Dossier

Avatars du biographique[Record]

  • Robert Dion

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  • Robert Dion
    Université du Québec à Montréal

Le dossier de Voix et Images que voici se situe dans le prolongement d’une réflexion sur la biographie, et spécialement sur la biographie d’écrivain, menée en France depuis quelque temps et qui, jusqu’ici, a trouvé peu d’échos au Québec . Ces dernières années, en effet, ont paru outre-Atlantique deux livraisons de la Revue des sciences humaines consacrées respectivement au « Biographique  » et aux « Paradoxes du biographique  », ainsi qu’un dossier de la revue Littérature ayant pour titre « Biographiques  ». Au Québec, à ce jour, rien de comparable n’a été publié sur la question ; mais la sortie récente d’un tome des Archives des lettres canadiennes  portant sur ce genre littéraire souvent mésestimé semble bien indiquer que quelque chose, ici, bouge sur le front de la biographie. Il s’agit sans doute de répondre à la « passion du biographique » qui s’est emparée des cercles savants après avoir comblé les attentes du grand public : depuis quelque temps, on ne compte plus les biographies érudites et les fictions biographiques destinées aux lecteurs du champ restreint. De tels ouvrages ont fini par imposer — et exposer — d’autres personnages que les vedettes médiatiques dont les « vies » colonisent les sections spécialisées des librairies et saturent l’espace public. Toutefois, ce qui nous retiendra dans ces pages, c’est bien davantage le « biographique » que la biographie. Celui-ci se caractérise, pour reprendre le mot d’Alain Buisine, par le retour de « l’écrivain en personne » sous ses divers avatars, tant dans des fictions, des essais et des pièces de théâtre que dans des biographies proprement dites, dont les formes couvrent tout l’empan qui va de la biographie « classique » (André Maurois, Henri Troyat, etc.) jusqu’aux fictions biographiques les plus osées, dans la filiation des Vies imaginaires de Marcel Schwob . « Ce qui m’apparaît désormais décisif, c’est que le biographique n’est plus l’autre de la fiction », écrit Buisine, qui ajoute : « La biographie est elle-même devenue productrice de fictions, bien plus elle commence à comprendre que la fictionnalité fait nécessairement partie du geste biographique . » Au Québec aussi, le biographique a passé les frontières de la biographie stricto sensu, même si celle-ci a connu un important développement ces dernières années avec, par exemple, le lancement d’une collection comme « Les grandes figures » chez XYZ éditeur ou le succès des ouvrages de François Ricard sur Gabrielle Roy , de Marcel Olscamp sur Jacques Ferron  ou d’Hélène Pelletier-Baillargeon sur Olivar Asselin . Cela dit, on ne trouvera pas dans le présent numéro une histoire ni un état présent du développement de la biographie au Québec, les Archives des lettres canadiennes s’étant chargées de cette tâche. Les collaborateurs s’attacheront plutôt à débusquer les extensions des formes (et usages) du biographique : car il semble que son inscription dans la littérature québécoise actuelle soit sujette à maintes stratégies de transposition et de détournement. C’est peut-être un signe de la méfiance que les traditions française et francophone entretiennent vis-à-vis de l’évocation biographique depuis au moins Mallarmé, Proust et Valéry et, plus radicalement encore, depuis la Nouvelle Critique et le Nouveau Roman. Or les oeuvres dont il sera question dans le présent dossier, surtout fictionnelles mais aussi critiques, bravent toutes, d’une manière ou d’une autre, l’interdit du biographique, de la vie d’auteur et, ce faisant, inventent de nouvelles façons de penser le récit de vie et le rapport entre vie et oeuvre. En cela, elles touchent à plusieurs enjeux fondamentaux de la réflexion théorique actuelle, comme le rapport au canon littéraire incarné par les écrivains biographés, la dimension (auto)biographique des …

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