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La liberté, entre philosophie et politique[Record]

  • Lucie Robert

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  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

Créée au Théâtre La Rubrique de Jonquière le 30 janvier 2013 dans une mise en scène de Christian Fortin, la plus récente pièce de Martin Bellemare porte fièrement son titre, La liberté , à l’origine du thème de la présente chronique. Comme dans sa précédente pièce, Le chant de Georges Boivin , c’est à la mort que l’auteur s’intéresse, c’est-à-dire à l’option que pourraient ou devraient avoir les citoyens de choisir tant la manière de vivre leurs dernières années que le moment, le lieu, voire le procédé de l’ultime événement. Ainsi, récemment devenu veuf, Georges Boivin entraînait trois de ses amis du centre pour personnes âgées dans une traversée du Canada en automobile vers Vancouver, où il espérait retrouver son premier amour. L’âge des protagonistes en condamnait plusieurs à mourir en route, faute de soins ou de médicaments, mais chacun avait suivi de plein gré comme en une dernière aventure, comme en un dernier pied de nez à la grande faucheuse. La pièce était écrite pour quatre personnages, mais a plutôt été jouée par un seul acteur (Pierre Collin) dans la mise en scène de Mario Borgès, comme pour mettre en valeur l’héroïsme qui portait Georges Boivin. La liberté présente une structure plus conventionnelle à plusieurs personnages, qui ne peuvent pas, me semble-t-il, être réduits à une seule voix. Nous sommes ici dans un univers vaguement kafkaïen où Max, fils de Paul et Mary, vient de décrocher son premier emploi. Il sera fonctionnaire réceptionniste dans le même service que son père. L’on ne saisit les réticences de sa mère Mary à ce qu’il occupe cet emploi particulier qu’au moment où l’on apprend que, dans ce monde imaginaire, l’État a pris à son compte la responsabilité du suicide ; le service est honnête et propre, il évite beaucoup de souffrances aux candidats et beaucoup de problèmes aux autres : « on a pas à ramasser du monde dans la rue ou dans les fleuves pis dans les rivières, y a pas d’interruptions de métro, y a moins de monde qui en tuent d’autres pour les emmener avec eux… » (46) Il offre à chacun de choisir le moment et le moyen de sa mort — une balle, la corde, le bûcher, voire l’injection létale —, assure le soutien psychologique et le suivi du dossier auprès de la famille et de l’État. Dans ce service, que Paul a contribué à mettre sur pied et qu’il soutient envers et contre tous, le travail de Max sera de recevoir les volontaires et de leur donner rendez-vous avec un conseiller. Or, voici que Mary, qui avait toujours fait valoir son opposition à ce type de service, se présente. Paul, son mari, peut-il continuer à soutenir ses arguments, surtout devant son fils ? « Dans notre façon de voir, dit-il, nous admettons, comme Camus […], que la seule véritable liberté de l’être, son premier choix réel et quotidien, plus que ça même, son choix de chaque instant, c’est de se suicider ou non. » (32) La référence à Camus n’étonne guère ici, tant est claire la formulation existentialiste de la question. D’une certaine manière, choisir sa mort est aussi ce qui anime Stéphany (avec un y), le personnage que crée Sébastien David dans Les Morb(y)des  (avec un y aussi), pièce présentée au Théâtre de Quat’Sous le 5 mars 2013 dans une mise en scène de Gaétan Paré. Toutefois, selon les thèses existentialistes, Stéphany exercerait là une liberté de mauvaise foi puisque sa mort est la conséquence d’un désir de séduction et que, en tant que sujet, elle n’existe que dans le regard de l’autre, fût-il …

Appendices