Dossier

Les essais québécois contemporains au confluent des discours[Record]

  • René Audet and
  • Pascal Riendeau

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  • René Audet
    Université Laval

  • Pascal Riendeau
    Université de Toronto

On n’associe pas spontanément la pratique de l’essai au Québec et la période actuelle. Le genre n’y possède pas une très grande visibilité ni ne fait l’objet d’une valorisation particulière. Présent mais diffus, il semble s’être réfugié dans divers créneaux, prendre des teintes variées qui s’inspirent des pratiques discursives apparentées. Ces stratégies, ces déplacements, nous souhaitons en faire une esquisse à travers la dernière vingtaine d’années. Que doit-on penser de la production essayistique québécoise depuis 1990 ou 1995 ? Le premier piège, en ce qui concerne ce genre, relève de sa nature et de sa définition, qui restent toujours problématiques. Tout en misant principalement sur sa déclinaison littéraire, nous avons voulu conserver une vision plus large de l’essai, en refusant notamment de lui accoler un adjectif. Sa diversité est ce qui le rend difficile à cerner, mais sans doute aussi ce qui constitue sa force, sa pertinence. Il existe une nécessaire (ou inévitable) hybridité de l’essai. Les textes critiques qui ont contribué à façonner la théorie (à partir des propositions de Georg Lukács, en passant par celles de Theodor Adorno, jusqu’à aujourd’hui) ont tous insisté, de différentes manières, sur cette hybridité intrinsèque de l’essai, qui se manifeste par la dualité, soit entre la littérature et la philosophie, le réel et le fictif, le soi et le monde, l’individu et la culture. Que signifie donc se situer au confluent des discours ? Les articles de ce dossier répondent (directement ou indirectement) à cette question en montrant comment l’essai, discours subjectif, analyse un état de la culture, mais aussi de quelles manières s’expriment le littéraire, la littérarité — ou alors, comment la littérature (comme point de vue, comme posture) s’affirme dans et par l’essai. Dans un dossier récent de la revue Contre-jour, les collaborateurs ont accepté de réfléchir, assez librement, à la possible disparition de l’essai en s’arrêtant plus particulièrement à la situation québécoise. D’entrée de jeu, le responsable du dossier, Étienne Beaulieu, pose cette question angoissée : « Se pourrait-il que nous assistions aujourd’hui, pratiquement impuissants, à la disparition progressive de l’essai littéraire  ? » Une telle interrogation n’est pas nouvelle. Dans un article souvent cité, « Petite essayistique  », André Belleau émettait, il y a trente ans, l’hypothèse que l’existence même de l’essai dépendait directement de la capacité culturelle d’une société à engendrer des essayistes : Belleau n’était pas prophète, mais on lui donne néanmoins raison quant à la présence de certains discours qui pourraient déliter la place de la culture et plus particulièrement l’espace de réflexion propre à l’essayiste. Or l’essai semble avoir réussi — mais pas toujours sans difficulté — à s’adapter à la transformation de la culture ou plutôt à sa mouvance. L’essai, comme les autres genres littéraires, en viendrait à s’exprimer différemment, prendrait d’autres formes et occuperait d’autres lieux que ceux qui ont marqué son établissement au xxe siècle. En ce sens, il est réjouissant de voir que divers types de paroles essayistiques se retrouvent au sein des médias numériques. Pensons notamment aux blogues de Marie-Christine Lemieux-Couture — ses « Essais de néantologie appliquée » — et de Mathieu Arsenault, « Doctorak, go ! » . Il nous est ainsi apparu nécessaire, à la lumière de cet état de fait et en complément de cette réflexion sur la possible disparition de l’essai au Québec proposée par Contre-jour, d’engager plusieurs collègues spécialistes de l’essai dans un examen de la production essayistique très récente . Les études littéraires québécoises ont beaucoup contribué à l’analyse et à la théorisation de l’essai. Depuis le début des années 1980, de nombreuses études et anthologies importantes ont été publiées — …

Appendices