Chroniques : Essai/Études

Théories du chaos et de l’anarchie[Record]

  • François Paré

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  • François Paré
    Université de Guelph

Je ne sais pas si c’est la chaleur étouffante de l’été, ou encore la lecture fascinée et déprimante à la fois du roman-essai de Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, que je viens de terminer, ou peut-être simplement la logorrhée publicitaire acheminée quotidiennement par mon courriel, mais un sentiment d’impuissance ne cesse de m’assaillir devant les grands courants d’insignifiance qui articulent le monde à l’heure actuelle et qui me sont parfois si étrangers. À force de peser le bouton « DELETE », on finit par croire en une pensée magique qui effacerait instantanément toute cette souillure. Mais tel n’est pas le cas. Dans L’homme symbiotique. Regards sur le troisième millénaire, Joël de Rosnay décrit l’avènement de nouvelles complexités, issues de la multiplication des processus informatiques et des théories fractales de la communication. Le discours, épousant la forme polygonale du diamant, ne peut plus être linéaire s’il veut rendre compte de la réalité actuelle : « Les processus, réseaux, systèmes s’enchevêtrent dans un maillage inextricable. Il nous faut donc de nouveaux outils, de nouvelles méthodes de pensée pour aborder une évolution dont nous sommes les acteurs principaux. » L’univers serait en soi une « conscience » qui s’auto-organise, répondant aux lois scientifiques du chaos. Bien qu’il consacre un chapitre à la culture, qu’il voit comme le point de rencontre d’une multitude d’interventions individuelles sur le temps et sur l’espace, l’auteur de L’homme symbiotique n’attribue pas à l’art ou à la littérature un rôle déterminant dans l’appréhension de cette complexité. Au contraire, les pratiques artistiques se présentent selon lui comme des refuges plutôt romantiques, en lutte contre les inévitables processus de dégradation de l’histoire. Les trois ouvrages qui font l’objet de la présente chronique (ma toute première en ces pages !) sont, eux aussi, à la recherche de valeurs sûres sur lesquelles fonder une morale de la complexité. Ils font appel à une certaine nostalgie de la plénitude du sens qui, au-delà du déclin présumé des valeurs sociales, permettrait de retrouver un discours plus souvent enraciné dans le réel et des identités plus clairement définies. Quelque chose comme un discours symbiotique ! Dans Le chaos créateur, Chantal Deschamps, reprenant textuellement sa thèse sur l’étude phénoménologique de la création artistique, souhaite en arriver à une expérience plus positive et plus palpable de l’acte créateur. Désireuse de dissocier la créativité des « états pathologiques » auxquels elle est souvent liée depuis le romantisme, Deschamps sollicite l’apport de la phénoménologie husserlienne, qui lui semble mieux rendre compte de l’oeuvre d’art comme résultat d’une série d’« actes intentionnels ». Elle rejette, par conséquent, toute interprétation du travail artistique qui ne serait fondée que dans le raisonnement théorique. Au contraire, la pensée de Husserl nous invite à recourir au vécu et à l’observable pour mieux saisir la complexité des processus mentaux. Cependant, Deschamps ne soulève pas la question même de ce vécu en tant que discours rapporté, inobservable justement en dehors du langage. Dans Le chaos créateur, le vocabulaire utilisé nous entraîne plutôt dans une certaine logique du dévoilement mystique, dont l’objet serait paradoxalement de traduire la vie dans ses manifestations sensibles. Il en résulte une certaine angoisse de la dissociation et de l’arbitraire, que la thèse de Deschamps cherche à circonscrire. Qu’est-ce, en effet, que le « chaos créateur » ? « Dans les faits, l’expérience du chaos m’a fait connaître des moments intenses de doute, de remise en question ainsi que de grandes solitudes, comme peut le susciter l’image du voyage initiatique aux tréfonds de l’être. » (p. 35) Cette définition permet d’imaginer une démarche intellectuelle centrée sur le refus des …

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