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Immensément poète : Anne Hébert[Record]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

L’édition critique des Oeuvres complètes d’Anne Hébert en cinq forts volumes, dans la prestigieuse (et hélas menacée) collection de la « Bibliothèque du Nouveau Monde », consacre l’intégralité de son premier tome à la poésie de la grande écrivaine . On y trouve tous ses recueils publiés, depuis Les songes en équilibre (1942) jusqu’aux Poèmes pour la main gauche (1997), en plus d’une centaine de poèmes, soit parus en revue ou en d’autres imprimés mais non repris dans les recueils, soit inédits et appartenant à diverses périodes de sa vie. Ajoutons à cela une présentation critique élaborée du Dialogue sur la traduction à propos du « Tombeau des rois », qui contient la traduction anglaise par le poète Frank Scott, en trois versions, du plus célèbre poème d’Anne Hébert. Ce travail est le fruit d’un précieux échange épistolaire entre les deux écrivains. Une édition critique ne mériterait pas son nom sans un appareil élaboré assurant l’établissement du texte, le commentaire historique, biographique, philologique et esthétique, et tout un ensemble de données concernant la réception du texte. C’est à cette tâche monumentale que s’emploie avec compétence Nathalie Watteyne, professeure de littérature à l’Université de Sherbrooke et responsable de l’ensemble du projet. En particulier, les rapprochements qu’elle effectue entre des textes de différentes époques, ou avec les sources d’inspiration d’Anne Hébert (Hector de Saint-Denys Garneau et Charles Baudelaire en particulier), permettent une compréhension fine et plus globale de l’oeuvre poétique. L’explication patiente de nombreux aspects relatifs au catholicisme, sans doute moins utile pour ceux qui ont mariné dans le Québec d’avant la Révolution tranquille, est au contraire indispensable pour les lecteurs des générations plus récentes, tant la religion et la référence biblique imprègnent l’inspiration de la poète malgré l’attitude critique qu’elle finit par adopter à l’égard de l’éducation reçue. Certains lecteurs regretteront le format habituel des publications de la Bibliothèque du Nouveau Monde, qu’on pourrait qualifier de moyen. Ici, la dimension est nettement plus considérable. On imagine mal cependant faire tenir toute la matière en un plus petit ouvrage, à moins de le dédoubler. Soulignons que la taille des feuillets permet aisément l’inclusion des annotations critiques en bas de page plutôt qu’en fin de chapitre ou de section, inconvénient courant des éditions savantes. Cela dit, certains problèmes demeurent, qui sont dus à d’autres aspects du protocole d’édition. Par exemple, on s’abstient de numéroter la première page d’un texte, ce qui est théoriquement défendable. Or, de très nombreux poèmes n’ont qu’une page, de sorte que leur succession entraîne l’absence de pagination sur de nombreux feuillets. C’est ainsi qu’on ne trouve aucune indication de page entre « Noël » (poème dont la deuxième et dernière page porte le chiffre 337) et « Que Dieu soit » (qui se termine à la p. 371) ! Les numéros de pages apparaissant en haut, tantôt à gauche, tantôt à droite, il aurait été possible de disposer en bas au centre les numéros des textes d’une seule page, ou de trouver une autre solution. Tout, plutôt que le néant ! On constate ici les effets d’un dogmatisme qui est celui même de l’édition critique. Mais il y a plus grave, et cela concerne la succession même des recueils. Si, en principe, l’ordre chronologique doit être respecté, la règle s’applique aux oeuvres pertinentes, c’est-à-dire celles qui justifient le projet d’une édition critique. Par conséquent, avoir installé en toute première place le long et problématique recueil intitulé Les songes en équilibre me semble une erreur. On sait que l’auteure a refusé toute sa vie de le laisser rééditer, pour des raisons qu’une lecture permet vite de comprendre. La poète …

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