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Retours sur l’identité et la liberté[Record]

  • Pascal Riendeau

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  • Pascal Riendeau
    Université de Toronto

Dans ma chronique de l’automne 2009, j’ai tenté d’établir des liens entre l’univers romanesque bien connu de Jacques Poulin et celui de Nicolas Dickner. J’insistais sur l’importance de quelques thématiques (notamment le roman de l’Amérique) ou sur le traitement de certains sujets (l’amitié entre un homme et une femme, par exemple). Grâce au hasard éditorial, ces deux auteurs peu prolifiques ont publié cette année un nouveau roman à environ un mois d’intervalle, comme un autre habitué de ces pages, Sergio Kokis. Fidèle à son habitude, Dickner a choisi, dans Six degrés de liberté, de privilégier des personnages d’adolescents (qui deviendront de jeunes adultes à la fin du roman) dotés d’une intelligence supérieure, mais mal adaptés à leur environnement ou au monde en général. Élisabeth Routier-Savoie et Éric Le Blanc, qui ont quinze ans au début du récit, sont amis depuis la maternelle ; « on les croyait différents, à tort : ils étaient complémentaires » (30). L’esprit géométrique d’Éric a trouvé en Lisa, « synthétique et narrative » (31), une alliée indispensable, surtout à partir du moment où il a commencé à souffrir sérieusement d’agoraphobie. Alors qu’il doit fréquenter l’école secondaire, Éric se retrouve confiné à sa chambre, réussissant à maintenir un lien avec les autres grâce à Lisa, qui l’aide à inventer différents projets scientifiques ou informatiques, surtout ce prototype de parachute muni d’un vieil appareil photo relié à un ordinateur personnel qui s’élève dans l’atmosphère afin de capter des images de la Terre. Dickner possède l’art d’exploiter les interactions adolescentes sans valoriser l’introspection. Leur amitié subit un coup dur quand Éric doit quitter son petit quartier résidentiel près de Huntingdon afin de suivre sa mère qui commence une nouvelle vie au Danemark. Petit génie de l’informatique, Éric fait fortune avec une rapidité exceptionnelle en investissant dans les conteneurs abandonnés — très nombreux après la crise économique de 2008 —, tandis que Lisa peine à continuer ses études collégiales, elle qui doit s’occuper d’un père malade. Tout cela change quand Lisa a soudain une idée, une illumination. Dickner crée un second récit qui, de prime abord, ne donne pas l’impression d’appartenir au même univers que le premier. Jay — dont on ne connaît pas le nom véritable —, ex-pirate informatique rattachée à une famille mexicaine redoutée, voit sa peine de prison pour vol d’identité commuée en une période de liberté surveillée au cours de laquelle elle s’engage à travailler pour la Gendarmerie royale du Canada (GRC). L’ennui de son emploi et la longueur du contrat l’incitent à s’intéresser à un mystérieux conteneur (surnommé Papa Zoulou) qui a quitté le port de Montréal en direction de Singapour, mais qui s’arrête dans différents ports, sans que l’on sache pourquoi il fait toutes ces escales et surtout ce qui se trouve à l’intérieur. Les services policiers pensent qu’il transporte des personnes, mais qui ? Est-ce une nouvelle stratégie adoptée par un groupe terroriste ? Jay n’y croit pas et choisit de mener une enquête parallèle. Seule, avec des moyens limités et sans autorisation, elle réussit néanmoins à traquer ceux qui font circuler sur les mers et océans du monde un conteneur insaisissable grâce à une chose simple : les déchets. Il s’agit là d’une problématique fréquente chez Dickner que l’on retrouve également dans la première chronique qu’il a publiée dans le journal Voir : « L’écrivain est le poisson-vidangeur de cet aquarium boueux que l’on nomme culture. Il filtre, il recycle, il brocante. Plus les déchets abondent, plus l’auteur a l’écaille lustrée. Un bon écrivain, en somme, devance toujours les éboueurs. » Dans ses romans, la conception des déchets possède une …

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