Chroniques : Féminismes

Carrefours du féminisme : pour un éloge de l’errance[Record]

  • Catherine Mavrikakis

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  • Catherine Mavrikakis
    Université de Montréal

Quel espace théorique se dessine aujourd’hui ? Quel territoire imaginaire habitons-nous en tant que critiques ? Dans quelle enclave tenons-nous la pensée ? Quelle route prendre pour parcourir une question ? Et doit-on faire le tour d’une problématique comme on fait, en propriétaire, le tour de son jardin ? Ce sont ces questions de l’espace comme épistémologie de la critique que je me suis posées à la lecture du livre collectif Sexuation, espace, écriture. La littérature québécoise en transformation . Sous la direction de Louise Dupré, Jaap Lintvelt et Janet M. Paterson, ce recueil de textes se veut le lieu d’une ouverture de l’aire critique de la sexuation sur de nouvelles perspectives concernant la question de l’espace. Si le mot sexuation est déjà lui-même porteur d’un autre territoire et d’un découpage de la pensée du genre et s’il veut inscrire dans le domaine francophone, en se l’appropriant et en le transformant, le lieu devenu commun et international des gender studies, articuler l’espace à ce concept de sexuation à l’intérieur d’une exploration théorique de la littérature se donne comme novateur et cherche à circonscrire d’inexplorés secteurs des études québécoises. Issue d’un colloque sur l’espace et la sexuation dans la littérature québécoise, qui eut lieu à l’Université de Groningue aux Pays-Bas, en mai 2001, cette collection de textes est conçue à la fois comme un haut lieu de la réflexion sur le genre au Québec et comme une terre inconnue aux contours et frontières encore mal définis dont les études ultérieures viendront préciser ou défaire les limites. Il y a dans le geste de ce livre et du colloque qui le précédait l’idée de la fondation d’un nouveau champ disciplinaire que l’on veut fertile en lectures et relectures. Il y a dans l’acte d’élaboration de cet ouvrage une véritable tentative de territorialisation de la critique qui se donne pour but, comme c’est si souvent le cas, d’aborder autrement les problèmes, ce qui apparaît manifeste dans la rhétorique de la nouveauté qui parcourt l’introduction. Il s’agit aussi de suivre les mouvements de la littérature québécoise. Celle-ci est décrite comme « dynamique et audacieuse » et surtout capable « de suivre l’évolution de la pensée contemporaine et de créer de nouveaux espaces réels et symboliques marqués par la sexuation » (21). Or, à lire le livre, on s’apercevra qu’il ne s’agit pas tant d’analyses de textes actuels que de lectures renouvelées de textes plus largement contemporains, écrits par des auteurs souvent bien établis (par exemple Yves Thériault, Anne Hébert ou encore Yolande Villemaire). C’est l’image de l’auberge espagnole qui vient ici à l’esprit quand il s’agit de comprendre la place réservée au lecteur dans ce recueil. Celui-ci, en effet, n’y trouvera rien d’autre que ce qu’il a voulu y apporter ou y chercher. En ce sens, aucune somme totalisante, aucune réflexion d’ensemble ne lui sera proposée et l’introduction insiste précisément sur cette multiplicité des points de vue, sur la construction d’un espace critique hétérogène où les textes se répondent parfois, se font échos les uns des autres, et jouent à cache-cache théoriquement entre eux. Louise Dupré dans son texte intitulé « Entre raison et déraison de France Théoret. Esquisse d’une cartographie de l’écriture » parle d’espace de circulation, de territoire psychique de l’entre-deux et de découpage de l’espace littéraire à inventer. Ce que Dupré décrit ici avec beaucoup de justesse à propos des écrits de Théoret pourrait servir de matrice intellectuelle à la compréhension de tout l’ouvrage présenté. Lieu de passage, Sexuation, espace, écriture crée des lieux de l’entre-deux qui parviennent à généraliser l’instabilité de toutes les énonciations en multipliant celles-ci. L’espace imaginaire …

Appendices