Book ReviewsComptes rendus

Laurin, Suzanne. L’échiquier de Mirabel, Boréal, Montréal, 2012 (29,95$)[Record]

  • Mario Polèse

…more information

  • Mario Polèse
    Professeur, INRS—Urbanisation Culture Société

J’ai aimé ce livre. Il est admirablement bien écrit. La passion de l’auteur pour son sujet se sent à chaque page. Suzanne Laurin est une fille du territoire—Mirabel—géographe de formation, d’où sa facilité à décrire ce coin du pays et le sort particulier que l’histoire lui a réservé. L’ouvrage est aussi merveilleusement bien documenté. Suzanne Laurin a littéralement passé sous la loupe tous les documents produits sur l’épopée incroyable de l’aéroport de Montréal-Mirabel. L’ouvrage, divisé en quatre parties, relate l’histoire de la nouvelle ville de Mirabel (d’abord appelée Sainte-Scholastique), créée de toutes pièces en 1971 par la fusion de quatorze municipalités rurales, dans la foulée du projet de construction d’un nouvel aéroport international dans la région montréalaise. Sans l’aéroport, la ville n’aurait jamais vu le jour. L’histoire de Mirabel-ville est inséparable de l’aéroport malheureux qui porte son nom. C’est un lourd héritage à porter. Comment s’accommoder d’un gros éléphant blanc (il n’y a pas d’autre mot) sur son territoire, qui continue à le définir ? C’est le défi aujourd’hui des habitants de Mirabel, sujet de la quatrième partie. Mais pour y arriver, il faut d’abord raconter l’histoire de l’aéroport, le coeur de l’ouvrage. L’histoire de l’aéroport de Montréal-Mirabel, aujourd’hui fermé (exception faite des fonctions limitées de transports de marchandises), est effectivement incroyable. Comme l’écrit l’auteure, divers termes peuvent être employé pour le décrire : échec, erreur politique, fiasco, gâchis …. Avec un demi-siècle de recul, nous savons que le projet d’implanter un deuxième aéroport international à Montréal à la fin des années 1960 était une erreur. Pour les habitants du territoire qui allait devenir Mirabel, le prix à payer a pris la forme d’une expropriation de terres agricoles par le gouvernement fédéral, mal conçue et mal gérée, donnant lieu à une saga interminable de contestation judicaire et de luttes sociales. Suzanne Laurin raconte cette saga avec brio et compassion dans la troisième partie de l’ouvrage. Mais les séquelles du projet aéroportuaire dépassent de beaucoup le territoire propre de Mirabel. C’est toute la région de Montréal qui en a payé le prix. L’implantation d’un deuxième aéroport dans un marché aussi petit, en divisant le trafic entre deux aéroports (intracontinental à l’aéroport de Dorval et intercontinental à Mirabel) a eu pour effet pour effet de tuer du jour au lendemain la fonction de Montréal comme plaque-tournante (hub) aérien, pour perdre à jamais sa place comme grand centre aéroportuaire du Canada avec des conséquences incalculables pour le développement économique de Montréal. Ce n’est pas totalement un hasard que les vingt années (1975–1995) durant lesquelles les deux aéroports furent en service correspondent aussi à la période la plus sombre de l’économie montréalaise, même si la bipolarité aéroportuaire ne fut qu’un facteur aggravant parmi tant d’autres. Le parachèvement de l’autoroute 13 pour relier les deux aéroports, jamais fait, n’aurait rien changé au caractère dysfonctionnel du tandem Dorval-Mirabel. Il faillait fermer l’un des deux, et étant donné les avantages de Dorval, qui avait la faveur des transporteurs aériens et la communauté d’affaires montréalaise, le choix était évident. Le transfert progressif (1996–2002) de tous les vols à Dorval a réussi à mettre fin à l’hémorragie aéroportuaire, mais n’a pas pour autant permis à Montréal de retrouver sa place comme hub. Le mal était fait. Une intervention dont le but avoué était de redémarrer l’économie montréalaise a finalement eu l’effet exactement contraire. Pour le gouvernement fédéral, Mirabel s’est transformé en gouffre financier, un aéroport de trop et des terres expropriées en trop. Après l’élection du gouvernement Mulroney en 1984, l’État fédéral a amorcé le long processus de rétrocession des terres et de transfert de Montréal-Mirabel vers une nouvelle …