Chroniques : Féminismes

Écoutez quand « je » parle[Record]

  • Lucie Joubert

…more information

  • Lucie Joubert
    Université d’Ottawa

Les avancées récentes en études littéraires féministes, en particulier celles qui reposent sur la notion de l’agentivité, montrent, entre autres choses, toute l’importance que revêt la prise de parole d’un personnage pour accéder à son identité, aussi fictive soit-elle. Cette parole connaît d’infinies modulations comme le prouvent trois nouveaux ouvrages de factures fort différentes mais tendant tous à souligner les implications de ces « je » qui se rappellent à notre attention dans le texte littéraire. Julie LeBlanc propose d’abord dans Genèses de soi. L’écriture du sujet féminin dans quelques journaux d’écrivaines  des analyses de romancières et d’essayistes qui, comme le titre l’indique, sont en train de mettre en scène des « je » féminins. Il y a donc analyse des textes mais aussi des pré-textes ou avant-textes qui ont contribué à l’avènement de l’oeuvre, et, plus encore, qui sont ensuite mis en jeu dans les ouvrages de fiction. Disons tout de go que ce dernier aspect est le plus intéressant, et de loin, de l’étude de LeBlanc. En effet, toute la troisième partie, qui porte sur le « roman-journal », permet à l’auteure de fouiller les strates de la narration, plus spécifiquement dans Le double suspect de Madeleine Monette. Il y a ici une superposition fascinante de niveaux d’écriture, admirablement cernés par LeBlanc qui pousse un cran plus loin l’interprétation de ce qu’on n’ose plus appeler platement « mise en abyme » ou « intertextualité ». La prise en compte minutieuse des manuscrits de Monette dans le processus de lecture vient ajouter au roman une dimension référentielle supplémentaire. Aux journaux intimes réels, lus en ondes, retravaillés ensuite et publiés, de Madeleine Ouellette-Michalska et de Nicole Brossard entre autres, qui font l’objet des premiers chapitres de l’ouvrage de LeBlanc, répond le journal de bord de l’écriture du Double suspect avec des commentaires de Monette sur l’élaboration de la vérité de ses personnages, comme en fait foi cet extrait : Comme l’écrit LeBlanc, avoir ainsi accès sur le vif à l’esprit de l’auteure en train de penser son livre permet de saisir la définition qu’elle donne aux formes littéraires sur lesquelles elle s’apprête à fonder son roman (186) : « Par cette activité contestataire, Monette parvient à communiquer certaines attitudes à l’égard du processus de la création littéraire en abordant notamment les aspects suivants : les problèmes de mimésis formelle, les pièges de l’illusion réaliste. » (183) Ce chapitre fera sûrement date chez les adeptes de Monette car il explique sans l’émousser la fascination qu’exerce toujours ce roman : comme s’il avait enfin une clé supplémentaire pour entrer dans l’ouvrage, le lecteur peut maintenant voir l’auteure de la fausse auteure à l’oeuvre. Tous les chapitres ne sont pas de la même eau, malheureusement. Alors que celui consacré à Annie Ernaux tient aussi fort bien la route, l’analyse du journal intime de Brossard ne permet pas à LeBlanc de tirer des conclusions très convaincantes : On émettra une réserve sur ce spectacle annoncé ; même la patiente comparaison à laquelle se livre LeBlanc entre les journaux diffusés et publiés ne vient pas à bout d’une impression d’ensemble fort triviale : le journal édité est plus intéressant parce qu’on y a ajouté des « postures » et des poèmes, tout simplement. Peut-être cela tient-il au fait que ce journal de Brossard ne constituait pas le meilleur matériau de départ : la force du texte brossardien n’est pas en cause mais l’importance que l’on accorde à sa réécriture, dans ce cas bien spécifique, fait problème. En fait, la minceur de l’analyse prouve que, même dans la première version de cet « …

Appendices