ChroniquesFéminismes

Vous désirez ?[Record]

  • Lucie Joubert

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  • Lucie Joubert
    Université d’Ottawa

Toute l’attention médiatique accordée actuellement au phénomène de l’hypersexualisation des filles a pour effet pervers (sans jeu de mots) de laisser de côté des éléments pourtant essentiels de la donne : le désir et l’érotisme. Au-delà des postures et des vêtements provocants, en deçà d’un discours très porteur qui vante une nouvelle impudeur réclamant le droit à la jouissance n’importe où, n’importe quand, n’importe comment et avec n’importe qui , que veulent, vraiment, les filles, les femmes ? La question du rapport complexe entre la femme et son désir (en est-elle le sujet ou l’objet ? est-ce si important de trancher ?) se trouve au coeur de deux ouvrages récents  qui, sans faire le tour de cette inépuisable thématique, n’en posent pas moins des paramètres susceptibles de renouveler la discussion. Le collectif dirigé par Isabelle Boisclair et Catherine Dussault Frenette, Femmes désirantes. Art, littérature, représentations, fait, tel que son titre l’indique, la part belle à l’image du désir, à sa projection dans l’espace personnel et social. Comme l’exposent les deux auteures, il s’agit en fait de s’interroger sur quelques « avatars de la femme désirante » et de voir « ce que cette figure est chargée de signifier[.] Une femme “mauvaise”, une “salope”, ou une femme pour qui il est légitime d’avoir et d’exprimer des désirs sexuels ? » (15) L’ouvrage s’ouvre sur un texte de Wendy Delorme intitulé « Merveilleuse Angélique » dont les conclusions, sur les multiples viols que subit l’héroïne dans cette série culte française, résonnent comme une sérieuse mise en garde : « Il est suggéré qu’il est délicieux pour une femme de céder à plus fort que soi, de s’abandonner et se laisser réduire, dépossédée et faible, à un état d’objet. C’est qu’on n’a pas le choix ou qu’au fond on “aime” ça. Merveilleuse Angélique ? Tu nous as fait du mal depuis quarante-huit ans. » (32) Et tu continues, ai-je envie de dire : le remake d’Ariel Zeïtoun — apparemment raté, je n’irai pas vérifier — en fait foi. Tel un sphinx non sollicité, Angélique ressurgit, au beau milieu d’une époque pourtant progressiste mais ralentie dans son élan par ce qu’il est maintenant convenu d’appeler la « culture du viol ». La coïncidence n’est pas sans ironie. Suivent différents textes qui mettent en lumière le travail d’artistes féminines en arts visuels et posent aux oeuvres des questions précises : Julie Lavigne, Audrey Laurin et Sabrina Maiorano cherchent à savoir si « l’autoobjectivation sexuelle en arts visuels peut dénoter une agentivité sexuelle » (43). La démonstration est vigoureuse, la réponse est optimiste (« Les oeuvres imitent la norme de la représentation sexualisée du corps féminin pour mieux la déplacer, la subvertir. » [53]) mais pas entièrement convaincante, d’autant que, dans ce cas-ci, les analyses ne sont pas systématiquement soutenues, sans doute en raison du droit d’auteur, par une iconographie susceptible d’assurer le bien-fondé du propos. Ainsi, en fouillant le net, on peut dénicher la photographie  de Pamela Anderson, signée Marilyn Minter (2007) et commentée dans l’article, qui présente la star d’Alerte à Malibu sous la douche ; on n’arrive pas nécessairement à la même conclusion que les auteures, selon lesquelles « Pamela Anderson ne regarde pas l’objectif, même si elle y fait face. Elle ne tente pas de plaire à la caméra, mais semble plutôt concentrée sur son plaisir personnel. » (51) Quiconque a lu Hans Robert Jauss replacera la photographie dans son horizon d’attente : avec son « visage sans artifices, sa chevelure mouillée » (51), Anderson a beau dédaigner l’objectif et faire l’indépendante, son mamelon à l’air et sa célèbre …

Appendices