ChroniquesPoésie

Fin de trilogie[Record]

  • André Brochu

…more information

  • André Brochu
    Université de Montréal

Dans le dernier recueil de la trilogie intitulée Chroniques de l’effroi, dès les premiers vers de Mon bruit , Normand de Bellefeuille fait comme une récapitulation et une mise en perspective : Il rappelle ainsi les titres du premier recueil (Mon nom ) et du deuxième (Mon visage ), en les accompagnant du nouveau motif qui se présente comme surclassant les précédents (« plutôt le bruit »). Ce dernier, à la différence des deux autres, ne serait pas une servitude, c’est-à-dire une propriété personnelle soit identitaire, soit physique, qui génère des contraintes ou des obligations à l’égard de soi-même. Mais qu’est-ce que le bruit ? On peut y voir la manifestation de soi sous la forme par exemple (ou par excellence) de l’oeuvre, le poète existant de façon suréminente dans le vacarme de ses travaux. Le bruit désigne dès lors aussi bien la production que l’effet produit, l’acclamation. Rappelons que « bruit », à l’époque classique, désignait la renommée, le retentissement . Bien entendu, ce sens se joint au sens courant, celui de sonorité rude et quelque peu chaotique, peu signifiante justement. Ces acceptions ne sont d’ailleurs pas incompatibles : dévoré d’humilité, le créateur peut ne voir en son oeuvre ou en sa renommée que vain bruit. Du reste, Normand de Bellefeuille, malgré ses hautes visées, ne répugne nullement à ce réalisme. La vérité quotidienne est pour lui, comme pour chacun, le point de départ de la quête d’infini. Je parlerai d’abord du dernier recueil, le précédent ayant fait l’objet d’une recension à Voix et Images , puis je le situerai dans l’ensemble qu’il vient couronner. Les titres, déjà, balisent une trajectoire. Le nom, c’est l’être même en ce qu’il a de personnel et d’intérieur, mais il désigne aussi la dimension sociale, donc le pour-autrui de l’individu. Il est chose abstraite et cependant concrète. Le visage, lui, est l’incarnation privilégiée du nom, sa manifestation immédiate pour les autres. Il est l’extériorité traduisant l’intérieur, l’âme faite offrande de chair. Quant au bruit, il est plus extérieur encore, étant l’émanation du moi par la voie du corps et des choses. Certes il est immatériel, puisque invisible, mais il impose plus que tout la présence, il fait choc. En fait, la coprésence des mots-thèmes nom, visage et bruit qui ouvre le dernier recueil revient plusieurs fois dans Mon bruit, par exemple comme incipit du deuxième poème : Ils se retrouvent aussi entre autres dans les poèmes 5, 11, 12, 13,15 et 21, préparant peu à peu l’essor du seul mot bruit qui, dès lors, s’impose pour lui-même ou s’accompagne d’autres mots complices (mort, poème, prière, âme…). Ce qui frappe le lecteur qui se souvient des tout premiers recueils de Normand de Bellefeuille, livres d’une intransigeante nouveauté et d’un formalisme poussé loin, c’est la simplicité et l’accessibilité, tout au moins relative, du langage de ses derniers recueils. Non, certes, que la quête intellectuelle soit moindre, mais elle est désormais intimement liée à une interrogation sur l’existence qui rejoint (et, bien entendu, dépasse) celle de tout un chacun. En ce sens, il n’est pas indifférent de signaler que les écrivains auxquels se réfère le plus volontiers De Bellefeuille — dont la poésie ne craint pas d’afficher son intertexte — sont Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé et Paul Valéry, ou encore, du côté des prosateurs, Gustave Flaubert. La fin du xixe siècle et le début du xxe : voilà qui nous ramène à la vraie, la grande littérature, hors de tout parti pris moderniste. Et c’est grâce à cette référence textuelle que le …

Appendices