Dossier

Zones de contactNouveaux regards sur la littérature anglo-québécoise[Record]

  • Catherine Leclerc and
  • Sherry Simon

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  • Catherine Leclerc
    Université de Moncton

  • Sherry Simon
    Université York

L’écriture de langue anglaise n’est en rien un phénomène nouveau au Québec. À Montréal, en particulier, elle appartient à une longue tradition. Pourtant, sa description et son insertion au sein de la vie littéraire québécoise posent problème. Dans un dossier paru il y a cinq ans dans la revue Québec Studies, Lianne Moyes parlait de « crise définitionnelle occasionnée par la discussion de la place de l’écriture de langue anglaise au Québec  ». Il est vrai que l’expression de littérature anglo-québécoise ne va pas de soi. Selon Gilles Marcotte, l’appellation s’apparente à une « contradiction terminologique  ». Même lorsqu’on admet l’existence d’une littérature anglo-québécoise, il n’est pas si aisé d’en tracer les contours. Ainsi, la contradiction notée par Marcotte ne relève pas, de sa part, d’une fin de non-recevoir à l’endroit d’un corpus qu’il connaît et apprécie. Plutôt, Marcotte croit à l’existence d’une distance réelle entre les traditions littéraires de langues française et anglaise du Québec, sans compter que l’écriture de langue anglaise produite ici a rarement revendiqué son appartenance québécoise. De cette distance mentionnée par Marcotte, l’histoire de la littérature de langue anglaise au Québec à l’époque contemporaine témoigne amplement. Au cours des années 1940 et 1950, il s’est écrit en anglais à Montréal ce que William Weintraub considère comme les meilleurs textes littéraires du Canada . Or, Weintraub ne penserait jamais attribuer à cette production une identité « anglo-québécoise » ni même « anglo-montréalaise ». Pour ce mémorialiste nostalgique des « années de gloire » de Montréal, les écrivains anglophones des années 1940 et 1950 étaient tout simplement les meilleurs écrivains Canadian. Ce renouveau de la littérature canadienne-anglaise débute en 1944 avec Earth and High Heaven de Gwethalyn Graham, pour se poursuivre avec Two Solitudes de Hugh MacLennan. Par la suite, c’est la production de plus en plus diversifiée du puissant groupe de romanciers et de poètes qui permet à Montréal de se distinguer au Canada et ailleurs — les Morley Callaghan, Abraham Moses Klein, Louis Dudek, F. R. Scott et Irving Layton, suivis par Mavis Gallant, par Mordecai Richler, par Brian Moore et par Leonard Cohen. Montréal est alors un lieu de formations et de mouvements littéraires — Preview, First Statement — qui sont à l’avant-garde de la poétique moderniste au Canada. Sous la plume de ces écrivains, Montréal est une ville de langue anglaise, où la population francophone n’a qu’un rôle de spectateur. L’ouvrage de Weintraub est éloquent à cet égard : son évocation « of the French » se limite à des vignettes de politique corrompue, de pauvreté, ou des prostituées du red district. Si des écrivains comme MacLennan, Gallant ou Cohen ont donné une certaine présence à la population francophone de Montréal, c’était pour illustrer l’identité divisée de Montréal. L’histoire de Mavis Gallant est à cet égard exemplaire. Lorsqu’elle était enfant, ses parents, anglophones et protestants, firent un geste radical pour l’époque : ils envoyèrent leur fillette à l’école de l’autre côté de la ville, dans un pensionnat catholique. Gallant qualifie cette expérience de « moment exact du début de l’écriture  ». À partir de ce moment, elle a porté en elle « deux systèmes de comportement, divisés par la syntaxe et par la tradition  ». Cette dualité fait de Gallant une écrivaine montréalaise emblématique. Afin de s’immerger dans la différence, Gallant n’avait qu’à traverser sa ville. Dans cette ville « aussi étrange que tout ce qu’elle aurait pu inventer  », où elle était à la fois chez elle et une étrangère, elle allait se lancer dans une exploration de la marginalité et de l’exil qui durerait toute sa vie. …

Appendices