Dossier

InéditLettre de Louis Dantin à Germain Beaulieu [Record]

  • Annette Hayward

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  • Texte établi par
    Annette Hayward
    Université Queen’s

Cher Monsieur & Ami, Vous ne vous trompez pas en croyant trouver en moi une réponse sympathique et fraternelle à vos confidences. J’ai été vraiment touché de la confiance que vous me témoignez, et tout ce que vous m’avez dit de vos épreuves, de vos tristesses, je l’ai compris et partagé. Oui, je le sais, il y a des séparations qui arrachent le coeur, et dont le souvenir attriste toute la vie. Il y a des souffrances intimes qu’on cache aux yeux indifférents, mais dont la plaie est toujours ouverte… Et je sais aussi qu’il n’y a pour certaines douleurs nulle consolation humaine, et que les mots qu’un ami, même le meilleur, dirait pour les adoucir sembleraient une cruauté et une ironie. La seule chose qu’on puisse faire alors, c’est de faire appel en soi à l’invincible espoir que tous nous portons en la bonté, l’ordre et la beauté finale des choses ; c’est de se dire que nos souffrances ont un dessein caché, qu’elles font partie d’un tout dont l’harmonie nous échappe encore, mais dont Dieu a le secret — Et encore, qu’il est difficile de subordonner à ces pensées d’ordre général la torture personnelle de notre âme, et d’étouffer, pour ne pas troubler le concert du monde, les cris de notre coeur blessé !… Cependant, je le vois et vous en félicite, vous avez fait cet effort d’énergie, et vous avez trouvé dans le travail, et dans la sollicitude pour vos chers enfants, la diversion nécessaire pour ne pas succomber sous le fardeau… Maintenant, il me semble que vous devriez trouver dans les souvenirs de votre bonheur passé une force plutôt qu’une faiblesse… La figure aimée qui vous a été ravie devrait devenir, dans une vie idéale, mais réelle encore, une compagnie très douce et un encouragement toujours présent. Et quant aux autres épreuves, à celles que nous impose la bêtise des hommes et le fait de ne pouvoir leur faire comprendre ni nos idées, ni nos goûts, aux épreuves de l’isolement et de la solitude intérieure, dépassent-elles vraiment les forces d’une âme tant soit peu philosophe et d’une volonté tant soit peu virile ? — En tous cas, cher ami, si la bonne camaraderie de quelqu’un qui a eu, lui aussi, sa large part d’épreuves, peut donner à vos ennuis quelques instants de distraction, mettez-moi à contribution de toutes manières, et comptez de ma part sur une sympathie bien cordiale et bien franche. Merci pour les trois plaquettes que vous m’avez adressées. Outre l’intérêt que j’ai pris à les lire, elles m’ont permis de me faire une idée plus complète de votre personnalité. Je sais maintenant que vous êtes avocat (un métier, n’est-ce pas ? presque aussi éloigné de la littérature que celui de typographe). Je sais aussi que vous vous calomniez en vous représentant comme un être pétri de paresse, car quand, à la rédaction des factures et des exceptions dilatoires, on joint la correspondance générale des Artisans Canadiens-Français, la composition de traités scientifiques et la poésie, sans compter les mémoires aux sociétés savantes de l’Europe et de l’Amérique, vraiment cela témoigne d’une assez bonne dose d’activité… À propos du Monde des Petits Êtres, je suppose que la publication s’en poursuit encore actuellement. Il est sûr qu’une fois terminé, cet ouvrage sera d’un grand secours pour vulgariser parmi nous la science entomologique… Et je ne m’étonne plus maintenant que vous ayez si bien chanté la « Libellule » : vous aviez commencé par la disséquer avec amour. Je voudrais ne pas être en reste de confiance avec vous, et vous faire pénétrer aussi un peu …

Appendices