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Des nouvelles du printemps[Record]

  • Martine-Emmanuelle Lapointe

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  • Martine-Emmanuelle Lapointe
    Université de Montréal

Dans « Lettre à un étudiant  », une chronique qu’il a fait paraître en 2000, Michel Biron tentait de tirer quelques conclusions provisoires de ses lectures des romans contemporains. Plutôt pessimiste, il y affirmait notamment Ces quelques phrases me sont revenues en tête dans le cadre d’un séminaire sur la littérature québécoise. Accompagnée d’étudiants d’une autre génération que celle du début des années 2000, je tentais assez malaisément d’y penser les rapports entre le littéraire et le politique à l’époque contemporaine, et plus particulièrement dans les nombreux textes qu’a inspirés la grève étudiante de 2012. Nous nous retrouvions malgré nous dans une sorte d’impasse, nous étions confrontés aux apories d’une réflexion condamnant à reconduire une conception sans doute désuète et naïve de l’engagement littéraire. Ce dernier se devait de reposer, nous semblait-il, sur une forme de croyance en un dogme, en un idéal, en un projet esthétique et idéologique ou, à l’inverse, sur une forme de refus de certains codes culturels et sociaux. En somme, l’écrivain engagé devait résister, refuser le prêt-à-penser, associé le plus souvent à la surconsommation, au néolibéralisme, à la culture du divertissement et, projet aussi vague que naïf, proposer autre chose, créer autrement, faire « éclater les structures héritées  », comme le proposait jadis Hubert Aquin dans ses essais et ses romans. Circulaire, notre réflexion semblait toujours nous ramener aux mêmes interrogations sans cesse relancées : que serait concrètement cette manière de penser, d’écrire et de créer autrement ? Quelles formes littéraires l’engagement contemporain pourrait-il emprunter ? Pire, notre réflexion ranimait inlassablement les spectres d’une seule époque, ceux des grands écrivains de 1965… À côté des Aquin, Miron, Chamberland, Godin, à côté de ce panthéon très masculin, les auteurs des textes parus en marge du Printemps 2012 nous semblaient bien moroses. Le si beau vers de Miron scandé à maintes reprises pendant la grève étudiante, « Nous sommes arrivés à ce qui commence… », nous paraissait ainsi témoigner à la fois de l’instrumentalisation d’une conception figée de l’engagement littéraire et de son impossible dépassement. Dans le cadre de cette chronique, je me propose de revenir sur les fictions du printemps étudiant, de même que sur Pourquoi Bologne  d’Alain Farah, afin d’esquisser quelques pistes de réflexion, encore bien embryonnaires, sur la question de l’engagement littéraire contemporain. « Premier roman québécois inspiré de la grève étudiante de 2012 », précise la quatrième de couverture, Terre des cons  de Patrick Nicol affiche rapidement ses couleurs. Dès le titre, nous sommes prévenus : le ton sera au pessimisme. À la Terre des hommes de l’Expo 67 succède la terre des cons de l’époque contemporaine, dont la banlieue dortoir du roman, proprette et tranquille, pourrait bien être l’emblème. Dans ce lieu sans histoire résonne encore l’écho de la grève étudiante de 2012, déjà révolue au moment du récit qui se déroule à l’été 2013. Politique, le roman l’est dans la mesure où il réfléchit sur les rapports entre la parole individuelle et la responsabilité collective, montrant bien que l’engagement ne va pas de soi à l’époque contemporaine, qu’il ressemble le plus souvent à un embrasement subit, sans suite, sans conséquences concrètes. Le narrateur, professeur de littérature dans un cégep régional, a embrassé la cause des étudiants sans trop y réfléchir, sans l’avoir choisie : Si la grève étudiante a permis au narrateur de renouer momentanément avec les idéaux de sa jeunesse, elle n’a pu le délivrer de sa passivité bourgeoise. Le narrateur est en effet un être d’habitudes. Il trouve le réconfort dans la bonne chère, dans la « musique sans voix » (31), dans « la ouate à laquelle [il …

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