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Everett C. Hughes, Rencontre de deux mondes. La crise d’industrialisation du Canada français (Montréal : Boréal, 2014), 432 p.[Record]

  • Dominique Morin

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  • Dominique Morin
    Département de sociologie, Université Laval

Hamel prend soin de situer la contribution de Hughes dans la mouvance des travaux de l’École de Chicago, et particulièrement dans la visée des recherches initiées par Robert Redfield sur la désorganisation et la réorganisation des communautés paysannes comprises dans un continuum folk—urban society. Cette perspective avait suggéré à Hughes le projet d’une comparaison de trois monographies sur le Canada français : l’une sur Montréal, la métropole ; une autre sur un village relativement isolé des influences urbaines ; et une troisième sur une ville intermédiaire, la seule qu’il réalisera en étudiant Drummondville. Hamel raconte comment, après la monographie par Horace Miner du village de Saint-Denis-de-Kamouraska considéré comme un « observatoire de la culture traditionnelle » demeuré « imperméable à l’industrialisation, à l’immigration et à l’urbanisation » (p. 18), Hughes s’est établi et mêlé à la vie d’une ville pour laquelle il s’est pris d’affection, a suivi son actualité et discuté avec ses résidents francophones et anglophones pour en arriver à penser la rencontre de deux mondes où « les Canadiens-français de classe moyenne, bien assis et déjà urbains, doivent affronter une classe de gérants anglophones dont la mentalité et les façons de travailler sont différentes des leurs ; et où, finalement, les institutions traditionnelles du Québec traversent des crises provoquées par la présence des institutions de l’industrialisme et du capitalisme extrêmes » (p. 17). Hamel ouvre son texte avec l’idée que cette rencontre reste « la clé de voûte du développement de la société québécoise et du débat politique en son sein » (p. 9), et il invite à redécouvrir un ouvrage aidant à comprendre les difficultés des Québécois francophones qui veulent « être et agir sur un pied d’égalité avec leurs vis-à-vis anglophones » (p. 20), en se faisant « un devoir de rester fidèles à ce qu’ils ont été et à ce qu’ils sont devenus » (p. 21). Les observations de Hughes se distinguent en effet de celles qu’offrent d’autres témoins de l’époque par une assurance que les Canadiens français puissent en venir à s’organiser pour améliorer leur condition dans « notre civilisation industrielle individualiste » (p. 143). Falardeau pointait quant à lui un autre sens de l’ouvrage que portait à oublier, déjà en 1972, un semblant de « plaisante mythologie » opposant « l’époque de Duplessis » à la déclaration « que nous nous sommes engagés dans l’ère postindustrielle et technobureaucratique », « l’illusion que l’histoire du Québec contemporain a commencé en 1960 » et la « populaire idéologie « colonisateur-colonisé » » dont les Québécois demeurent tributaires dans les schématisations sommaires de leur mémoire collective (p. 27–28). La réédition de la traduction française devait redonner « ce sens oublié de notre aventure sociale, le sens d’un passé immédiat qui n’est peut-être pas si éloigné qu’on l’imagine des champs et de la forêt » (p. 27). Cette appréciation fait écho à la phrase qui ouvre la préface de Hughes à l’édition anglaise de 1963, après un avant-propos de Nathan Keyfitz intitulé French Canada Still in Transition : « Si le Québec est encore en état de transition, c’est dans une certaine mesure parce que, aujourd’hui comme hier, ‘Jean-Baptiste arrive en ville’ (c’était là, en effet, le premier titre auquel j’avais songé pour ce volume, mais des amis et mon éditeur m’en ont dissuadé !) » (p. 29). Ces mots rappellent à notre attention deux traits originaux de cet ouvrage dans le sillon duquel se sont inscrits les Essais sur le Québec contemporain, le débat sur le caractère urbain du Québec lancé par Philippe Garigue, et l’engagement dans une réflexion critique sur le développement d’une « société …