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La poésie, avec ou sans aura[Record]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Il y a deux ans paraissait un très bref ouvrage de Jacques Brault, Dans la nuit du poème , où l’auteur se défendait de considérer la poésie « comme une essence éternelle qui viendrait ici et là se manifester, comblant une existence autrement vide ou incomplète » (39). Il proposait plutôt de la décrire en termes rigoureux, « comme une vibration hétérochronique où se distribueraient eurythmiquement le phonétique, l’accentuel, le syntaxique, le sémantique, le graphique, etc. » (39). La même maison, qui est l’un des principaux éditeurs de poésie au Québec, publie maintenant un livre qui, à l’opposé de cette approche théorique ou savante, renoue avec une conception beaucoup plus imagée de la poésie. L’arbre du veilleur, de Jean Royer , premier d’une série de plusieurs essais, aborde celle-ci dans son ensemble et dans son essence, comme le faisait Jacques Brault, mais il le fait en s’attachant davantage au langage immédiat des poètes, ainsi qu’aux prétentions très répandues qu’ils ont de tenir un discours de l’infini, discours explicite chez certains, tels les Clancier père et fils : « Selon Sylvestre Clancier, la poésie donne une éternité aux êtres et aux choses. » (55) Royer cite aussi Georges Perros, un de ses écrivains préférés : « Toute la dignité des hommes est dans la sacralisation des choses. » (81) Marie-Claire Bancquart parle, elle qui est incroyante, d’un « sacré immanent » sur lequel s’aligne toute poésie (107). Chez Johanne Laframboise, une Amérindienne, on relève aussi la référence à « l’indicible » et à « l’invisible » (182). C’est à travers des métaphores que Jean Royer et beaucoup d’auteurs qu’il cite avancent — sans les réticences d’un Jacques Brault — leur définition du poétique. L’« arbre » du titre en est une, privilégiée. Il est le principe organisateur du monde, l’axe, le lien entre la terre et le ciel, le support d’une vie, comme l’écrit Paul-Marie Lapointe cité en exergue : « cet arbre notre vie […] où feuilles fleurs et fruits/captent l’oiseau » (9). L’arbre réunit en lui tout ce qui vibre. Principe unificateur du vivant, de la beauté, il assure la réussite d’une veille heureuse au sein des périls qui nous guettent. L’homme qui respire conformément à l’esprit du poème connaît « un surcroît de vie » (11), un « amour » fait de « fusion, tendresse ou révolte » (11), un « feu » (15), une « âme » (15). Bref, tous les synonymes de l’énergie matérielle et spirituelle sont susceptibles de définir la poésie, et l’auteur s’emploiera à citer les poètes, tant français que québécois (et de quelques autres nationalités), qui apportent de nouvelles variantes à la célébration d’un genre littéraire capable de suggérer le tout de l’existence. Ce que la voix de la poésie peut exprimer dans le registre du réel forme un arbre-alphabet d’où s’élancent les diverses incarnations thématiques du dire contemporain, depuis l’Âme et l’Arbre jusqu’aux exotiques Zapotèques, en passant notamment par la Douleur, l’Érotisme, Émile Nelligan, l’Octobre québécois… Chaque branche de cet arbre est consacrée, par le biais d’un concept précis, à un poète (souvent français) ou à un groupe de poètes (le plus souvent québécois) que l’auteur cherche à caractériser de la façon la plus essentielle, à travers d’abondantes citations. Jean Royer, qui est un critique fin et perspicace — comme le montre, entre autres textes, « Jour d’atelier », consacré à la poésie de Robert Melançon (85-89) —, est encore plus volontiers un Lecteur, au sens plein du terme. Il a doté nos lettres de précieux livres d’entretiens où il s’efface devant la parole de l’autre, en quête d’un savoir global …

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