ChroniquesDramaturgie

Aux marges de la fiction[Record]

  • Lucie Robert

…more information

  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

Si la dramaturgie contemporaine se dit postdramatique, voire néodramatique, c’est qu’elle a disposé de l’action mimétique et cathartique telle que la concevait Aristote, mais aussi qu’elle brouille les frontières entre le réel et la fiction, qui est vue comme un monde parallèle imaginaire, extérieur à soi. Les pièces dont il est question dans la présente chronique poussent cette démarche aux frontières de l’écriture dramatique et mettent en oeuvre des pratiques inhabituelles au théâtre. Elles reposent sur des jeux de masques où sont superposées les figures de l’auteur, de l’acteur et du personnage, comme dans le cas du théâtre autobiographique, ou des écritures multiples, celle de l’auteur dramatique et celle des témoins ou des archives, ce qui est le propre du théâtre documentaire. Entre les deux, toutes les variations sont possibles. Il y a là comme une quête d’authenticité, voire de vérité, devant un monde fait d’incertitudes. Aux questions soulevées, il faut apporter des réponses qui seront parfois celles du public désormais appelé à intervenir aussi directement que possible. Renoncer à la fiction ne suppose toutefois pas l’entier déni de l’invention et c’est donc dans la composition, le montage et l’écriture que se trouve la signature de l’auteur. Parmi les productions les plus remarquées sur la scène montréalaise ces dernières années, il faut sans doute souligner d’un trait rouge la trilogie de Mani Soleymanlou, dont la première partie, Un, a été créée le 13 novembre 2012 au Théâtre La Chapelle à Montréal, dans une production d’Orange Noyée. Un a été suivi de Deux, créé le 24 septembre 2013, puis de Trois, le 2 juin 2014. La trilogie, mise en scène et interprétée par l’auteur, a été reprise au Festival d’Avignon à l’été 2014 puis, l’automne suivant, au Théâtre d’Aujourd’hui. Ce qui réunit les trois volets de la trilogie est le « Je, Mani Soleymanlou, le personnage principal de cette histoire […] » (13). L’intention autobiographique est évidente, inscrite dans le récit qui revient sur l’enfance du personnage à Téhéran puis à Paris et à Toronto, ainsi que sur ses premières années d’adulte, vécues à Ottawa et enfin à Montréal, où il poursuit ses études à l’École nationale de théâtre du Canada. Se pose alors d’emblée la question identitaire : Québécois, Soleymanlou l’est-il vraiment, et à quelles conditions ? Là est la question lancinante qui traverse le texte de la première partie, qui propose aussi bien une scène intitulée « L’Iran pour les nuls », racontant un pays que l’auteur a peu connu, mais qui reste au fondement de son identité, qu’une série de scènes intitulées « Les lundis découvertes », où il rappelle ses débuts d’acteur. À certaines remarques, on comprend que l’écriture a surgi de la contestation des résultats des élections iraniennes de 2009, dont les images ont été diffusées à la télévision, et dont l’auteur a entendu l’écho au printemps 2012 : « Moi qui, un peu comme toi, suis sorti dans la rue en 2012 » (46). On reste agacé par le tissu de clichés qu’énoncent les répliques ou les scènes prises une à une. Ce n’est là toutefois qu’un effet de surface, car le texte repose sur la présence en scène de personnages essentiellement dialogiques, c’est-à-dire que chacun vit son identité d’abord comme un conflit intérieur, dont il s’agit de démêler les souches avant de composer, avec les autres, une mosaïque identitaire aux aspérités pas toujours émoussées. On reste aussi un peu songeur devant ce texte, dont le caractère personnel, voire intime, rend peu probables les nouvelles productions. Les didascalies sont en effet toutes écrites à la première personne comme s’il s’agissait d’abord de …

Appendices