvement perpétuel et de constant changement», écrivait en 1843 l’abolitionniste Lydia Maria Child. (p.659) C’est autour du thème du mouvement que Pauline Peretz a imaginé cet ouvrage choral qui sillonne la ville à travers ses gratte-ciel, ses quartiers, son fleuve, sa culture et son histoire. Ce New York est d’abord et avant tout une invitation à la découverte.

Comme l’indique le sous-titre, la ville est explorée en quatre temps. La première partie propose une synthèse historique débutant au dix-septième siècle alors que l’île de Manhata, peuplée par des groupes algonquiens, devient un avant-poste néerlandais du commerce de la fourrure. Tour à tour colonie anglaise, premier port commercial de la jeune république et porte d’entrée continentale pour des millions d’immigrants, New York surmonte une grave crise budgétaire et affirme au tournant du vingt-et-unième siècle son statut de ville monde. Cette fresque écrite à huit mains témoigne de la multiplicité des approches existantes en histoire urbaine — tantôt histoire événementielle, économique, sociale, culturelle ou politique. Parmi les propositions fort différentes signées Bertrand Van Ruymbeke, Jean Heffer et Catherine Pouzoulet, celle de Romain Huret sur « Le Grand Siècle new-yorkais » (1898–1975) reflète le mieux la production historiographique des vingt-cinq dernières années, préoccupée d’abord et avant tout par les hommes et les femmes qui peuplent la ville.

Intitulée « Promenades », la deuxième partie du collectif est la plus imposante, mais également la moins cohérente de l’ouvrage. Fourre-tout d’essais aussi hétérogènes que sont les enracinements disciplinaires de leurs auteurs, ces promenades sont organisées selon une logique aléatoire (et présentées ici dans le désordre). Robert Kelly et Peter Marquis revisitent nostalgiquement le Brooklyn de l’enfance — vécue ou imaginée — avec ses confiseries, ses terrains vagues, ses marais et ses Dodgers. Les vignettes « nyu yorkish » de Pauline Peretz rappelle qu’au-delà du mythique Lower East Side, New York est la première ville juive du monde. Caroline Rolland-Diamond et Hélène Harter parcourent respectivement les parcs et les ponts, des landmarks indissociables de l’expansion urbaine et des revendications citoyennes. Michael J. Balz, pour sa part, inscrit de manière anecdotique la métropole dans l’espace géographique qui l’entoure, la vallée de l’Hudson. D’autres promenades célèbrent le côté sombre de Gotham. À travers une relecture du roman Manhattan Transfer (1925) de John Dos Passos, Peter Hyll Larsen fait du gratte-ciel la métaphore de la difficile ascension sociale. Yann Philippe examine le rapport obsessionnel du roman policier à la ville, tandis que Peter Hägel raconte les cauchemars urbains des cinéastes de King Kong à Taxi Driver.

Paradoxalement, les contributions les plus achevées de cette partie sont celles qui s’éloignent le plus du thème de la promenade. Isabelle Richet retrace les grands moments de l’histoire d’Harlem, cette « ville noire dans la ville blanche ». Creuset des avant-gardes artistiques au vingtième siècle, le New York raconté par Laure Ainoha Bordonaba est celui de Greenwich Village, de Soho et des galeries d’art, mais surtout celui des artistes qui « peignent la ville à hauteur d’homme, depuis la rue». (p.458) Andrew Diamond raconte comment Queens, un quartier ouvrier blanc moribond s’est métamorphosé en quartier multiethnique dynamique sous l’impulsion de la nouvelle immigration. Dans un essai sur le Bronx des années 1970, borough le plus pauvre, Pierre Evil fait quant à lui la genèse du hip-hop, « cette fleur multicolore et sauvage sortie des fissures du trottoir ». (p.348)

En troisième partie, Peretz propose une fort jolie anthologie regroupant les textes d’une soixantaine d’auteurs, des classiques surtout et quelques contemporains. On y retrouve côte à côte Walt Whitman et Theodore Dreiser, Edith Wharton et Paul Auster, Washington Irving et Tom Wolfe. C’est d’ailleurs en compagnie de ces auteurs que l’on fait les plus belles promenades. Avec Jack Kerouac, on entre à New York en autobus, par « ce chemin…jamais emprunté par les ambassadeurs et les dirigeants de la planète ». (p.650) Avec Isaac Bashevis Singer, on parcourt Mermaid Avenue et son « parfum d’Europe orientale…des odeurs de soupe au poulet, de kacha, de foie haché ». (p.930–31) Presque tous les extraits choisis par Peretz sont éloquents, qu’ils renvoient ou non aux essais des parties précédentes. Poésie, fictions et satires sociales capturent l’âme de la ville, sa grandeur, son matérialisme, ses excès, ses bas-fonds et la diversité de ses habitants.

L’ouvrage se termine par un dictionnaire composé de près de cinq cent articles, allant de « accent new-yorkais » à « Ziegfeld Follies », en passant par « Jamaïcains ». Outre les auteurs de l’anthologie, on y retrouve les incontournables (Statue de la liberté, Cinquième avenue), les quartiers négligés (Staten Island, Tenderloin), les grands personnages (Jane Jacobs, Theodore Roosevelt) et autres clés pour comprendre New York (danse, conservatisme ou homosexualité). Concis et rigoureux dans l’ensemble, certains articles de ce dictionnaire empruntent par moment le ton du guide de voyage. Exhaustivité donc, mais aussi mélange des genres.

Soigneusement édité (hormis quelques inévitables coquilles), on peut certes reprocher à cet ouvrage hybride l’inégalité de ses contributions, ses répétitions et ses chevauchements. Or, ce New York n’est pas conçu pour être lu d’une couverture à l’autre. Individuellement, plusieurs des essais et des textes de l’anthologie trouveront avantageusement place parmi les lectures d’une variété de cours en études urbaines ou en histoire des États-Unis. S’il offre au néophyte une belle introduction à la métropole américaine, il laisse en revanche au spécialiste une impression de déjà vu. Synthèse plutôt que réinterprétation, il s’agit tout de même d’un ajout pertinent à la littérature francophone sur New York.