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Petit spécial « Les Herbes rouges »[Record]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Depuis nombre d’années, je me donne surtout pour tâche de rendre compte des ouvrages de poésie du genre « rétrospectives », lesquels rassemblent en partie ou en totalité les recueils d’un même auteur ; ou encore, des choix de poèmes, des anthologies, à l’occasion aussi des essais sur la poésie québécoise. Or, ce genre de publications se fait plus rare, depuis quelque temps . La parution de recueils « singuliers » se poursuit, certes, avec entrain, et c’est bien l’essentiel. Je me tourne donc vers eux, en privilégiant les écrits de maturité. Mes deux dernières chroniques ont porté sur des ouvrages du Noroît, et j’ai eu l’idée, pour cette fois, de rendre hommage à un autre artisan important de la vitalité poétique actuelle, Les Herbes rouges, en saluant trois de ses récentes publications. Le titre du dernier livre de Marcel Labine, Le tombeau où nous courons , est inspiré d’un passage de l’Ecclésiaste cité en exergue à la section finale du recueil. Celle-ci, « Les derniers gestes d’encre », nous place devant une appréhension de la mort prochaine que le texte biblique évoque ainsi : « Faites promptement tout ce que votre main pourra faire, parce qu’il n’y aura plus ni oeuvre, ni raison, ni sagesse, ni science dans le tombeau où vous courez. » (143) En termes plus prosaïques : dépêchez-vous d’écrire car, ensuite, il n’y aura plus rien. Perspective sinistre, sans doute. Vivre, écrire, c’est courir au tombeau. Pourtant, le pessimisme du poète est combattu, in extremis si l’on peut dire, par des expressions fugitives d’espoir. Elles ont des apparences bien modestes : « Nous savons que les conséquences sont minimes,/mais nous croyons encore à la force des brins d’herbe. » (162) Ou encore : « Nous prenons sans cesse appui sur nos deux mains et remontons. » (168) À l’agression du monde est opposée la seule chose dont on soit sûr, la force immédiate du corps, à la fois dérisoire et loyale. Le sentiment de « courir au tombeau » est toutefois plus constant, plus fondamental que l’espoir de triompher de la nuit. Il s’exprime de diverses façons à travers toutes les sections, depuis les « Tableaux des années oubliées » (11-25), qui ressuscitent divers mauvais souvenirs d’enfance, jusqu’aux « Derniers gestes d’encre » (141-168), précurseurs de la fin. Le mal de vivre, dénué de romantisme mais souvent peint aux couleurs de l’horrible, va se décliner autour d’une personne grammaticale différente pour chacune des sections. La première adopte, comme sujet des énoncés, le « il » (11-26) ; la deuxième, le « tu » (27-53) ; la troisième le « vous » et un « il » non personnel en alternance (59-73) ; la quatrième, le « ils » (79-102) ; la cinquième, le « je » (107-140) et la sixième, le « nous » (145-168). Chaque section comporte aussi une formule métrique et strophique particulière (à de rares exceptions près). Le poème ne dépasse jamais une page, et il est le plus souvent composé de vers de longueur égale qui forment des blocs réguliers, divisés en quelques stophes ou non. Or il est possible, à la lecture, de ne pas prendre conscience de cette organisation tant le message reste, d’un groupe de poèmes à l’autre, sensiblement le même. C’est le « je » surtout, même quand il se déguise en « tu » ou en « il », voire quand il se pluralise, qui impose sa tonalité sémantique au lecteur. On a constamment l’impression que le moi cherche à se faire exister par l’écriture, à travers les notations de la vie physique ou quotidienne, les évocations …

Appendices