Chroniques : Féminismes

De la rhétorique et de la violence[Record]

  • Lori Saint-Martin

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  • Lori Saint-Martin
    Université du Québec à Montréal

En apparence antinomiques, les deux termes de mon titre ont en commun qu’ils ouvrent des brèches dans les relations entre le masculin et le féminin. La rhétorique au féminin, parce qu’il s’agit d’un moyen de persuader, de justifier une prise de parole longtemps interdite aux femmes, en somme de s’attaquer, en doux et de l’intérieur, aux privilèges discursifs masculins. La violence textuelle au féminin, parce qu’elle pulvérise les stéréotypes du masculin et du féminin en fracassant la représentation au moyen de mille astuces… rhétoriques. Bref, autant les auteures des quatre derniers siècles étudiées dans l’ouvrage collectif dirigé par Annette Hayward  que les protagonistes violentes qu’analyse Paula Ruth Gilbert  ouvrent des brèches transgressives, les unes à coups de plume, les autres à coups de couteau ou de fusil. Si la visée de la rhétorique consiste surtout à persuader son interlocuteur, les hommes ont été avantagés depuis le début, ainsi que le remarque Diane Desrosiers-Bonin, non seulement parce que les femmes n’avaient pas le droit d’étudier la rhétorique sous l’Ancien Régime, mais aussi et surtout parce que « la première chose dont [elles] doivent convaincre leur destinataire dans ce contexte est qu’il est légitime pour elles de délaisser la quenouille pour prendre la plume » (87). Tout en s’excusant de leur « rude et mal agencé langaige [sic] » (Jeanne Flore citée par Desrosiers-Bonin, 89), car les femmes, disent-elles, ne peuvent aspirer aux mêmes hauteurs littéraires que les hommes, elles prennent, mine de rien, une certaine place dans l’espace public. Transgression déjà bien grande en soi puisque, comme le rappelle Annette Hayward dans son introduction très utile, puis dans son étude de quelques écrivaines québécoises des débuts, les femmes n’ont pas été autorisées à s’exprimer en public et il leur a fallu, pour y parvenir, déployer des stratégies subtiles et indirectes. Quatre siècles plus tard, Hélène Monette, étudiée ici par Lucie Joubert, commente ainsi les questions linguistiques : « Un gars parle, une fille fabule. Un gars s’exprime, une fille rush. Un gars discute, une fille se tait. » (Hélène Monette citée par Joubert, 441) Si le ton a beaucoup changé, l’autodénigrement faisant place à l’ironie et à la satire au féminin, la doxa sociale n’a pas beaucoup avancé. Rhétorique dans le sens de l’art de l’argumentation, rhétorique comme le déploiement des figures de style et l’ornementation du discours : le sens du terme a évolué au fil des siècles, comme le montre bien Annette Hayward. Entre la longue conférence inaugurale de Catherine Kerbrat-Orecchioni (« Converser au féminin ») et l’amusante nouvelle de Lise Gauvin sur la rhétorique des annonces personnelles (« Femme cherche homme »), on trouve vingt études posant chacune à sa manière la question des liens entre sexe-genre et rhétorique. L’éclatement des époques et des genres littéraires étudiés fait que la question implicite — « Qu’est-ce que la rhétorique au féminin ? » — ne trouve pas de réponse directe. Comme aucune étude de l’ouvrage ne compare la rhétorique des femmes à celle des hommes et que presque tous les textes traitent d’une seule créatrice, on a du mal à voir ce qui relève du sexe des auteures et ce qui appartient au style propre de chacune, ou encore ce qui s’explique par des préférences réelles et ce qui tient de la stratégie d’autojustification. Un double exemple montrera que deux Québécoises, à moins de vingt ans d’intervalle, usent de stratégies très différentes. En effet, Claire Martin, qu’étudie avec brio Patricia Smart, écrit de façon directe, voire brutale, affiche une confiance à toute épreuve et insiste sur son autorité narrative afin de rendre crédible sa charge terrible contre …

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