Dossier

Les mémorialistes québécois du XIXe siècle ou l’infinie variété du genre des Mémoires[Record]

  • Claude La Charité and
  • Lou-Ann Marquis

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  • Claude La Charité
    Université du Québec à Rimouski

  • Lou-Ann Marquis
    Université du Québec à Rimouski

Les Mémoires (1866) d’Aubert de Gaspé ont bénéficié récemment d’un regain d’intérêt de la part de la critique grâce à la publication en 2007 de la première édition annotée de cette oeuvre et à la parution en 2009 d’un ouvrage collectif intitulé Philippe Aubert de Gaspé mémorialiste . La question de la fortune de ce texte — et plus largement du genre mémorialiste qu’il contribue à inventer au Québec — reste cependant encore à étudier. Le succès des premiers Mémoires de notre littérature ne doit pas se mesurer au seul nombre d’éditions que l’oeuvre a connues en son siècle. De ce point de vue, les résultats sont décevants. Outre la publication en feuilleton du chapitre « Les Récollets » dans Le Foyer canadien en 1865 et l’édition princeps de 1866, on ne compte qu’une seule réédition en 1885, ce qui est bien peu en comparaison du grand best-seller de l’époque, Les anciens Canadiens, publié cinq fois de 1863 à 1899. Il reste que les deux oeuvres d’Aubert de Gaspé ont été lues en diptyque par les lecteurs de l’époque. Le registre de prêts de l’Institut canadien de Québec montre en effet qu’à partir de la création du « département de littérature canadienne » en 1874, les deux ouvrages étaient les plus fréquemment empruntés. Plutôt qu’en nombre de rééditions, la fortune de cette oeuvre doit se juger à l’aune des textes revendiquant le titre de Mémoires parus dans son sillage. Tout se passe comme si la publication de 1866 avait rendu possible ce nouveau genre, du moins du point de vue de la réception. On peut penser ici aux Mémoires de famille (1869 et 1891) d’Éliza-Anne Baby, aux Mémoires posthumes (1873) de Pierre de Sales Laterrière ou aux Mémoires également posthumes (1903) de Robert Shore Milnes Bouchette, sans oublier d’autres oeuvres qui, bien que ne portant pas explicitement le titre de Mémoires, s’apparentent de manière évidente au genre, par exemple les « Réminiscences et portraits » (1866) de François-Magloire Derome, les Réminiscences (1892) d’Arthur Buies ou les Souvenances canadiennes (1899-1902) de Henri-Raymond Casgrain. Les contributions de ce dossier cherchent à mettre en évidence les différents jalons de la constitution du genre, en définissant l’horizon d’attente sur lequel se fonde chacun de ces textes, mais aussi la définition implicite du genre qu’ils mettent en oeuvre et de la place qu’ils lui assignent dans la nébuleuse des genres historiques et autobiographiques. À quels traits reconnaît-on le genre des Mémoires aux yeux de celle et de ceux qui le pratiquaient alors ? La réponse est aussi riche que variée, puisqu’il y a alors autant d’avatars du genre des Mémoires qu’il y a de mémorialistes. Pareil constat n’a rien de surprenant compte tenu de l’histoire de ce genre apparu à la Renaissance avec Commynes. C’est toutefois Marguerite de Valois qui donnera le premier exemple durable avec ses Mémoires publiés en 1628 à titre posthume et sans cesse réédités au cours de l’Ancien Régime, au point d’être imités par les grands mémorialistes de l’âge classique. Cette riche tradition, pourtant intimement liée à la noblesse d’Ancien Régime, survivra à la Révolution, tout en intégrant certains éléments de genres connexes comme l’autobiographie à la manière de Rousseau dans ses Confessions (1782-1789). Les Mémoires d’outre-tombe (1848) de Chateaubriand constituent assurément le meilleur exemple de cette survivance tenace. C’est cette tradition qu’Aubert de Gaspé cherchera à transposer dans le Nouveau Monde . Ce genre se définit d’abord par son caractère « informe », c’est-à-dire son exceptionnelle liberté formelle et sa nature protéiforme. Tout en revêtant une évidente dimension autobiographique, les Mémoires ne se réduisent pourtant pas à une « …

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