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Roman d’Arcadie, roman d’Histoire[Record]

  • Krzysztof Jarosz

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  • Krzysztof Jarosz
    Université de Silésie

Commençons par une banalité : qu’on le veuille ou non, toute lecture garde les traces des précédentes. J’avoue donc que c’est en quelque sorte conditionné par la lecture du livre de Jonathan Livernois Remettre à demain. Essai sur la permanence tranquille au Québec que j’ai lu Le roman sans aventure, dernier ouvrage d’Isabelle Daunais, un des esprits les plus brillants du milieu universitaire québécois. Dans son essai, Livernois aborde la question de ce que Pierre Vadeboncoeur appelle « la permanence tranquille » qui est l’« impression [qu’ont les Québécois] d’être un peuple de tout repos et de toute éternité, [u]n peuple qui flotte sur l’Histoire et qui n’a pas besoin de se presser pour devenir ce qu’il est ». La thèse de Daunais reprend en quelque sorte cette vision qui insiste sur l’anhistoricité chronique de la nation québécoise, mais pour l’appliquer à la production romanesque de celle-ci. Elle se propose d’expliquer pourquoi le roman québécois n’a pas réussi à « briser l’écrou […] du Golfe […] pour aller […] dans le grand océan […] au besoin vers les vieux pays […] découvrir l’Europe et […] y planter la croix », ce qui a toujours été le grand rêve des écrivains canadiens-français (et ensuite québécois). Or, malgré de belles réussites et la création d’une forte institution littéraire, aucun roman québécois n’a acquis de notoriété mondiale. L’auteure du Roman sans aventure formule la thèse suivante : Au dire de Daunais, ce que les lecteurs non québécois ne partagent pas avec le lectorat québécois, c’est l’absence d’aventure entendue en l’occurrence non pas comme l’ensemble des péripéties de l’action qui font évidemment partie de l’univers des romans québécois, mais comme un changement décisif vécu par le héros romanesque qui lui fait découvrir un aspect du monde jusque-là inédit et l’autorise (voire l’oblige) à accéder à une expérience existentielle tout à fait nouvelle. Il va donc de soi que ce que vit le héros romanesque est ici considéré comme un reflet de la situation dans la société de référence, celle-ci étant première par rapport à la situation romanesque. Par conséquent, si une société n’a pas connu ce genre de choc, ce traumatisme dû aux grands événements historiques qui transforment la face du pays, elle est incapable de produire un roman qui relaterait ce chambardement révolutionnaire de la conscience nationale : Évidemment, c’est valable pour tous les arts. Cependant, si Daunais se concentre sur le roman, c’est qu’il est dans la nature de ce genre littéraire de raconter l’expérience humaine, d’en faire « un événement vécu, une question offerte à la conscience même du personnage » (15). Or, il serait vain de chercher dans le roman québécois une aventure au sens fort, telle que définie par Daunais. C’est ici qu’il nous faut revenir à la « permanence tranquille », qui est aussi une procrastination tranquille, une remise à un lendemain indéfini de la solution au problème de la souveraineté et de l’entrée du Québec dans l’histoire. En refusant les risques de s’exposer aux vicissitudes de l’espace-temps historique, les Québécois demeurent dans une sorte d’idylle. Ils vivent à l’abri des dilemmes que rencontrent les États indépendants jetés dans le tourbillon de l’histoire. Comme l’a dit il n’y a pas longtemps un collègue d’Isabelle Daunais, le professeur François Ricard, « le Québec […] reste jusqu’à nouvel ordre (et pour encore longtemps, semble-t-il) une simple province ». Lucide constatation de l’état factuel sans que ce statut ait, aux yeux de l’auteur de Moeurs de province, un sens dépréciatif. Je reprends ici la phrase de Ricard pour montrer que la pensée de Daunais, pour originale que soit sa …

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