L’extension du domaine des herbes hautes : itinéraires croisés dans la gestion des prairies urbaines

Résumé

Dans les parcs urbains gérés de manière écologique, la place laissée aux prairies forme un motif récurrent de tensions professionnelles, à la rencontre entre pratiques horticoles et ingénierie écologique. Cet article explore les rencontres entre relations esthétiques à l’espace jardiné et redéfinition des pratiques d’aménagement. Le propos part d’une étude de cas en France, en Seine-Saint-Denis, autour du parc Georges Valbon (400 hectares de pelouses, prairies, étangs et boisements aujourd’hui classés Natura 2000) à partir de deux enquêtes ethnographiques menées de 2012 à 2016. La prise en compte de la biodiversité s’y accompagne d’une transformation des formes de « théâtralité » dans le jeu jardinier avec les plantes, engendrant des frictions à différents niveaux. La négociation des limites entre pelouses et prairies s’appuie sur la valeur accordée à différents types d’usages : en effet entrer dans les prés c’est déjà faire un pas vers l’en-dehors de la ville et donc vers des usages différents de l’espace public, où le parcours et l’immersion deviennent centraux. Mais la montée en herbe, qui résulte d’un lâcher prise sur les dynamiques végétales traduit du point de vue des techniciens, paysagistes et jardiniers de filiation horticole, une perte de contrôle sur la nature. Apparait ainsi la friche, figure de la banalité et de le l’effacement du dessin paysager. Conserver la main sur la pousse de l’herbe passe dès lors par un jeu avec les dynamiques écologiques qui ne concerne pas que les plantes et va au-delà d’une lutte contre la fermeture des milieux.

Mots-clés :

• anthropologie environnementale,
• gestion différenciée,
• pelouse,
• prairie,
• friche,
• esthétique environnementale,
• lapin de garenne,
• théâtralité,
• itinéraire

Abstract

In ecologically managed urban parks, professional tensions often occur around the place given to meadows. This article aims at examining the crossing point between the esthetical relations with gardened spaces and the transformation of management practices. It draws on a case study based on two ethnographic studies conducted from 2012 to 2016: Georges Valbon park, in the northern suburbs of Paris (Seine-Saint-Denis, France) gathers 400 acres of meadows and lawns, pond and woodlands, and is nowadays, a protected area, classified Natura 2000. Here, the ecologisation of urban parks management involves a transformation of the “theatrics” of landscape design, leading to different kinds of frictions. The negotiation of the limits between laws and meadows leans on contrasted opinions about corresponding practices: those who appreciate meadows value an experience based on immersion and movement, seeking moments outside the city. But from the part of some landscape designers and gardeners, letting grow the grass means abandoning control over nature. Here comes the shadow of uncultivated lands, symbol of banality and disappearance of landscape drawing. Keeping a hand on grass growing process involves, then, a complex play with ecological dynamics that goes far beyond plants and landscape closure.

Keywords:

• environmental anthropology,
• ecological landscaping,
• lawn,
• meadow,
• environmental esthetics,
• rabbit,
• theatrics,
• itinerary