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  • Krzysztof Jarosz

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  • Krzysztof Jarosz
    Université de Silésie

Dans le domaine des études littéraires, le sujet de l’ouvrage de Karine Cellard  semble de prime abord occuper une position marginale, pour ne pas dire excentrique. En outre, la didactique de la littérature est, dans la conscience professionnelle des universitaires, un art difficilement conciliable avec la pétrification inévitable, dans les manuels, de cette matière par définition subtile, nécessitant une approche personnelle nourrie de la fréquentation de textes et d’une réflexion individuelle. L’analyse diachronique du corpus de manuels d’histoire littéraire au Québec, depuis celui de l’abbé Camille Roy jusqu’aux ouvrages récents, aurait pu aboutir à un discours métapédagogique d’un grand intérêt technique, sans prétendre à une vision qui dépasse les frontières du domaine étudié. Or, Leçons de littérature de Karine Cellard est une réflexion, d’une part, sur ce qu’on pourrait baptiser une historiographie littéraire et, d’autre part, sur la vision de son objet, la littérature nationale, telle qu’elle est préconisée, rêvée, attendue avec impatience, et ensuite étudiée, classée et reclassée par les auteurs de manuels du dernier siècle. À mon avis, l’objectif inavoué de cet ouvrage, que la modestie de son auteure réduit au rang de toile de fond et de produit secondaire, est la recherche d’une définition, qui se soldera par une série de redéfinitions, de la littérature québécoise depuis cet observatoire spécifique que sont les principaux manuels d’histoire littéraire publiés durant le xxe siècle, période de gestation, d’ébullition, et ensuite d’affermissement et de mûrissement de la littérature nationale. Comme maints chercheurs, Cellard adopte le point de vue « narratologique » qu’ont assigné aux récits historiques les travaux d’un Paul Ricoeur, celui-ci n’ayant toutefois pas été le premier à envisager le processus de l’histoire du point de vue littéraire. À l’époque où cette dernière émergeait des chroniques dynastiques, se dépêtrait du fardeau du providentialisme, et que nombre de philosophes étaient à la fois hommes de lettres et historiens, Voltaire, se documentant pour son histoire de Charles XII et celle de Louis le Grand, observait déjà dans une lettre à d’Argenson : « Mézeray et Daniel m’ennuient ; c’est qu’ils ne savent ni peindre ni remuer les passions. Il faut dans une histoire, comme dans une pièce de théâtre, exposition, noeud et dénouement . » Même si cette opinion peut paraître aujourd’hui excessive, surtout en ce qui concerne la vision de l’histoire comme un processus fini (ce qui, chez Voltaire, n’est finalement qu’une licence poétique), elle me semble représentative d’une approche méthodologique mâtinée d’études littéraires à laquelle, vers la fin du xxe siècle, en arrive la réflexion sur l’histoire après une longue période d’ouverture sur l’économie, les statistiques, etc. Il va sans dire que cette méthode, qui s’est taillé une place au confluent de l’histoire tout court et de l’histoire littéraire, convient très bien à l’étude des manuels d’histoire littéraire. Le parcours proposé par Cellard commence donc inévitablement par le manuel de l’abbé (puis monseigneur) Camille Roy qui propose, dans la première édition de son Manuel d’histoire de la littérature canadienne-française (1918), une vision identitaire plus qu’esthétique, normative et prospective, puisque se référant à l’esprit canadien-français dont il espère qu’il produira dans l’avenir des chefs-d’oeuvre. Pleinement conscient que l’objet de son manuel est dans une grande mesure à venir, pour construire sa vision essentialiste de la littérature canadienne-française, monseigneur Camille  a sans doute recours aux trois vertus théologales, à commencer par l’espérance, celle-ci à n’en pas douter inspirée par la foi qu’un jour la littérature de son pays égalera celle des grands peuples, foi elle-même assurément fortifiée par l’amour de la patrie. Karine Cellard, pour sa part, préfère circonscrire les efforts de Roy de concilier les dimensions identitaire et …

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