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In gehender Bewegung[Record]

  • Robert Dion

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  • Robert Dion
    Université du Québec à Montréal

Il est rare qu’un ouvrage érudit soit publié avec autant de soin que Wanderer. Essai sur le Voyage d’hiver de Franz Schubert, de Georges Leroux . Format élégant, beau papier très blanc — n’en déplaise à ceux qui voudraient que toujours nous nous usions les yeux sur de pauvres pages grisâtres —, rabats, jolie typo, sans oublier l’attrayante suite photographique de Bertrand Carrière : tout concourt à faire de ce livre un splendide objet, comparable à ce que l’édition de poésie peut nous procurer de meilleur. Il y a là une invitation à lire avec tous les sens, la vue certes, le toucher, l’odorat et même l’ouïe, si l’on prend la peine d’écouter en lisant, comme y invite la structure même de l’essai — qui suit pas à pas, lied après lied, le Wanderer de Schubert —, quelque version discographique du Winterreise. Dans une « Ouverture » qui expose les thèmes du livre à venir, Leroux ne se contente pas de présenter les quelques données biographiques — poignantes — qui situent le cycle du Winterreise dans l’oeuvre du compositeur et montrent en quoi il constitue l’écho, ou plutôt la chambre d’échos, du drame qui se prépare : bientôt, dans la pleine force de son génie, Schubert va mourir de la syphilis. Il indique surtout de quelle nature sera son itinéraire à travers cette oeuvre qui, dit-il, « [l’]accompagne depuis toujours » (25). Accompagner ce qui accompagne : c’est ici le voeu de Leroux, qui entend parvenir à « une compréhension qui, tout en assumant un regard esthétique sur l’art de Schubert, propose une interprétation de cette quête » (24). La lecture — ou, bien davantage, l’écoute — du projet schubertien qui caractérisera la démarche de l’essayiste, ce sera donc, à travers le déploiement, érudit et poétique à la fois, de la figure romantique du Wanderer , ce solitaire errant qui est à l’Allemagne ce que le flâneur est à la topographie parisienne, une méditation sur « les aspects éthiques de ce voyage » (33). Aux exégètes qui associent le Voyage d’hiver à un trajet vers l’anéantissement et la mort, Leroux oppose d’emblée une interprétation de l’errance du Wanderer comme consentement à une vie nouvelle, dépouillée, simple, purgée d’un narcissisme romantique qui « en vient à dévorer l’identité en l’exposant aux requêtes infinies du désir » (30). C’est sous le signe de la compassion que s’amorce le parcours herméneutique de l’auteur, compassion qui redouble celle de Schubert pour son Wanderer. La suite de l’ouvrage comprend vingt-quatre courtes séquences qui correspondent aux vingt-quatre poèmes de Wilhelm Müller mis en musique par Schubert. Chaque séquence se compose d’une photographie en noir et blanc de Bertrand Carrière , suivie des textes allemand et français du lied et, en quelques pages, de la lecture qu’en donne Leroux. Disons d’abord un mot des retraductions de l’auteur, élégantes, et qui visent à retrouver la simplicité du texte allemand. Plus proches de l’adaptation (intelligente et respectueuse) que du mot à mot, elles naturalisent le texte en français, ce qui pourrait être gênant si l’auteur ne veillait dans son commentaire à toujours revenir au texte original, à le faire valoir à côté de son équivalent traduit. De la sorte, le lecteur a accès au meilleur des deux mondes : un texte français soigné et idiomatique, bien supérieur à celui de maintes traductions anonymes reproduites dans les livrets accompagnant les divers enregistrements du cycle, et qui n’éclipse pas l’original allemand, qui ne l’oblitère pas. L’attention aux mots, autant sous le rapport de leur sémantisme que de leur phonation — ligne musicale et diction —, est d’ailleurs …

Appendices