ChroniquesEssais/Études

Écrire dans le « Salon de la race »[Record]

  • Jonathan Livernois

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  • Jonathan Livernois
    Université Laval

On n’accorde sans doute pas suffisamment d’attention à la barre oblique du titre de cette section : « Essais/Études ». Fort commode, elle permet à l’essayiste/spécialiste de se tourner d’un côté et de l’autre, d’adopter le point de vue de l’ambivalence, de faire jouer la liberté de l’essai tout en produisant un texte qui ressemble à une bonne vieille monographie. Pour le compte d’une autre revue que je ne nommerai pas (à peine pour dire qu’elle a été fondée en 1959 par de « jeunes écrivains qui n’avaient pas ou avaient à peine dépassé la trentaine »), j’ai beaucoup lu d’essais québécois depuis quelques années. Une de mes premières impressions : beaucoup d’études, qu’on ne saurait décrire comme ces « essais cognitifs » dont parlait naguère Marc Angenot, sont effectivement à cheval sur la barre oblique. Pourtant, leur marque générique est sans équivoque : « essai ». On ne saurait dire d’où vient la confusion des genres et à partir de quel moment elle s’est développée (a-t-elle toujours existé ?), mais elle s’est sans doute accentuée depuis plusieurs années, influencée par la logique des récompenses et des prix, lesquels ne distinguent pas souvent l’essai, l’étude et le livre de recettes à la mijoteuse. On peut également présumer que, pour un sociologue ou un historien, se réclamer de l’essai permet d’assurer ses arrières. Qui pourrait reprocher un quelconque biais méthodologique à un essayiste ? Qui pourrait dire que les références bibliographiques et les notes sont trop peu nombreuses ? Qui pourrait être perplexe devant les prises de position personnelles du sociologue, qu’il sort de nulle part au milieu d’une argumentation, afin d’y mettre son grain de sel ou pour se sortir d’une aporie ? Voilà ce qui engendre des monographies qui se veulent essais : page couverture sans équivoque générique, hypothèse innovante, monographie normale, « je » impromptu, critique sociale ou idéologique, retour d’une analyse littéraire, sociologique ou historique, revanches épisodiques du « je » et de ses raccourcis argumentatifs, conclusion scientifique, bibliographie, quatrième de couverture sans équivoque générique. Il y a quelques années, René Audet a bien vu, il me semble, ce qui fait la particularité de ce genre. Un genre que d’aucuns considèrent pourtant indéterminable et inachevable. Mon collègue de l’Université Laval montre bien que ce n’est pas tant le sujet ou l’engagement que la spatialité de l’essai qui permet d’en définir les contours : On aura compris qu’il n’y a pas cet espace, ce jeu, dans ces études du spécialiste qui se veut essayiste. S’il y a des failles dans l’argumentaire, elles ne sauraient être confondues avec les interstices dont parle Audet. Malheureusement, c’est trop souvent le cas dans ces essais/études. L’essai — ainsi parle la page couverture — de Corrie Scott, De Groulx à Laferrière. Un parcours de la race dans la littérature québécoise, a-t-il du jeu ? Chose certaine, l’ouvrage de la professeure de l’Institut d’études des femmes à l’Université d’Ottawa est à cheval sur la barre oblique. D’emblée, le lecteur se réjouit de l’approche : Scott dit avoir recours aux « théories postcoloniales, aux théories critiques de la race (critical race theory), ainsi qu’aux théories féministes queer » (16) pour établir une sorte de parcours de l’idée de race à travers la littérature québécoise, de Lord Durham à Dany Laferrière. On s’étonnera d’ailleurs que la borne liminaire du titre soit associée au chanoine Lionel Groulx et non à l’illustre membre du Parti Whig. Intention polémique ? Retour de débats jamais véritablement enterrés à propos de Groulx ? Le sujet n’a jamais cessé d’être brûlant : inutile de remonter très loin dans …

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