Chroniques : Poésie

Les poètes de l’adjectif[Record]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Les chercheurs se plaisent volontiers à rappeler le grand débat qui, dans notre littérature, quelque part entre Nelligan et Saint-Denys Garneau, a opposé régionalistes et « exotiques». Non pas « exotistes», le mot n’existe pas, et puis il est réconfortant de ne pas être défini par un isme, une consigne idéologique, d’être exotique comme on est bipède ou basané. Soulignons toutefois qu’« exotique» n’est pas un substantif, ce qui semble avoir échappé à la rectitude linguistique des champions du mouvement. Il y en a quatre, à qui Sylvain Campeau consacre une belle anthologie . Ils sont très copains, souvent depuis le collège, et mordus de poésie — parisienne, d’abord et avant tout. Ils méprisent les muses locales qui chantent les hauts faits de notre histoire et les cossins de nos chaumières ; ils essaient de penser et d’écrire à la hauteur de Verlaine, de René Ghil, d’Anna de Noailles et autres divinités du moment. Symbolistes, décadents, et même parnassiens chenus sont à l’honneur. Ils se réclament de tout sauf des romantiques, n’ayant d’autre objectif que la beauté de la forme et l’évasion hors du réel. S’il n’y avait eu Nelligan, on pourrait saluer en eux les premiers adeptes de la pure écriture, et donc nos premiers modernes. Guy Delahaye est un fieffé original qui écrit tout un recueil, Les phases, en vers de neuf syllabes . Les poèmes, composés de trois tercets, se regroupent encore en triptyques (mot de 3x3 lettres…). L’originalité va jusqu’à orthographier ainsi le mot : « tryptique », comme quoi un brin d’ignorance peut accentuer l’effet de gai savoir. L’obsession ternaire procède sans doute de quelque obscure métaphysique qui nous entraîne bien loin des rives du Saint-Laurent. Hegel ou Péladan ont pu inspirer le poète. Quant au vers de neuf syllabes, il crée une forte impression d’anti-versification, comme le recommandait Verlaine au nom de la musique. Le sens s’y perd en même temps que la cadence. On pourrait tout de même y traquer une thématique du corps ramené au nerf, et de la névrose qui sublime la substance animale en génie : Discours passablement hermétique, on le voit, et tout imbu de son auteur. Y grouillent les obsessions du futur psychiatre. Malgré ses contorsions, il peut induire au rêve. On y trouve, comme chez Nelligan dont Delahaye sera le médecin à Saint-Jean-de-Dieu, et comme chez tous les symbolistes français, l’idée du poète qui a une compréhension supérieure du monde, qui se réfugie dans l’Idéal et qui est en butte à l’hostilité des médiocres. Entiché de paradoxes, Delahaye fut aussi, dès l’époque où il écrivait Les phases (1910) et « Mignonne, allons voir si la rose… » est sans épines (1912), sorte de pochade débridée où l’esprit critique met à mal l’inspiration, un ardent catholique qui passera le reste de sa vie d’écrivain à rédiger un petit chemin de la croix, L’unique voie à l’unique but : quatorze pages de piété, d’une parfaite orthodoxie. Il est difficile d’imaginer plus de conformisme succédant à un rejet plus décidé de toute tradition littéraire. Paul Morin est, sans conteste, le plus connu des « exotiques ». Sa stature égale celle de Robert Choquette ou d’Alfred DesRochers, poètes estimables mais qu’on ne lit plus guère hors des anthologies. Il a le culte de la forme belle, de la littérature classique ainsi que des lieux communs touristico-culturels. Il fabrique des cartes postales verbales (« Quatre villes d’Orient », « Turqueries »…) où l’on trouve de froides élégances de langage. Un paon, tel est bien l’auteur du Paon d’émail (1911) et de Poèmes de cendre et d’or (1922) , qui …

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