Dossier

La bibliothèque religieuse de Jacques Ferron, écrivain et médecin sous la Grande Noirceur (à laquelle il ne croyait pas) et la Révolution tranquille (dont il doutait)[Record]

  • Luc Gauvreau

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  • Luc Gauvreau
    Chercheur indépendant

Mécréant déclaré, Jacques Ferron (1921-1985) a pourtant écrit une des oeuvres les plus marquées par la culture, l’histoire et l’imaginaire chrétiens de la littérature québécoise du xxe siècle. Dans sa lecture du Ciel de Québec, Philippe Haeck avait d’ailleurs proposé de le considérer comme « notre grand écrivain catholique ». Pierre L’Hérault a consacré le dernier chapitre de son Jacques Ferron, cartographe de l’imaginaire au thème du « Salut par l’écriture ». Récemment, Jacques Cardinal s’est intéressé au récit de l’Incarnation dans Le ciel de Québec, et on peut aussi penser aux études de mythanalyse ou à celle de Gilles Marcotte parlant du « côté village » de Ferron pour désigner la « familiarité » que l’écrivain avait avec le petit et grand personnel de l’Église. N’importe lequel de ses lecteurs croisera à coup sûr une des figures de l’univers chrétien en lisant une historiette, une lettre ou un de ses romans. La consultation de la bibliothèque personnelle de Ferron confirme avec force ces jugements et commentaires. On y trouve plus de deux cent soixante-dix ouvrages sur tous les aspects du monde religieux : théologie, rites, institutions, croyances, symbolisme, éloquence, hérésies, histoire, etc. L’ensemble constitue aussi un échantillon significatif d’imprimés religieux : dictionnaires de théologie, monographies de paroisse, oeuvres de piété, hagiographies ou vies de personnages pieux, chefs-d’oeuvre d’éloquence sacrée, sermonnaires, légendaires chrétiens, romans catholiques, mélanges religieux des plus variés… Ce corpus représente environ douze pour cent de cette collection de près de deux mille cinq cents titres. Comment juger de son importance ? En le comparant au profil de la collection nationale ? À la section « religieuse » d’autres bibliothèques personnelles ? S’il va de soi que ce corpus forme une partie de l’arrière-plan culturel à partir duquel il a écrit, comment Ferron l’a-t-il utilisé dans ses oeuvres ? Parfois directement par des citations explicites, souvent par des allusions indirectes. Quelle en serait l’originalité alors que la bibliothèque collective québécoise se sécularisait irréversiblement ? Malgré des avis nuancés, l’appartenance de l’oeuvre de Ferron à la modernité québécoise n’est pas contestée, du moins pas pour ses oeuvres complètes d’écrivain ou de citoyen. Chez un collaborateur de Parti pris, quelque temps membre du Mouvement laïque de langue française (MLLF), cette importante collection d’ouvrages religieux peut étonner. On s’attendrait sans doute à ce que ce corpus soit relativement ancien, mais ce serait oublier que les publications religieuses étaient encore très nombreuses et encore fort lues durant les années où Ferron a constitué sa bibliothèque. Dans les études sur l’imprimé, la notion d’« ouvrages religieux » renvoie habituellement à un corpus spécialisé, directement lié aux productions des églises, à leurs institutions et aux doctrines officielles. Pour réaliser ce premier inventaire de la bibliothèque religieuse de Ferron, on a retenu une définition plus large, plus près de celle des sciences humaines, qui étudient la religion comme un phénomène humain global. Chez Ferron, les références à cet univers sont si nombreuses et si polymorphes dans leurs manifestations qu’il est difficile d’en établir les contours précis. Ce défi est accentué par le fait que sa bibliothèque est remplie d’ouvrages mineurs d’auteurs peu connus ou anonymes, dont le genre littéraire est mal défini, de livres aux contenus savants ou remplis d’historiettes. Parmi d’autres possibles, un titre représente ce que pouvait être le monde religieux pour Ferron : La Bretagne catholique, description historique et pittoresque, précédée d’une excursion dans le Bocage vendéen. Vie de saints, pèlerinages, légendes, traits historiques, moeurs, coutumes, anecdotes et paysages, oeuvre de Léon-Louis Buron publiée en 1856. Si on ajoute aux deux cent soixante-dix titres de la bibliothèque …

Appendices