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Vie culturelle, vie littéraire[Record]

  • Robert Dion

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  • Robert Dion
    Université du Québec à Montréal

Après quelques décennies de structuralisme strict où les études littéraires apparaissaient on ne peut plus cloisonnées (la quête d’une hypothétique littérarité devant conduire à la découverte d’une « essence » de la littérature), la période postmoderne et poststructuraliste a plutôt procédé à une dissolution radicale de l’objet littéraire, qui s’est fondu dans l’ensemble des discours sociaux quand il n’a pas tout simplement servi de prétexte à des revendications idéologiques diverses. Ces dernières années, c’est du côté de l’intermédialité, de la convergence entre les arts que le discours critique semble vouloir nous porter, et c’est ce dernier aspect qu’entend explorer le récent ouvrage publié sous la direction de Micheline Cambron, La vie culturelle à Montréal vers 1900 . Historiens de la littérature, du théâtre, de l’art, de la musique et des institutions se sont ainsi donné pour tâche, à l’occasion d’un colloque tenu en 1999 autour de l’École littéraire de Montréal, de saisir le processus qui permet de transformer plusieurs événements disparates et incommensurables en quelque chose comme une « vie » culturelle — une sorte de corps vivant où interagissent des pratiques variées et complémentaires. À partir du point focal que constituent l’École littéraire de Montréal et les années 1900, les spécialistes réunis par Cambron ont voulu, dit-elle, « explorer les déploiements rhizomatiques des divers mouvements artistiques et intellectuels qui s’entremêlent dans le désordre des discours et des pratiques de l’époque » (15). C’est d’ailleurs la prolifération, le désordre, le renouveau, mais aussi les quelques hésitations et reculs, qu’ont voulu mettre en évidence les collaborateurs de l’ouvrage : contre une vision de la période comme désert culturel, conservatoire des pratiques les plus désuètes, enclos sévèrement gardé par les ultramontains de tout poil, ils font valoir une effervescence qui ne paraîtra surprenante qu’à ceux, de plus en plus rares, pour qui tout ce qui précède la Révolution tranquille relève d’une préhistoire étrange et inaccessible. La première partie, « État des lieux », sans doute celle qui correspond le mieux au projet du livre et qui répond le plus exactement aux espoirs suscités par le titre, s’ouvre, fort opportunément, par un texte de Denis Saint-Jacques évoquant la grande migration des élites culturelles de Québec vers Montréal au tournant du siècle, à mesure que « la situation de l’écrivain commence à se concevoir ailleurs qu’à l’ombre du pouvoir » (34) et que se forme une certaine « bohème » engagée dans le combat de l’art pour l’art. De manière pour ainsi dire collatérale, cet article se trouve à justifier qu’on prenne le pouls de la vie culturelle du Québec autour de 1900 à partir de Montréal : la ville se dote alors d’institutions (université de langue française, collèges, musées, etc.) qui, alliées à sa croissance démographique et à sa puissance économique, lui confèrent un avantage décisif dans sa concurrence avec la Vieille Capitale. Ces institutions constituent en outre un rempart relativement efficace contre les menées du clergé, qui se voit forcé de céder sur la censure qu’il exerçait traditionnellement. Dans son étude sur les réseaux associatifs, Pierre Rajotte montre bien comment associations et cercles divers contribuent à une spécification des pratiques culturelles qui les font échapper en partie à l’emprise ecclésiastique. C’est du reste l’une des impressions générales qui se dégagent à la lecture du volume : en refusant de porter la discussion esthétique sur le terrain de la religion (et, accessoirement, de la politique), les membres de l’École littéraire de Montréal se dégagent, autant que cela était possible à l’époque, de la tutelle du clergé. Dans le collectif que proposent Cambron et ses collaborateurs, on ne lira donc pas — du moins …

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